Le Pen et l’école

mercredi 30 novembre 2016.
 

A l’occasion de sa Convention présidentielle sur l’école, Marine Le Pen a exposé le 22 septembre dernier ses principales vues en matière de politique éducative. Après la création du collectif d’enseignants frontistes Racine, la mise en scène de figures réactionnaires telles que Jean-Paul Brighelli lors des universités d’été du Front national, il s’agit d’une étape de plus dans l’agenda de la dirigeante d’extrême droite.

Depuis plusieurs années en effet, le Front national prend politiquement pied sur le terrain des questions éducatives. L’arrivée de maires frontistes dans une dizaine de communes en 2014 l’a conduit à mettre en oeuvre un certain nombre de mesures et les élu-es d’extrême droite prennent également position à travers leurs votes dans les collectivités où ils siègent.

Une école du tri social au service de l’oligarchie

L’école du FN c’est l’école du tri. A chaque âge, le programme frontiste resserre les mailles d’un tamis social destiné à écarter une proportion croissante d’élèves de la poursuite d’étude. Premier filtre, dès 12 ans. Le FN propose une « 5ème de prédétermination ». En guise de « solution concrète » aux problèmes de l’école, Marine Le Pen souhaite en effet « en finir avec le dogme du collège unique ». Au lycée, c’est la « refondation de la série S », c’est-à-dire la réduction du nombre de lycéen-nes pouvant y accéder, qui serait mise en oeuvre. Quant au baccalauréat, l’objectif est de parvenir à « une baisse du taux de bacheliers » et ainsi de limiter l’accès aux études supérieures. A l’université d’ailleurs, le principe de sélection serait introduit en licence et en Master.

Pour les frontistes, tous les élèves ne sont pas éducables. L’essentialisme qui caractérise la vision du monde de l’extrême droite se prolonge dans son rejet des « dogmes de la pédagogie » et d’un combat d’arrière garde contre les « polypédagogistes » (sic). Car à quoi bon s’intéresser aux méthodes permettant aux enseignants de faire progresser leurs élèves dès lors que la conservation de l’ordre social l’emporte sur toute finalité collective ? Récupérant à son compte le vocabulaire des libéraux en faisant de l’« égalité des chances » la seule ambition de sa politique éducative, le FN propose une école de l’entre soi où l’éviction des uns garantie les intérêts de l’oligarchie, sa reproduction et la conservation d’un ordre immuable.

Car l’école du FN est une école de l’élimination. Pour ceux qu’elle considère inaptes à la poursuite d’étude, Marine Le Pen propose de rétablir l’apprentissage dès 14 ans. Avec la cohérence libérale qui la caractérise, elle répond ainsi à une vieille revendication du MEDEF, toujours disposé à recevoir une main d’oeuvre gratuite en abondance. Le développement de l’apprentissage est en effet pensé dans le cadre d’un « partenariat étroit avec les entreprises » visant à garantir que « l’entreprise trouve pleinement intérêt » pour « répondre efficacement à l’offre d’emploi » (proposition 18 du collectif Racine).

Austérité et guerre aux pauvres

Soumis au dogme libéral, le FN affiche dans son programme pour l’école de 2012, toujours en ligne sur son site internet, son « soucis de responsabilité budgétaire ». Il s’engage ainsi à ce qu’il n’y ait pas « de créations de postes supplémentaires » – alors même que le nombre d’élèves ne cesse de croitre depuis 2010 – et prépare des « efforts de réduction d’effectifs (…) concentrés sur l’administration centrale ». La politique de l’extrême droite a la caractéristique d’être parfaitement compatible avec l’austérité. Quand Marine Le Pen dénonce les amphithéâtres « surpeuplés » de certaines universités, elle y réponds par davantage de sélection et non par davantage de moyens.

De même, les propositions du collectif Racine rejoignent-elles celles des candidats à la primaire Les Républicains en définissant des obligations de service des enseignants en « optima d’horaires d’enseignements » (proposition 74) et non en maxima comme c’est aujourd’hui le cas. Cette mesure reviendrait à rendre possible une augmentation du temps de travail des professeurs alors même que les engagements frontistes en matière salariale demeurent particulièrement floues (« hisser les enseignants français au niveau de la moyenne européenne »).

