Les banques, ou l’art de faire payer les autres

jeudi 18 février 2016.
 

Chères banques ! Si elles vacillent, nous tombons. Si elles plongent, nous sombrons. Et plus elles sont grosses, pire c’est. Rappelez-vous la faillite de Lehman brothers à l’automne 2008. Plus de sept ans après, le monde n’est toujours pas sorti de la crise financière puis économique qui s’est ensuivi. Les banques, c’est de la dynamite en puissance. Le dernier bâton explosif s’appelle pétrole : les cours s’effondrent et nombre de prêts accordés par les banques à ce secteur, notamment aux aventuriers des hydrocarbures de schiste, pourraient n’être jamais remboursés.

Gare au krach ! et les bâtons sont nombreux. en gros, tous les ratés et toutes les spéculations des banques se transforment en menaces collectives. Ce potentiel pouvoir de destruction, s’ajoutant aux liens très étroits unissant les élites politiques et financières, confère aux banques une forte capacité, disons... de persuasion ! Pour limiter les garde-fous, pourtant sans cesse promis, à leurs dérives spéculatives et magouilles en tout genre. et faire payer les autres, quoi qu’il arrive.

FAIRE LES POCHES DES CONTRIBUABLES

Après la crise financière de 2008, il a fallu sauver le système bancaire, blindé de créances douteuses liées à la titrisation des crédits « subprimes » ­ ces crédits hypothécaires consentis aux ménages pauvres aux États-Unis avaient été transformés en produits financiers vendus sur les marchés financiers mondiaux. Entre prêts et garanties, les États européens ont mis sur la table 4 500 milliards d’euros d’argent public (360 en France, dont 320 de garanties), soit l’équivalent de 37 % du PIB européen. Les ÉtatsUnis, 700 milliards de dollars (l’équivalent d’environ 535 milliards d’euros à l’époque), dont plus de 600 pour les banques et organismes financiers. Du passé, répliquent les banques. Depuis, tout a été remboursé ! En gros, certes... mais cet épisode a contribué à creuser l’endettement des États, justifiant les politiques d’austérité toujours à l’oeuvre. Il y a aussi quelques ratés : ainsi, Dexia (ex-banque des collectivités locales), dont le naufrage a coûté, selon la Cour des comptes, 6,6 milliards d’euros aux contribuables français ­ presque autant que celui du Crédit lyonnais, dans les années 1990 (7 milliards d’euros). Mais, au-delà même des sauvetages et renflouages de toutes sortes, les banques ne sont pas une affaire pour les comptes publics ! D’abord, parce qu’elles sont au coeur même de l’évasion fiscale (voir page 23). Ensuite, parce que, entre leurs astuces d’optimisation et les petits cadeaux dont elles bénéficient régulièrement de la part des gouvernants... elles sont très peu imposées : « Les grandes banques françaises ont un taux d’imposition sur les bénéfices de 8 %, très loin du taux officiel de 33,5 %, ce qui représente un manque à gagner pour l’État de 15 milliards d’euros au cours de la dernière décennie », écrit ainsi Dominique Plihon, porte-parole d’ATTAC (« Lignes d’ATTAC », n° 100, 2015).

Cas pratique : à l’occasion de l’affaire Kerviel, la Société générale, arguant d’une perte subie de 4,9 milliards d’euros, a bénéficié au total d’une ristourne fiscale de 2,2 milliards d’euros. Pourtant, en 2007, année sur laquelle elle a affecté la perte, elle affichait 947 millions d’euros de bénéfices. Et, en 2008, 2 milliards. La même année, elle a distribué 1,2 milliard d’euros à ses actionnaires (dividendes et rachats d’actions).

PLONGER DANS LES COMPTES DES ÉPARGNANTS

Alors que de nombreux États européens sont très endettés après la crise de 2008, que les politiques d’austérité sont de moins en moins bien supportées par l’opinion publique, un nouveau sauvetage des banques sur fonds publics dans un proche avenir semble de plus en plus délicat. Il faudra donc trouver d’autres renfloueurs : actionnaires, créanciers et déposants. L’idée était dans l’air dès 2012. Chypre a servi de laboratoire en 2013. Un premier plan concocté par les autorités européennes visait les seuls déposants en envisageant une taxe sur tous les dépôts : de 6,75 % en dessous de 100 000 euros et de 9,9 % au-delà. Finalement, actionnaires, et créanciers seront mis à contribution, et s eu ls le s dép ôts de plus de 100 000 euros seront taxés. C’est, en gros, la formule retenue par le « deuxième pilier » de l’Union bancaire entré en vigueur depuis le 1er janvier et qui fixe la marche à suivre en cas de défaillance bancaire. À 100 000 euros d’économies, ce qui est certes confortable mais ne représente même pas un mois de salaire d’un dirigeant de banque, on est prié de renflouer !

Quant aux actionnaires et créanciers (ceux qui détiennent des obligations de la banque), tous ne roulent pas sur l’or. En décembre 2015, le sauvetage en urgence de quatre petites banques régionales italiennes a viré au drame. Ces banques avaient vendu une quantité de leurs actions et de leurs obligations à de petits épargnants qui ont perdu les économies de toute une vie. Un retraité s’est suicidé. Pour tenter de sortir de cette mauvaise affaire, le gouvernement italien a décidé d’un fonds de dédommagement de 100 millions d’euros. Trois fois moins que le montant des titres vendus aux petits épargnants. Et restera cette épineuse question : qui va financier le fonds d’indemnisation ?

