Turquie : Un Etat nation au chauvinisme primaire et sanglant

jeudi 22 septembre 2016.
 

A) Un chauvinisme primaire

par Eyyup Doru, diplômé de l’Institut d’études européennes de l’université Paris-VIII

Plus que jamais la situation en Turquie alarme les progressistes, avec l’évolution guerrière contre le peuple Kurde aujourd’hui.

Dernièrement, c’est aussi ce coup d’État qui s’est produit alors que la Turquie est engagée depuis plusieurs années dans un terrible engrenage de violence.

Que faut-il comprendre derrière tous ces évènements ?

D’abord, il nous faut prendre en compte l’AKP (islamo-conservateur) qui porte un projet civilisationnel qu’il entend imposer à l’ensemble de la société. Il affiche un objectif d’enterrer le statu quo kémaliste avec son « laïcisme », sur la base du nationalisme, en tentant de réhabiliter le passé ottoman autour d’une synthèse qui exalte autant le néolibéralisme, la turcité et l’islam afin de redevenir « le centre du monde arabo-musulman » voire une puissance mondiale.

Pour R.T. Erdogan, la Turquie serait jalousée pour sa gloire passée et la Première Guerre mondiale n’aurait pas eu d’autres objectifs que de détruire les legs ottomans. C’est donc, dans la perspective d’un retour de la Turquie, que le pouvoir actuel se restructure autour de positions guerrières à l’intérieur même et à l’extérieur du pays.

Pour cela, il a entrepris une restructuration de la société en interférant dans la vie privée des citoyens, en imposant une domination sur les corps d’état et en multipliant les injonctions moralisatrices sur les modes de vie dont les femmes sont les premières victimes.

Un objectif est affiché, celui de remodeler les institutions afin de mettre en place un système présidentiel sans contre-pouvoir, ni mécanisme de contrôle et identifiant l’Homme providentiel à la Nation. C’est ainsi que progressivement, R.T. Erdogan a vidé les institutions de leur sens et a dé institutionnalisé l’État en se transférant à lui-même toutes les légitimités. Le plus inquiétant est le fait que R.T. Erdogan a fait explicitement référence au nazisme comme source d’inspiration.

Cette politique suscite une extrême polarisation de la société et une forte opposition. Elle s’est exprimé lors des évènements de Gezi mais surtout à l’occasion des législatives de juin 2015. R.T. Erdogan y a subi un revers sérieux. Avec 13 %, le HDP, formation progressiste qui porte toute la diversité de la Turquie, fait perdre la majorité absolue à l’AKP et empêche de réformer la Constitution.

Face à cet affront du peuple Turc, pour gagner les élections qu’il a perdues, R.T. Erdogan convoque un nouveau scrutin et plonge son pays dans le chaos en écrasant toutes les voix discordantes. Les médias sont mis au pas avec la fermeture de journaux, de TV et le blocage des réseaux sociaux. Les arrestations pleuvent contre les journalistes et notamment Can Dündar, les intellectuels, les élus kurdes, les syndicalistes… Les appels à la violence se multiplient pour dénoncer les « traîtres » du HDP assimilés à des terroristes. Les atteintes aux libertés n’ont plus de limites et se multiplient, les attentats contre les Kurdes ou les assassinats comme le bâtonnier de Diyarbakir, Tahir Elçi.

La société entre alors dans une dynamique de désintégration, de fragmentation et de radicalisation dans laquelle les marges de manœuvre de l’opposition se restreignent.

R.T Erdogan entend également faire payer aux Kurdes et à son responsable charismatique S.Demirtas sa défaite en déclenchant une guerre civile au Kurdistan. De vastes opérations militaires sont lancées contre le PKK et des dizaines de villes. Elles sèment la mort, l’exode et la destruction comme à Cizré. Des crimes contre l’Humanité s’y produisent. L’immunité parlementaire des députés du HDP a été levée. Cette violence s’exerce contre le leader A. Öcalan, à l’isolement dans la prison d’Imrali, et dont nous n’avons aucune nouvelle.

Ce qui est à souligner c’est qu’en soutenant les djihadistes de l’État islamique dans sa volonté de détruire le Rojava, R.T. Erdogan est parvenu aussi à importer la violence sur son propre territoire.

La tentative de coup d’État militaire de juillet s’est produite dans ce contexte et tous les démocrates se réjouissent de son échec. Mais dans ce sillage, R.T. Erdogan organise un contre coup d’État civil pour accélérer l’avènement de son projet politique.

Avec la mise en place de l’état d’urgence, il dispose aujourd’hui de tous les pouvoirs. Des purges gigantesques (60 à 70 000 personnes) frappent l’armée, la justice, l’éducation, les médias… sur la base de listes préétablies. Plus de 10 000 arrestations ont eu lieu. Ces éliminations ne visent pas à rétablir l’État de droit mais à saper les fondements même des institutions, à museler l’opposition et la réduire au silence, à frapper les imaginations et à instaurer la peur. Des purges s’étaient déjà produites en 2008 et 2013.

