Macron. Les vieilles ficelles mises à nu

samedi 8 octobre 2016.
 

Moderne, Emmanuel Macron  ? C’est du moins ce qu’affirment ses zélateurs, qui vantent ses talents de visionnaire et son pragmatisme décomplexé. En réalité, l’ex-ministre ne fait que recycler des poncifs vieux de trente ans. Dans « Introduction inquiète à la Macron-économie », deux économistes déconstruisent le mythe point par point.

Emmanuel Macron tel qu’en lui-même. Les deux économistes Thomas Porcher et Frédéric Farah ont décidé de passer au crible (1) 13 déclarations publiques de l’ancien banquier, pour mieux mettre à nu la pensée économique du candidat. Bilan  : une mayonnaise libérale peu digeste, relevée d’une pointe de modernisme. Premier procédé utilisé abondamment par Emmanuel Macron, la comparaison entre la France, bastion supposé de l’immobilisme, et d’introuvables modèles étrangers  : « La grande différence entre la France et le Royaume-Uni dans les années 1980, c’est que nous n’avons pas assuré les réformes à l’époque », explique-t-il par exemple à la BBC le 14 mars 2015. Une vieille ficelle, rappellent les deux auteurs  : « Tour à tour, en fonction des époques, des États étrangers ont été érigés en exemples à suivre. Ainsi fallait-il être japonais dans les années 1980, anglais dans les années 1990, allemand dans les années 2000, pour finir danois à partir de 2010. »

Flexibiliser toujours

Mais la France, accablée de tous les maux, est-elle si rigide  ? Évidemment, non, et les deux économistes retracent le virage libéral pris par la France sur les chapeaux de roue dès les années 1970  : baisse des salaires (leur part dans la valeur ajoutée nationale a chuté de 10 points de pourcentage entre 1976 et 2008), recours à l’emploi précaire (avec la légalisation de l’intérim en 1972) et baisse de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, qui passe de 50 % à 33 % au début des années 1990.

Résultats des courses, trente ans après  : « La France a transformé son économie sans rien avoir à envier au modèle thatchérien, estiment les deux auteurs. L’emploi s’est réduit de moitié dans le secteur public entre 1985 et 2000, les grandes entreprises publiques ont été privatisées totalement ou en partie à partir des années 1990, l’État stratège s’est progressivement effacé, les syndicats ont connu une baisse de leurs effectifs, le taux de chômage et les inégalités n’ont cessé d’augmenter. »

L’ambitieux Macron ne vise pas seulement à flexibiliser encore et toujours (« le statut de fonctionnaire est de moins en moins défendable », affirme-t-il en septembre 2015), il voudrait aussi faire advenir une société nouvelle, qui récompense enfin la prise de risque à sa juste valeur. « Je n’aime pas ce terme de modèle social », lance-t-il en toute franchise lors d’un discours au ministère des Finances. Pourquoi  ? Parce que ce satané modèle « bride » l’esprit d’entreprise et étouffe les rêves entrepreneuriaux… Alors même que les jeunes Français, à en croire Macron, devraient cesser de « tout attendre de l’État » pour adhérer aux récits enchantés promus par le capitalisme américain. « Il faut des jeunes Français qui aient envie d’être milliardaires », clame-t-il ainsi, avec Mark Zuckerberg, PDG de Facebook en ligne de mire. Là aussi, l’illusion est dangereuse  : faire gonfler le nombre de milliardaires – en admettant qu’il suffise de vouloir être riche pour le devenir – ne fera pas mécaniquement le bonheur de tous.

Les parts du gâteau

« Cette théorie est souvent représentée par la métaphore du gâteau, expliquent les auteurs  : si vous donnez plus aux riches, vous faites grossir le gâteau et, même si les tranches sont de tailles inégales, la part est plus grosse pour tout le monde en valeur absolue. Cependant, les faits montrent les limites de cette théorie. Même le FMI souligne dans ses travaux qu’une augmentation de 1 point de PIB du revenu des pauvres et des classes moyennes se traduit par une progression de la croissance pouvant aller jusqu’à 0,38 point de PIB sur cinq ans. En revanche, une augmentation de 1 point de PIB du revenu des riches se traduit par une baisse de 0,08 point de PIB. Ces résultats s’expliquent principalement par le fait que les super-riches ne consomment qu’une infime partie de leur revenu, quand les classes moyennes ou pauvres en consomment la quasi-totalité. »

Cyprien Boganda, Humanité Dimanche

(1) « Introduction inquiète à la Macron-économie », de Thomas Porcher et Frédéric Farah. Éditions les Petits Matins, à paraître le 3 octobre.


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