Candidature Mélenchon et chronique d’une gauche autoproclamée

mardi 23 février 2016.
 

Pour Mélenchon, prime l’ère du peuple !

Dans un enthousiasme touchant, le journal Le Parisien s’appuie sur un sondage pour proclamer l’attachement « des Français » aux primaires, leur nouvelle passion parait-il. Un examen, même superficiel, des chiffres fournis par ce quotidien montre une tout autre réalité de ce qu’en disent ses commentateurs. François Coq l’a très bien montré dans une note de blog https://cocq.wordpress.com/. On y découvre tout le poids des préjugés que cette idée charrie.

Certes, nous avons bien compris que pour certains de ses initiateurs, l’objectif de cette proposition de primaire pour 2017 est de montrer l’illégitimité de la candidature de François Hollande à gauche. Mais cette illégitimité n’est pas une affaire personnelle. Elle cristallise en réalité qu’il n’y a plus une « gauche » en France mais deux courants qui en sont issus et qui luttent sur des orientations opposées. Notons qu’à l’inverse, Daniel Cohn-Bendit et quelques autres voudraient procéder à la disqualification de Jean-Luc Mélenchon. Ce n’est pas étonnant, et même compréhensible puisque ces personnes sont en désaccord total avec bien des idées défendues par nous, notamment sur l’Union Européenne.

Il est plus douloureux de voir des porte-paroles du Front de Gauche prendre à partie Jean-Luc Mélenchon par presse interposée avant même qu’elle qu’annonce que ce soit.

Leur nouveau gimmick : quiconque refuserait de se rallier à l’idée de primaire est accusé de vouloir être un candidat « autoproclamé ». Que Nicolas Hulot ait également décliné l’offre alléchante d’aller se faire essorer dans un pareil mécanisme ne lui vaut pas l’honneur de telles invectives.

Clémentine Autain aura même été jusqu’à qualifier Jean-Luc Mélenchon de « leader maximo ».

De son côté Pierre Laurent réagit dans Le Monde  : « et alors ? Entre Hollande et Mélenchon il n’y aurait rien ? ». Etonnante formule qui écarte notre candidat commun en 2012 du paysage sans crier gare et invente un « entre deux » politique dont nous n’avons jamais parlé à aucune coordination du Front de Gauche ! Il aurait pourtant été intéressant de savoir ce qu’il y a entre Hollande et l’opposition de gauche.

Alors même que cette primaire est toujours aussi improbable, ces escarmouches en révèlent la tendance délétère. Cela peut vite virer au jeu de massacre y compris entre les gens les plus proches. Ceux qui se souviennent de la consultation organisée dans les comités anti-libéraux en vue de la candidature présidentielle de 2007 pourront en témoigner. Avec pour résultat final, une autre gauche émiettée en trois candidat-e-s !

Lucide sur la nature du rassemblement des amis des primaires, Cécile Duflot résume son contenu : « on dirait une réunion des alcooliques anonymes de ceux qui ont soutenu Hollande et se demandent comment on en est arrivé là »

Pour autant les mauvaises habitudes ne sont pas perdues. Qu’importe le flacon, pourvu qu’ils aient l’ivresse ! Le chef des frondeurs Christian Paul a dit qu’il pourrait soutenir la candidature de Thomas Piketty à une primaire. Mais le lendemain, le même Piketty a fait savoir qu’il n’était pas candidat !

La même mésaventure est arrivée à André Chassaigne. Croyant donner un gage d’ouverture, après avoir condamné à l’avance lui aussi la candidature « auto proclamée » de Jean-Luc Mélenchon, il a affirmé qu’il pourrait soutenir Christiane Taubira. Dès la fin de l’interview, il se reprenait craignant même « de se trouver au goulag » pour ce propos ! Qu’il se rassure… Christiane Taubira n’est pas candidate non plus ! Elle a déjà annoncé qu’elle « demeurerait loyale au président de la République » et qu’elle était « absolument sure » de ne pas se présenter à une primaire.

Voila le ridicule auquel condamne cette saison de pré-primaire. Pour éviter tout « candidat autoproclamé », il y aurait donc seulement des candidats non candidats qui seraient proclamés par d’autres et contre leur gré ! Peut-être est-ce pourquoi le président des députés communistes préfère tout de suite proposer un autre nom que celui de son chef de son parti. Cohn-Bendit n’a pas attendu. Il se réjouit, dans les Inrocks, que dans une « primaire ouverte » ni Pierre Laurent ni Jean-Luc Mélenchon ne seraient, selon lui, investis. Au moins Cohn-Bendit annonce honnêtement son objectif. Mais on ne s’étonnera pas de nous voir refuser la perspective de voir Valls ou Hollande à la fois investis et débarrassés de l’opposition de gauche par l’union de tous les naïfs !

