Brexit : prendre la mesure

vendredi 1er juillet 2016.
 

Comme souvent quand un évènement d’une telle ampleur se produit, beaucoup de positionnements se placent dans la lignée qu’ils avaient déjà auparavant, justifiés alors mais pas modifiés par le dit évènement. C’est toujours une surprise pour moi, comme si seule la quantité était affectée, et non la qualité. Peu dialectique en l’occurrence.

Le Brexit est pourtant un évènement qui sort de l’ordinaire, c’est le moins qu’on puisse dire. Il n’y pas de réponse miraculeuse possible à un tel désastre, mais il faut au moins reconnaître que ça pousse les contradictions qui sont les nôtres à un degré de tension presque insupportable. Posons la question brutalement. Si d’un côté pour détruire les constructions néo-libérales extrêmes (à l’échelle européenne - voire mondiale – et nationales) il faut en passer par les thèmes de l’extrême droite ; si de l’autre, pour échapper à cette dernière il faut s’allier à la City, à la Finance, aux élites de Bruxelles, de Westminster, de Francfort et de l’Elysée contre le cœur de la classe ouvrière, alors un seul mot d’ordre, « fermez le ban », c’est fini pour nous.

La marque la plus désolante du Brexit est l’impossibilité d’un quelconque « Lexit », un « non de gauche ». Le rejet de la vie telle qu’elle devient, trop difficile, la haine du mépris du « cercle de la raison » (qui comporte les Cohn Bendit et les Hulot) se sont trouvés entièrement compatibles et dominés par le racisme, la xénophobie (y compris contre les étrangers tout ce qu’il y a de blancs et de chrétiens), la fantasmatique « british way of life ». On connaissait la France moisie, pétrie dans l’islamophobie et on y opposait volontiers l’ouverture muticulturelle du Royaume Uni. C’est qu’on se fixait sur Londres, manifestement. Comme quoi ces oppositions répétées cent fois sont plus que piégeuses. Sous des formes appropriées à chaque pays, c’est presque partout le même mouvement de fond vers le repli, quasi désespéré. Même le Mouvement Cinq Etoiles, s’il ne s’y résume pas, a des aspects de ce genre.

Première conclusion. Toutes les critiques hyper justifiées des institutions, traités, carcan européens, de « la gouvernance » antidémocratique (les gouvernements se camouflant derrière l’anonymat bruxellois, et celui-ci prenant de plus en plus de poids) doivent être accompagnées à la seconde, au millimètre, de thèmes internationalistes, et au premier rang desquels, le refus du repli, de la xénophobie et en faveur d’une politique généreuse pour les migrants. Sinon l’hégémonie d’extrême droite est inévitable.

Deuxième conclusion. Une fois ceci acté, le rejet de l’Europe capitaliste ne doit pas souffrir de la moindre hésitation. Non seulement elle n’est pas « réformable » (ce qui veut dire qu’elle doit relever d’un processus constituant de fond en comble), non seulement nous ne devons nous engager à aucun respect des traités, mais que le processus ne peut pas être laissé entre les mains de Hollande et de Merkel, mais remis entre les mains des peuples. Si, avec la constatation évidente que le référendum britannique a abouti à une catastrophe, nous nous méfions désormais de toute procédure de consultation directe (y compris référendaire), alors nous laissons l’arme de la démocratie aux seuls extrémistes de droite. Inimaginable.

Nous savions déjà tout ceci c’est vrai, d’où la manière dont nombre de camarades tracent un sillon ancien. Mais la contradiction est durcie, l’urgence dramatiquement augmentée. Non devons partir du point de vue suivant. L’Europe ancienne vient de recevoir un coup fatal. Malheureusement ce n’est pas la révolte grecque qui l’a plombée, mais la crise des migrants et le Brexit, donc « sur la droite ». Mais c’est un fait, qui aura comme suite, presque inévitablement, d’autres « exit » potentiels. D’ailleurs tout le monde y va des mêmes conclusions : Sarko, nouveaux traités, puis je suppose référendum ; Macron, nouvelle Europe, puis référendum. On imagine les contenus de ces éventuels traités, mais la demande est irrépressible. Hollande aussi, qui veut en faire son thème de 2017 (qui peut encore le croire ?), mais moderato, sans rien toucher en réalité.

Alors que le mot d’ordre « processus constituant » était lointain, il devient concret, palpable. Nous sommes preneurs de ce débat, ouvrons le processus, remettons le entre les mains des peuples. Dangereux ? Oui, parce que ça peut tourner très mal. Mais c’est pas sûr, en particulier dans les pays du Sud (dont la France) où les équivalents du « non de gauche » sont encore puissants, la preuve chez nous par le mouvement Loi Travail. ​Et évidemment dans l’Etat espagnol et​​ au Portugal qui comptent les forces de la gauche radicale les plus avancées. De toutes les façons comment on peut espérer se protéger en refusant de donner la parole aux peuples ?

Ceci ne résout pas, en tant que tel, les problèmes déjà soulevés par l’échec grec. Là, la ligne « plan B » devient encore plus nécessaire. Un gouvernement de rupture (en plus de demander immédiatement ce processus constituant) ne quitte rien (ni l’UE, ni l’Euro). Il prend les mesures nécessaires sans respecter les traités a priori, avec un appel parallèle à les étendre de concert à tous les pays européens qui seraient d’accord. Si la confrontation s’ouvre (même maintenant on ne sait pas comment serait traitée une France, bien plus puissante que la Grèce, qui s’engagerait ainsi), référendum pour demander approbation de ces mesures. Et si la négociation est impossible, application du plan B (à ce point, je sais, c’est plus facile sur le papier que dans la réalité et plus facile à dire qu’à faire...).

Le Brexit, me semble t-il, ne laisse guère d’autres choix de court, de moyen et de long terme à gauche.

Samy Johsua


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