Combien de temps la France et l’Union Européenne vont-elles encore soutenir un tel régime qui se livre à un chantage sur les migrants, viole les Droits Humains et massacre les Kurdes ?

Quelle indignité ! Quelle lâcheté ! Les communistes sont aux côtés de tous les démocrates de Turquie et pleinement solidaires des Kurdes qui paient à nouveau un lourd tribut.

Il faut dire : « Stop à Erdogan ! » Réinstaurer la démocratie et le processus de Paix !

C’est ce qu’ils exprimeront avec leur journal par un grand moment de solidarité à l’occasion de la Fête de l’Humanité.

B) « Stop Erdogan  ! »

par Sylvie Jan Présidente de l’association France-Kurdistan

France-Kurdistan a lancé à la Fête de l’Humanité une campagne nationale intitulée « #Stop Erdogan  ! » Pourquoi faut-il le stopper  ? Parce que se joue dans cette région l’avenir du monde et cela nous concerne directement. Erdogan est engagé dans une guerre totale contre les populations kurdes, tout particulièrement celles qui ont opté pour des villes à direction démocratique et dont les maires sont aujourd’hui destitués, emprisonnés. Des crimes effroyables ont été commis contre les populations et chaque jour qui se lève annonce des arrestations et des purges dans tout le pays. Cette dictature donne à voir son vrai visage et, si personne ne l’arrête, non seulement elle s’installera, mais elle s’étendra.

Au cœur d’une région déjà dévastée, Erdogan viole toutes les lois internationales en occupant maintenant le nord de la Syrie, le Rojava, zone tenue par des forces kurdes. Et après  ? Que voudra-t-il  ? Quelles alliances de circonstances obtiendra-t-il  ? Alors qu’Obama vient de renforcer comme jamais l’armée israélienne à coups de milliards, quelles alliances possibles peuvent se jouer entre ces deux prédateurs amis  ? Renforcer les budgets des armées sert à renforcer la guerre, jamais la paix.

C’est donc une affaire sérieuse, terriblement dangereuse. Les forces de Daech, dont Erdogan n’a pas hésité à se rendre complice, se trouveront elles aussi renforcées dans une région où la pauvreté, les humiliations seront encore exacerbées, les tensions multipliées. Nous avons déjà vécu les conséquences internationales que ce rapport de forces entraîne. Alors oui, il faut le stopper. Dire « Stop Erdogan  ! » est-ce crédible  ? En restant lucides sur les difficultés, nous constatons qu’une partie de l’opinion publique française est en train d’évoluer. Non seulement à l’égard du peuple kurde, qui a fait ses preuves de courage et d’humanité, en particulier contre Daech, mais aussi à propos d’Erdogan lui-même. Alors que celui-ci bénéficiait il y a encore peu de temps d’un certain crédit, apprécié comme le dirigeant d’un État stable, « sûr », il est de plus en plus perçu pour ce qu’il est devenu, un homme dangereux, qui met à mal la Turquie. Près d’une centaine de débats tenus par notre association ces deux dernières années en France, dans des milieux populaires et universitaires, nous amènent à percevoir cette évolution.

Ces derniers temps, les militants pro-Erdogan en France, sur la défensive, tentent d’ailleurs d’empêcher de telles rencontres. Qui peut s’approprier cette campagne  ? Déjà tous ceux qui ont réagi à la répression en Turquie mais de façon catégorielle. Les universitaires ont soutenu les universitaires, les journalistes ont soutenu les journalistes, les avocats, les syndicalistes…

Si nous voulons tous prendre de la force dans la diversité de nos motivations, il faut nous faire entendre ensemble. Nous sommes dans ce moment politique. Agissons ensemble. Nous avons un autre atout, ce sont nos interlocuteurs sur place. Les progressistes de Turquie, turcs et kurdes, et ceux du Rojava sont courageux et déterminés. Abdullah Öcalan vient de lancer un appel à poser les armes et à reprendre les négociations parce qu’il n’y a pas de solution militaire. Pour y parvenir, il y a besoin d’une opinion publique qui croit en sa propre force et s’impose dans le débat. La paix a besoin de pressions internationales, de la voix des peuples.

Obtenons de la France qu’elle change d’attitude et qu’elle soutienne réellement les forces de paix dans cette région. La politique internationale devrait s’imposer dans les débats de l’élection présidentielle et des élections législatives. Nous sommes des millions en France à aimer la Turquie. Ne la laissons pas s’engloutir dans le sang. Les forces de paix sont en chacun et chacune de nous. Dites à votre tour « Stop Erdogan  ! »

C) Folie meurtrière

par Laurent Péréa Responsable adjoint du secteur international du PCF

Plus que jamais la situation en Turquie alarme les progressistes, avec l’évolution guerrière contre le peuple Kurde aujourd’hui.

Dernièrement, c’est aussi ce coup d’État qui s’est produit alors que la Turquie est engagée depuis plusieurs années dans un terrible engrenage de violence.