Dans l’école du FN, si les dépenses doivent être maitrisées, les pauvres sont une charge. C’est ce que révèlent les politiques anti-sociales menées dans les collectivités frontistes. Au Pontet, en juillet 2014, le maire frontiste annonce la fin de la gratuité de la restauration scolaire pour les plus pauvres. A Villers-Cotterêts, en septembre 2014, les frais de restauration scolaire sont augmentés. A Mantes la Ville, l’arrivée du FN à la mairie s’accompagne de la fin de la gratuité du périscolaire. Partout, les notables d’extrême droite, dociles aux sacro-saintes règles budgétaires dictées par les traités européens, s’en prennent à ceux qui n’ont comme richesse que le service public d’éducation. C’est dans cette continuité que s’inscrit le collectif Racine en proposant la suspension des allocations familiales aux parents dont le comportement des enfants traduirait « un défaut d’éducation » (proposition 57). Quant à la proposition 62 du collectif Racine, prévoyant une véritable peine d’ostracisme – une mesure d’éloignement des élèves les plus difficiles dans un internat situé à au moins 100 kilomètres de leur établissement d’origine (sic) -, elle semble faire écho au programme d’expulsion généralisée des immigrés que le FN appelle de ses voeux.

Obsession anti-musulmane et dévoiement de la laïcité

A Beaucaire, en septembre 2014, le Maire s’inquiète de la présence de « 22 nouveaux enfants étrangers » sur le sol de sa commune. A Béziers, Robert Ménard engage en 2015 le recensement des élèves sur la base de critères ethniques et religieux afin d’identifier la part d’enfants considérés comme musulmans scolarisés dans sa ville. L’école du tri de l’extrême droite est aussi celle de la mise à l’écart de certain-es élèves en fonction de leur origine géographique ou de leur appartenance culturelle supposée. Marine Le Pen s’inscrit pleinement dans l’obsession anti-musulmane qui caractérise la politique scolaire des élus locaux d’extrême droite en demandant l’interdiction du voile à l’université.

Au coeur de ce programme, la laïcité n’est évoquée qu’à des fins xénophobes et cesse d’être revendiquée dès que les intérêts de l’Eglise catholique sont en jeu. Ainsi, le FN ne prévoit pas de revenir sur la loi Carle et s’érige en fervent défenseur du Concordat qui permet le financement de cours de religions dans les établissements scolaires publics de trois départements français. De même, le collectif Racine s’engage à « préserver les spécificités des établissements privés sous contrats tels que définies par la loi Debré » (proposition 78). En Ile-de-France et en Auvergne-Rhône-Alpes par exemple les élu-es régionaux votent en faveur des aides à l’investissement octroyées à l’enseignement privé. Dès lors il lui est aisé de s’ériger en défenseur de la nécessaire « neutralité » des établissements scolaires en revenant sur… les menus de substitutions dans les cantines scolaires (proposition 48).

Minimalisme et utilitarisme : un programme éducatif libéral

Dans l’école rêvée du FN, réduite à l’étude « du français et du calcul » l’utilitarisme règne. L’orientation des élèves doit ainsi reposer sur« une information détaillée et fournie sur les voies professionnelles porteuses en termes de débouchés réels » (proposition 16). La revalorisation de la voie professionnelle doit conduire à la mise en « adéquation avec les besoins du marché de l’emploi » (proposition 40), une mesure rappelant les Campus des métiers créés par Vincent Peillon en 2014.

Cette soumission de l’école aux intérêts patronaux se poursuit avec les propositions du collectif Racine visant à élargir l’autonomie des établissements au primaire. Les directeurs d’écoles verraient leurs prérogatives renforcées et seraient appelés à multiplier à l’échelle locale les « partenariats avec le monde économique, social et culturel ». Dans cette école territoriale que le FN finirait de parachever, la soumission des enseignants aux tutelles locales irait de pair avec une remise en cause du principe de liberté pédagogique. Ainsi, en primaire, le collectif Racine veut-il « faire de la méthode syllabique la seule méthode reconnue comme norme » (proposition 4).

Dès lors, la défense des « fondamentaux » rejoint un projet d’école minimale, parfaitement compatible avec l’idéologie du socle commun mise en place par la droite et développée par le Parti socialiste. Les disciplines non immédiatement exploitables par le marché n’ont plus leurs places. L’enseignement de philosophie serait ainsi supprimé en série technologique (proposition 47). Les voies professionnelles et technologiques au lycée seraient « rapprochées » c’est à dire fusionnées (proposition 41).