FAIRE VALSER LES SALARIÉS

On spécule, on implose et on vire ! Après la crise financière de 2008, les banques, des deux côtés de l’Atlantique, ont supprimé des dizaines de milliers d’emplois. Selon l’agence Reuters, les 18 plus grosses banques européennes et les 6 plus grosses banques américaines ont supprimé au total 160 000 emplois pour les années 2013 et 2014. Pour les européennes, cela représentait 4,1 % de leurs effectifs ; pour les américaines, 7 %. Et ce n’est pas fini. En juin 2015, dix des plus grosses banques européennes avaient déjà annoncé 130 000 suppressions de postes supplémentaires pour les mois à venir.

Entre l’informatisation et la course au profit, la taille dans les effectifs continue. Les suppressions d’emplois sont aussi la menace agitée, face à toute velléité de réglementation, de la part des gouvernements ou autorités financières. En 2013, lors du vote de la loi bancaire en France, les patrons des six plus grosses banques françaises (Crédit agricole, BPCE, La Banque postale, Société générale et BNP Paribas) avaient écrit au gouvernement pour agiter le chiffon rouge en cas de mesures qui puissent quelque peu les contrarier.

Exaucées ! Sur le même registre, le lobby bancaire français a réussi à bloquer la taxe sur les transactions financières qui devait être mise en place au 1er janvier dans 11 pays européens. Le directeur général de la Société générale, Frédéric Oudéa, qui cumule les fonctions de président des fédérations française et européenne des banques, aurait, selon le magazine « Challenges », menacé François Hollande de délocaliser 2 000 cadres des activités de marché de sa banque à Londres si la taxe entrait en vigueur.

FAIRE PAYER LES LAMPISTES

Plus de sept ans après la crise financière, les affaires continuent. Des boucs émissaires ont été désignés : quelques traders, solitaires et voyous ! Jérôme Kerviel à la Société générale, Kweku Adoboli chez UBS, Fabrice Tourre chez Goldman Sachs, Bruno Iksil chez JP Morgan Chase, Boris Picano-Nacci chez BPCE... (voir « HD » n° 494). Les patrons, eux, se portent bien. Dédouané de tout, Dick Fuld, l’ex-PDG de Lehman Brothers, surnommé « le gorille » à cause de la délicatesse de ses méthodes de management, a fondé une société de consultants. Lloyd Blankfein, à la tête de Goldman Sachs depuis 2006, y est toujours. Il est devenu milliardaire en dollars en 2015. Dans un article involontairement comique, « Les Échos week-end » du 22 janvier se penchaient sur le sort des dirigeants de la Société générale au moment de l’affaire Kerviel : « La déflagration a emporté tous les dirigeants de la banque, menacé leur santé, radicalement changé le cours de leur carrière. » Ah bon ? Pourtant, si l’on se réfère aux seules informations du magazine, ça ne va pas si mal ! PDG à l’époque, Daniel Bouton, 66 ans, a créé une société de conseil dans le giron de la banque Rothschild et siège au conseil d’administration de Veolia. Philippe Citerne, 67 ans, exnuméro 2, après un passage par une grosse société de conseil (Perella Weinberg Partners), est vice-président du conseil d’administration d’AccorHotels et d’Edenred. Des retraités très occupés !

Frédéric Oudéa, alors directeur financier, est devenu directeur général de la Société générale. Jean-Pierre Mustier, ex-patron de la banque de marché, après un passage comme numéro 2 à la banque italienne UniCredit, est désormais l’un des associés du fonds Tikehau Capital à Londres. Des loqueteux, on vous le dit !

RACKETTER LES CLIENTS

Dans les manuels d’économie, on explique que les banques financent cette dernière. Aujourd’hui pourtant, seuls 10 % de leurs actifs sont consacrés à des prêts aux entreprises et 15 % à des prêts aux ménages. Le reste, soit 75 %, l’est à des placements ­ plus ou moins spéculatifs ­ sur les marchés financiers. Pour toutes ces activités, les banques disposent de deux ressources : les dépôts et l’épargne de leurs clients (particuliers ou entreprises), et les emprunts, à court ou long terme, qu’elles souscrivent elles-mêmes. Une grande partie de ces ressources ne leur coûte pas cher, puisque les banques centrales des pays riches leur déversent de l’argent gratuit ou presque, avec des taux à court terme proches de zéro. Quant à l’argent que leur confient leurs clients, elles disposent gratuitement de celui qui est sur les comptes de dépôt (non rémunérés). Mais il paraît que ça leur coûte : frais de personnel, informatique...

Les banques n’hésitent donc pas à facturer aux intéressés ce luxe inouï : disposer de leur propre argent ! Utilisation des cartes bancaires, des chéquiers, virements, envoi des relevés de comptes, paiements par prélèvements, usage de services Internet... progressivement tout a été facturé, à la carte ou en package, histoire de rendre les comparaisons difficiles. En fonction de l’utilisation faite de ces différents services, il en coûtera cette année, selon l’enquête que vient de publier la CLCV (association de consommateurs), de 70 à 210 euros en moyenne aux clients des banques traditionnelles. Nouveauté : les frais de tenue de compte deviennent la règle ! 117 banques sur les 139 étudiées par la CLCV en facturent. En clair, même sans rien faire ­ ni retraits, ni chèques, ni virements... ­, il faut payer pour que la banque daigne accepter votre argent ! De 6,20 euros par an (Banque postale) à 71,60 euros (les banques régionales Marze et Dupuy de Parseval). Ce sera 24 euros à la Société générale et 30 euros chez BNP Paribas. Soit, pour chacune, quelque 200 millions d’euros d’engrangés dans l’année par un simple jeu d’écriture.

DOMINIQUE SICOT

Humanité Dimanche


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