Liaisons dangereuses entre la France et l’Arabie des Saoud

jeudi 8 septembre 2016.
 

Depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande, Paris est devenu le troisième partenaire économique de Riyad. Un choix éthique contestable, peu efficace financièrement dans les échanges civils, mais une poule aux œufs d’or pour l’industrie de l’armement.

Si ce n’était la gravité du sujet, cela pourrait être une question de Trivial Pursuit. Combien de rencontres bilatérales y a-t-il eu entre la France et l’Arabie saoudite depuis la première visite du vice-roi du Hedjaz, l’émir Fayçal bin Abdelaziz en 1926 (le royaume naîtra en 1932), jusqu’à celle, à Riyad, le 19 janvier 2016, de l’ex-ministre des Affaires étrangères français Laurent Fabius  ? Réponse  : 39. Rien de très extraordinaire à première vue, si ce n’est l’augmentation exponentielle de ces visites depuis l’arrivée de François Hollande à l’Élysée. En quatre ans, les représentants des deux pays se sont rencontrés 18 fois… soit près de 50 % des visites diplomatiques effectuées ces 90 dernières années entre Paris et Riyad  !

Des chiffres qui résument à eux seuls l’influence brutale prise par la monarchie salafiste dans la politique extérieure française, et ce au mépris de la Constitution française et de ses valeurs basées sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen héritée de 1789, fort éloignées des vertus saoudiennes (voir encadré). Ces chiffres en accompagnent d’autres qui, dès le début de mandat de François Hollande, ont fait saliver le gouvernement et ses amis du CAC 40. À l’époque, l’ambassadeur de France en Arabie saoudite, Bertrand Besancenot, parlait d’un pactole de 30 milliards d’euros de contrats avec Riyad. Depuis lors, la diplomatie française n’a eu de cesse de faire des courbettes aux différents princes héritiers du royaume salafiste pour un résultat finalement médiocre. Certes, Manuel Valls a obtenu lors de sa visite, en octobre 2015, quelques arrangements symboliques  : l’annulation d’un embargo sur la viande française  ; un contrat de gestion de lignes de bus à Riyad pour la RATP  ; l’ouverture de négociations à propos du métro de Riyad avec Alstom pour vendre du « matériel roulant » et du « système »  ; le géant Airbus a même signé un mémorandum avec les Saoudiens pour le développement de l’A380… Mais, au final, pas ou peu de monnaie sonnante et trébuchante pour l’industrie et les services.

Pour l’industrie de l’armement, en revanche, les pétrodollars coulent à flots. D’après l’ONG Control Arms, la France aurait autorisé en 2015 la vente d’armes à l’Arabie saoudite à hauteur de 16 millions d’euros. En mars dernier, les armes liées au contrat Donas – accord tripartite financé par l’Arabie saoudite pour soutenir l’armée libanaise –, d’une valeur de trois milliards d’euros, ont finalement été redirigées vers la seule Arabie saoudite. « Nous sommes face à une situation où les décisions du Liban sont captées par le Hezbollah. Les armes iront donc à l’Arabie saoudite, pas au Hezbollah (le mouvement chiite favorable à l’Iran) », insistait en 2015 Adel Al Jubeir. ministre saoudien des Affaires étrangères. L’armée saoudienne a donc récupéré les 48 missiles antichars Milan prélevés sur les stocks de l’armée française, mais aussi des appareils de vision nocturne et des blindés et légers. Par ailleurs, 250 véhicules de combat ou de transport de troupes (Renault Trucks Defense), sept hélicoptères Cougar (Airbus Helicopters), trois corvettes (CMN) équipées de missiles Mistral (MBDA), 24 canons autotractés Caesar (Nexter Systems) et des équipements de reconnaissance, interception et communication (Thales) devraient être livrés prochainement. Des exportations qui constituent une violation du droit international

Une vente qui, si elle réjouit les vendeurs d’armes, pose en revanche de gros problèmes du point de vue éthique. Avec l’entrée en vigueur du Traité sur le commerce des armes (TCA), le 24 décembre 2014, et les allégations de crimes de guerre portées contre la coalition saoudienne au Yémen, ces exportations constituent une violation du droit international (voir ci-après). Ce qui ne semble guère émouvoir le Quai d’Orsay ni le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, qui annonçait récemment la vente de 30 nouveaux hélicoptères de combat au Koweït, l’un des principaux membres de la coalition accusée la semaine dernière d’avoir bombardé un hôpital de Médecins sans frontières (MSF) et une école proche de Sanaa – tuant au passage une quarantaine de personnes dont plusieurs enfants.