Mis en oeuvre, le programme frontiste, programme d’appauvrissement éducatif, conduirait ainsi à la disparition de filières de formation dont les spécificités techniques et professionnelles sont sources de qualifications et des droits sociaux qui leurs sont associés dans les conventions collectives. Il provoquerait la disparition de savoirs faire et de métiers indispensables à, par exemple, la transition écologique de notre économie.

L’application des propositions du collectif Racine, témoignages d’une vision rabougrie du savoir, constituerait aussi une atteinte aux fondements scientifiques des enseignements disciplinaires. Elle conduirait à substituer à l’enseignement de l’histoire celui d’un « roman national » (proposition 10). A faire prévaloir en littérature une vision étriquée réduisant l’étude des oeuvres à celles du « patrimoine culturel national » (proposition 8). Dès lors, il ne s’agirait plus d’éduquer l’esprit critique des élèves mais de les formater au nom d’une identité nationale folklorisée.

Le projet éducatif du Front national est donc parfaitement conforme au projet libéral. Il renverse les finalités de l’école. Il ne s’agit plus d’éduquer des consciences émancipées, libres et autonomes mais de préparer des individus employables, aux compétences directement exploitables sur le marché.

Une leçon pour notre camp : ne pas abandonner le terrain de la critique

En achevant la lecture des « 100 propositions » du collectif Racine, force est de constater qu’elles portent l’abrogation de la contre-réforme du collège, de la contre-réforme du bac pro en trois ans et propose par exemple de mettre fin aux « rendez vous de carrière » qui fondent le projet de contre-réforme de l’évaluation des enseignants de Najat Vallaud Belkacem.

Nous savons le cadre dans lequel ces prises de positions s’inscrivent. Nous venons de le décrire. Mais lorsque le Front national prône l’abolition de la « logique des « cycles » et des « compétences » », au delà de l’opportunisme qui caractérise sa tactique, il rejoint les positions de nombre d’enseignants, majoritairement opposés aux politiques conduites ces dix dernières années.

Comment l’extrême droite a-t-elle ainsi pu s’installer sur un terrain dont elle était, il y a quelques années encore, sinon absente du moins marginalisée ?

La responsabilité première échoit au gouvernement dont la politique de renoncement et de reniement a suscité tant de trouble et de désespérance chez nombre de ceux qui, après le quinquennat d’airain de Nicolas Sarkozy, attendaient un changement.

Mais, la responsabilité est peut être aussi à chercher du côté de celles et ceux qui, pour partie occupée à mener le légitime et nécessaire combat contre le camp réactionnaire, ont laissé de côté l’indispensable critique de la politique conduite par le Parti socialiste. Alors que depuis 2012 , François Hollande portait gravement atteinte aux principes d’égalité, de gratuité, de laïcité, inscrivait sa politique dans le cadre de l’austérité et que les dégradations des conditions d’apprentissage des élèves n’ont cessé de se dégrader, on assista à une soudaine mise en sourdine d’une certaine critique de gauche qui s’était pourtant jusqu’alors souvent fait entendre sur le terrain éducatif.

Dès lors, dans un contexte de rapprochement idéologique entre la droite et l’extrême-droite, le rôle de premier opposant fût abandonné aux responsables politiques du camp réactionnaire, à ses intellectuels organiques et à sa presse. Le débat autour de la contre-réforme du collège fut de ce point de vue emblématique. Alors que la droite et l’extrême-droite portaient l’essentiel de leurs attaques sur le terrain de la réforme des programmes (en partie distincte mais concomitante), le Parti socialiste piétinait une opposition syndicale isolée par les procès en corporatisme. En dehors de quelques prises de positions, comme celles du Parti de Gauche, celle-ci fût en effet laissée seule face au gouvernement alors qu’elle portait un combat d’intérêt général. L’apathie critique du camp progressiste a ainsi donné l’occasion au PS d’imposer sa politique par décret, avec la brutalité dont il est coutumier, au lendemain d’une journée de grève suivie à plus de 50%. Cette contre-réforme aurait du être bien plus largement combattue par les partisans de l’école de l’égalité et de l’émancipation sans qu’il aient pour autant eu à renoncer à la confrontation avec une droite extrémisée et une extrême-droite dédiabolisée.


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