A moins qu’on décide d’organiser une primaire pour savoir qui peut se présenter à la primaire. L’action politique est ainsi transformée en PMU dans lequel chacun parie selon la couleur de la casaque sans regarder la monture, c’est-à-dire le programme et la stratégie qui le porte, ni même si le cavalier accepte de monter sur le cheval.

C’est que dans une primaire, toute écurie sans candidat est menacée de disparition. Voila pourquoi en 2011 Jean-Michel Baylet s’est présenté à la primaire du PS pour représenter le Parti radical de gauche alors qu’il n’avait aucune chance de l’emporter. C’était aussi une manière de justifier devant ses adhérents le ralliement au PS dès le premier tour.

Tous ceux qui acceptent la logique d’une primaire « de toute la gauche » s’enferment dans cette logique mortelle : témoignage ou effacement, éparpillement ou disparition. Il suffit de voir à droite les candidates de Nadine Morano, Hervé Mariton, Jean-Frédéric Poisson pour voir que c’est une pente à laquelle il est impossible de résister dans la logique de ce système. Au moins dix candidatures à droite déjà !

Dans cette « primaire de toute la gauche » on compte déjà sept candidats en attente ! C’est la logique même de toute primaire de compliquer le problème plutôt que de le simplifier. Dans notre espace, Clémentine Autain déclare naturellement à I-télé qu’elle n’exclut pas d’être candidate. Sinon pourquoi vouloir une primaire ?

Et Pierre Laurent s’est également senti obligé de dire qu’il n’est pas candidat « à l’heure actuelle ». Si à un autre horaire il le devenait, serait-il considéré comme « auto proclamé » ? Non : la vérité est qu’il ne pourrait faire autrement. Il serait pris au piège. Il serait obligé d’annoncer sa possible candidature.

S’il n’était pas candidat, son parti n’aurait en effet plus de place dans le processus. Car on imagine mal après cela, EELV et frondeurs céder 80 % des candidatures au PCF comme ce fut le cas de notre part en 2012. Surtout si les candidats aux législatives sont, eux aussi, issus de primaires et non les heureux bénéficiaires d’un accord entre partis. D’ailleurs à la soirée de la Bellevilloise Yannick Jadot a été très clair : il y aura un contrat politique à l’issue de la primaire et les accords électoraux à gauche respecteront proportionnellement les rapports de force « tels qu’ils auront émergés dans la primaire ». On devine du même coup la logique de compétition violente entre les partis qu’un tel système contient !

Ce jeu destructeur peut durer des mois et clouer au sol toute force politique avant même le démarrage d’une campagne. En définitive la primaire fonctionne comme un rayon paralysant. Elle a aussi l’avantage de crédibiliser la possibilité d’un rassemblement au premier tour de toute la gauche. Elle donne corps ainsi au vote utile. C’est d’ailleurs pour cela que le PS de Cambadélis s’en empare. Il en accepte le principe. Une commission est créée au PS pour organiser cette primaire. Il demande des garanties et va recevoir pour cela les signataires de l’appel.

L’occasion est trop belle de gagner du temps ? S’agit-il de permettre à chacun de trouver une porte de sortie honorable pour rallier le PS au premier tour ? Car le temps gagné par le PS, c’est du temps gagné pour Hollande. Et du temps perdu pour construire une alternative au président sortant. Voyez comme chacun patauge ! Ainsi Clémentine Autain. Dans le même article de Mediapart, elle parvient à dire qu’elle ne veut pas « fracturer l’affaire des primaires » en interdisant à François Hollande d’y participer mais que « Jamais de la vie, [elle] ne participerai pas à une primaire avec François Hollande, ni d’ailleurs Manuel Valls ou Emmanuel Macron ! ». Nous disons donc bien la même chose.

Pourquoi alors s’affronter ? Mais de son côté Pierre Laurent se sent obligé de traiter de menteur Cambadélis parce que ce dernier l’accuse de ne pas vouloir de primaire de toute la gauche, comprendre avec Hollande. En un tweet, la « primaire de toute la gauche » se retrouve donc avalisée par le PCF ce qui au passage signifie l’enterrement du Front de Gauche ! Bien joué Cambadélis ! Après avoir éparpillé la concurrence, le PS pourra tranquillement installer sa nouvelle « alliance populaire », comité de soutien à François Hollande. Naturellement ce n’est pas ce que veulent les dirigeants du PCF. Au contraire. Mais alors pourquoi avaliser cette procédure ?