C’est donc au prix du sang de civils qu’une certaine France se remplit les poches contre toute raison. Pire encore, le Quai d’Orsay ne se soucie plus des règles basiques de la diplomatie. On affiche sa bonne entente avec ses « alliés sunnites » que représentent l’Arabie saoudite, mais aussi le Qatar et l’ensemble des pays de la coalition arabe engagés au Yémen, toute honte bue. Une alliance symbolique que l’on retrouve aussi dans les choix manichéens faits par la France en Syrie, laissant de côté les composantes chiites primordiales, Iran en tête, impliquées dans ce conflit comme dans celui qui ensanglante le Yémen.

Et tout cela au mépris même de la sécurité intérieure de la France, comme l’a démontré en mars dernier l’hebdomadaire Marianne publiant une notice des services de renseignement du Quai d’Orsay datant de l’été 2012. Cette note met en exergue la responsabilité de l’Arabie saoudite et du Qatar dans le financement direct ou indirect de groupes djihadistes visant à éliminer Bachar Al Assad. Ce dont Laurent Fabius ne semble guère s’inquiéter. Mieux encore, le ministre des Affaires étrangères prendra dans la foulée la défense du Front al-Nosra (aujourd’hui Fateh al-Cham), franchise d’al-Qaïda en Syrie, au plus fort des combats saluant « le bon boulot fait sur le terrain » de ses nouveaux amis.

Autant de maladresse, de cynisme ou d’incompétence, dont seul Serge Dassault, le patron du groupe aéronautique français, s’est réjoui  : « Merci, M. Hollande, pour tout ce que vous faites, pas seulement pour nous, mais pour toutes les exportations », lançait le sénateur « Les Républicains » en début d’année. Le patron du Figaro a, il est vrai, de quoi se réjouir. Selon le quotidien les Échos, les ventes de Rafale de ces deux dernières années (dont 24 au Qatar) aurait rapporté 16 milliards d’euros de commandes à l’exportation (dont 13 milliards pour le Proche et le Moyen-Orient), soit deux fois plus qu’en 2014 et quatre fois plus qu’en 2012… en attendant que Riyad décide aussi d’imiter ses voisins.

Quant aux droits de l’homme en Arabie (voir encadré), véritable caillou dans la chaussure de la politique arabe de la France, là encore, Paris et ses fleurons du CAC 40 ont tout prévu. Depuis plusieurs mois, Publicis, dont la principale actionnaire n’est autre que la « philosophe féministe » Élisabeth Badinter, se charge de la « com » du ministre des Affaires étrangères, Adel Al Jubeir. « Edile Consulting, sollicitée après les attentats du 13 novembre, remplit également une mission de relations presse. Quant à Image 7, fondée par l’ancienne attachée de presse de l’Élysée sous Valéry Giscard d’Estaing, Anne Méaux, elle vient de permettre à trois journalistes de couvrir un exercice militaire important dans le nord-est du pays », précisait en avril le magazine économique Challenges. Pour arrondir les angles, enfin, quoi de mieux qu’un diplôme de bonne conduite décerné en personne par le président de la patrie des droits de l’homme. Vendredi 4 mars, François Hollande remettait la Légion d’honneur au prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Nayef, l’intraitable ministre de l’Intérieur de la monarchie salafiste.

les droits de l’Homme en Arabie saoudite Aucun parti politique n’est autorisé. La monarchie est le septième régime le plus autoritaire sur 167 pays évalués. La liberté de religion n’est ni reconnue ni protégée par la loi. La liberté de la presse est inexistante. Le droit des femmes est bafoué. Amnesty International dénonce le système pénal saoudien et des châtiments sévères. Une exécution par jour depuis le début de l’année.

Stéphane Aubouard, L’Humanité


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message