Que faut-il comprendre derrière tous ces évènements ?

D’abord, il nous faut prendre en compte l’AKP (islamo-conservateur) qui porte un projet civilisationnel qu’il entend imposer à l’ensemble de la société. Il affiche un objectif d’enterrer le statu quo kémaliste avec son « laïcisme », sur la base du nationalisme, en tentant de réhabiliter le passé ottoman autour d’une synthèse qui exalte autant le néolibéralisme, la turcité et l’islam afin de redevenir « le centre du monde arabo-musulman » voire une puissance mondiale.

Pour R.T. Erdogan, la Turquie serait jalousée pour sa gloire passée et la Première Guerre mondiale n’aurait pas eu d’autres objectifs que de détruire les legs ottomans. C’est donc, dans la perspective d’un retour de la Turquie, que le pouvoir actuel se restructure autour de positions guerrières à l’intérieur même et à l’extérieur du pays.

Pour cela, il a entrepris une restructuration de la société en interférant dans la vie privée des citoyens, en imposant une domination sur les corps d’état et en multipliant les injonctions moralisatrices sur les modes de vie dont les femmes sont les premières victimes.

Un objectif est affiché, celui de remodeler les institutions afin de mettre en place un système présidentiel sans contre-pouvoir, ni mécanisme de contrôle et identifiant l’Homme providentiel à la Nation. C’est ainsi que progressivement, R.T. Erdogan a vidé les institutions de leur sens et a dé institutionnalisé l’État en se transférant à lui-même toutes les légitimités. Le plus inquiétant est le fait que R.T. Erdogan a fait explicitement référence au nazisme comme source d’inspiration.

Cette politique suscite une extrême polarisation de la société et une forte opposition. Elle s’est exprimé lors des évènements de Gezi mais surtout à l’occasion des législatives de juin 2015. R.T. Erdogan y a subi un revers sérieux. Avec 13 %, le HDP, formation progressiste qui porte toute la diversité de la Turquie, fait perdre la majorité absolue à l’AKP et empêche de réformer la Constitution.

Face à cet affront du peuple Turc, pour gagner les élections qu’il a perdues, R.T. Erdogan convoque un nouveau scrutin et plonge son pays dans le chaos en écrasant toutes les voix discordantes. Les médias sont mis au pas avec la fermeture de journaux, de TV et le blocage des réseaux sociaux. Les arrestations pleuvent contre les journalistes et notamment Can Dündar, les intellectuels, les élus kurdes, les syndicalistes… Les appels à la violence se multiplient pour dénoncer les « traîtres » du HDP assimilés à des terroristes. Les atteintes aux libertés n’ont plus de limites et se multiplient, les attentats contre les Kurdes ou les assassinats comme le bâtonnier de Diyarbakir, Tahir Elçi.

La société entre alors dans une dynamique de désintégration, de fragmentation et de radicalisation dans laquelle les marges de manœuvre de l’opposition se restreignent.

R.T Erdogan entend également faire payer aux Kurdes et à son responsable charismatique S.Demirtas sa défaite en déclenchant une guerre civile au Kurdistan. De vastes opérations militaires sont lancées contre le PKK et des dizaines de villes. Elles sèment la mort, l’exode et la destruction comme à Cizré. Des crimes contre l’Humanité s’y produisent. L’immunité parlementaire des députés du HDP a été levée. Cette violence s’exerce contre le leader A. Öcalan, à l’isolement dans la prison d’Imrali, et dont nous n’avons aucune nouvelle.

Ce qui est à souligner c’est qu’en soutenant les djihadistes de l’État islamique dans sa volonté de détruire le Rojava, R.T. Erdogan est parvenu aussi à importer la violence sur son propre territoire.

La tentative de coup d’État militaire de juillet s’est produite dans ce contexte et tous les démocrates se réjouissent de son échec. Mais dans ce sillage, R.T. Erdogan organise un contre coup d’État civil pour accélérer l’avènement de son projet politique.

Avec la mise en place de l’état d’urgence, il dispose aujourd’hui de tous les pouvoirs. Des purges gigantesques (60 à 70 000 personnes) frappent l’armée, la justice, l’éducation, les médias… sur la base de listes préétablies. Plus de 10 000 arrestations ont eu lieu. Ces éliminations ne visent pas à rétablir l’État de droit mais à saper les fondements même des institutions, à museler l’opposition et la réduire au silence, à frapper les imaginations et à instaurer la peur. Des purges s’étaient déjà produites en 2008 et 2013.

Combien de temps la France et l’Union Européenne vont-elles encore soutenir un tel régime qui se livre à un chantage sur les migrants, viole les Droits Humains et massacre les Kurdes ?

Quelle indignité ! Quelle lâcheté ! Les communistes sont aux côtés de tous les démocrates de Turquie et pleinement solidaires des Kurdes qui paient à nouveau un lourd tribut.

Il faut dire : « Stop à Erdogan ! » Réinstaurer la démocratie et le processus de Paix !

Dossier de l’Humanité, 19 septembre 2016


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