Nous serions donc condamnés à attendre de savoir si Jean-Christophe Cambadelis arrive à convaincre François Hollande de participer à une primaire pour savoir qui accepte finalement d’y participer ? L’appel de Daniel Cohn-Bendit proposait que la primaire se tienne en même temps que celle de la droite. C’est-à-dire avec un deuxième tour le 27 novembre ! Pendant ce temps, Mme Le Pen est en campagne permanente. Alain Juppé, François Fillon et Nicolas Sarkozy font campagne pour la droite. Pour toute la presse, François Hollande est en campagne depuis son discours de Carcassonne le 19 mai 2015 et Manuel Valls ne cesse de répéter que Hollande est « le candidat naturel » du PS.

Notre parti pris, notre camp serait condamné à attendre une nouvelle fois la dernière minute ? Devons-nous rappeler que pour l’élection de 2012, le Front de Gauche était en ordre de bataille au mois de juin 2011, un an avant, et que nous étions nombreux à trouver que c’était déjà tard ? C’est à l’issue de la consultation organisée au PCF que Jean-Luc Mélenchon fut en effet désigné. Une bonne nouvelle mais entre temps il était quand même passé de 6 à 3% dans les sondages.. Il a fallu des mois pour grignoter un par uns les points de sondages et remonter la pente….Faut-il rappeler quels terribles échecs nous avons connus en retardant nos débuts de campagnes européennes et régionales et en nous condamnant à ne faire que deux mois de campagne à peine ?

Que nous propose-t-on ? Attendre. Attendre l’accord de François Hollande pour participer une primaire avec lui. Ou attendre son refus pour organiser en catastrophe un vote entre quelques-uns. Attendre que les sondeurs choisissent leur nouveau chouchou. Attendre que les médias nous effacent et confortent le tripartisme. Attendre en se passant le mistigri de la rupture de « l’unitééééé » sans dire un mot du fond pour ne fâcher personne ni « fracturer la primaire ». Et bien sur beaucoup parler de tout de rien et du reste ! Le grand Jaurès disait déjà, à propos des socialistes de 1848 que « n’ayant pas la force d’agir, ils dissertent ».

Et sinon, quoi à part la primaire ? La caricature. Celui qui refuse d’en être serait auto-disqualifié. Il existe pourtant bien des chemins possibles. Par exemple celui que le Front de Gauche a emprunté en 2012 en construisant un programme partagé et des candidatures communes à la présidentielle et dans les 577 circonscriptions du pays.

On peut aussi imaginer d’autre construction : le Parti de gauche fait ainsi une proposition en articulant une candidature à la présidentielle, les candidatures aux législatives et la construction d’un nouveau mouvement populaire.

Parlons franchement. La candidature que nous proposons est celle de Jean-Luc Mélenchon. Pourquoi ?

– Car nous considérons que dans la mauvaise passe dans laquelle nous sommes, et nous sommes mis, nous ne pouvons nous payer le luxe de nous priver d’un de nos atouts restants. Il a rassemblé à l’élection présidentielle de 2012, 4 millions de voix. Est-ce un capital si négligeable ? Est-ce si facile à transférer de l’un à l’autre quand on observe que, candidats du Front de Gauche à toutes les élections, nous n’avons jamais rassemblée plus de 1,7 millions ?

– Depuis 4 ans, Jean-Luc a toujours défendu le programme l’Humain d’abord et notre force autonome. Alors, doit-il s’excuser d’être encore à 10 %/12 % dans toutes les études d’opinion ?

– Une audience qui se confirme concrètement pour quiconque accepte de voir l’accueil qui est le sien dans les manifestations ou tout simplement dans la rue, dans la vie des tous les jours.

– Pourquoi ne pas y voir une chance collective et un patrimoine commun au lieu de la dilapider dans une course à obstacle mortifère pour tout le monde ?

– Depuis janvier 2015, nous avons fait la proposition d’un mouvement populaire doté d’une assemblée représentative pour dépasser un cartel de parti. Une campagne en 2017 pourrait constituer une formidable, et sans doute unique, occasion pour s’y essayer puisque nous disons tous vouloir dépasser le FDG et une véritable implication citoyenne. N’est-ce pas à cela que nous devrions travailler plutôt que d’importer des USA un système qui n’est au mieux que la rustine, au pire que l’aggravation du caractère monarchique de la Vème République ? Pour l’instant comme embarcation la primaire fonctionne comme le radeau de la méduse de la gauche. Cohn-Bendit agite le drapeau en attendant les secours. Lui et ceux qui ont depuis rendu les armes de la rupture avec le système, attendent que les autres agonisent plus ou moins bruyamment. Réagissons !


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