Le Monde : manipulations en Syrie contre Mélenchon

jeudi 5 janvier 2017.
 

« MM. Fillon et Mélenchon doivent enfin s’exprimer sur la reprise de Palmyre par Daech ». Le titre a valeur d’injonction et la note que Jean-Pierre Filiu publie le 30 décembre sur son blog Le Monde et que le journal s’empresse de relayer en Une de son site ne laisse pas de place au doute : le quotidien de l’après-midi entend terminer l’année comme il l’a commencée, par une propagande de la plus mauvaise foi à l’encontre de Jean-Luc Mélenchon, et, l’occasion faisant le larron, par une pique adressée à François Fillon maintenant que le journal a fait d’Emmanuel Macron son nouvel étendard. Mais une fois encore, à mordre le trait pour assouvir leurs desseins prosélytes, Le Monde et les donneurs de leçons qu’il entretient laissent apparaître à leur corps défendant l’impasse de la pensée unique qu’ils véhiculent.

Passons tout d’abord sur les piques gratuites que Jean-Pierre Filiu se croit tenu de pouvoir énoncer à l’encontre de Jean-Luc Mélenchon : là il s’agit de « l’Insoumis auto-proclamé », plus loin de « son narcissisme coutumier » ou encore qu’il « s’approprie sur son blog la reconquête de Palmyre ». Bref, autant d’arguments ad hominem qui, chacun en conviendra, donnent crédit à la thèse véhiculée par celui qui, en tant que professeur des universités, fait le choix d’élever le débat.

Revenons plutôt sur l’objet de l’article : Jean-Luc Mélenchon et François Fillon seraient tenus de s’exprimer sur « la reprise de Palmyre par Daech ». Plus précisément, Jean-Pierre Filiu les enjoint à ce « qu’ils expliquent clairement pourquoi Palmyre signifiait tant en mars et ne signifie plus rien en décembre ». La réponse est dans la question : en mars et en décembre. Jean-Pierre Filiu peut bien utiliser ce qui se passe en Syrie et alentours pour servir sous le masque de l’universitaire une campagne présidentielle en France, il ne peut pas faire comme si ce n’était pas une guerre qui avait lieu en Syrie. Une guerre avec ses objectifs stratégiques, définis à un instant t, son déploiement de forces au regard des différents fronts, et les capacités de projection que cela donne. La reconquête de Palmyre en tant que point d’appui en mars a permis d’attaquer Daech sur d’autres fronts. Aurait-il alors fallu ne pas libérer la ville lorsque c’était possible ? La ville a-t-elle été aujourd’hui rendue par Assad et les russes à Daech ou ceux-ci l’ont-ils reconquise ? Les offensives menées depuis sur de nouveaux fronts contre Daech perdent-elles tout intérêt stratégique parce qu’elles privent Palmyre de la capacité à résister ? Au contraire, la mise en exergue de Jean-Pierre Filiu livre à Daech exactement ce qu’il attend : un symbole pour masquer son repli.

Allons bon : l’historien n’a-t-il pas en mémoire ces rivières traversées, ces bosquets regagnés, ces villes reconquises, puis reperdues, et bien souvent regagnées, du fait des assauts répétés des uns et des autres et des objectifs globaux qui débordent les stratégies partielles ? Chalon, Verdun, Sedan et toutes les autres n’ont-elles pas subi la marée montante prussienne ou allemande en 1870 ou en 1914, avant que de profiter du ressac jusqu’à l’offensive d’après ? Et la reconqûete de Palmyre dont Jean-Pierre Filiu dénie par ailleurs l’importance stratégique et symbolique devrait alors faire figure d’aboutissement ? Face à cette contradiction, Palmyre apparaît bel et bien comme un vulgaire prétexte à la diatribe politique de Jean-Pierre Filiu dès lors qu’il refuse d’examiner le problème dans sa globalité et le conflit pour ce qu’il est : une guerre, complexe, aux adversaires et fronts multiples.

Pourtant, c’est ce qui permet à Jean-Pierre Filiu de pouvoir sur ces bases s’en donner à cœur joie par des jeux de rhétorique indignes du sachant qu’il est. Ainsi, son exposé commence-t-il par ce mesquin « François Fillon et Jean-Luc Mélenchon […] n’ont pas ménagé leur énergie pour contester les orientations de la France et sa volonté de promouvoir en Syrie une troisième voie qui ne soit ni Assad ni Daech ». Ainsi donc, l’effet de style voudrait insinuer que Jean-Luc Mélenchon et François Fillon, par leur « contestation » de l’orientation de la France, soutiennent l’une des autres clairement exprimées : Assad ou Daech. Chacun conviendra de la malhonnêteté intellectuelle du procédé.

Mais Jean-Pierre Filiu ne s’arrête pas là. Il détourne une note de blog de Jean-Luc Mélenchon datant de mars 2016 et, par les coupes et montages qu’il en fait, se tire une balle dans le pied. Dans celle-ci, le candidat de la France Insoumise, dépeint alors par la cabale journalistique comme un émissaire poutinien dans l’hexagone, note que le journal Le Monde qui abrite M. Filiu affirme dans son éditorial du 29 mars 2016 que « grâce à la Russie, l’antique cité de Palmyre a donc été libérée du joug des barbares de l’organisation dite “État islamique”. Un pas important dans la lutte générale contre l’EI a été accompli, à plus d’un titre. » Jean-Pierre Filiu en trouve pourtant usage pour considérer que Jean-Luc Mélenchon « s’approprie avec son narcissisme coutumier » la reconquête de Palmyre, sans que l’on sache au juste en quoi consiste le crime. De développements sur Palmyre, il n’est pas question dans la note de blog en question. Encore moins « de porter aux nues l’importance de la reconquête de Palmyre par Assad et Poutine en mars 2016 » comme l’écrit Jean-Pierre Filiu. Et le même de parler ensuite en connaisseur « d’amalgames ». Pour lui comme pour tant d’autres, peu importe ce que dit Jean-Luc Mélenchon, ce sont les propos qu’ils lui prêtent qui comptent.

Jean-Pierre Filiu termine en regrettant que « les deux candidats à la présidentielle ont été nettement moins éloquents lors de l’abominable siège d’Alep ». Jean-Luc Mélenchon a pourtant exprimé avec force et clarté son appel à la paix comme prisme premier de considération politique dans la revue de la semaine qu’il diffuse désormais de manière hebdomadaire. Trop tard lui lance M. Filiu. Il aurait fallu le faire avant. Quand ? Alors que la seule certitude était que propagande et contre-propagande sur place empêchaient de savoir réellement ce qui se passait ? Il aurait fallu qu’une fois encore, sous le feu médiatique, la politique se pare des atours de la seule compassion pour éviter d’avoir à exprimer une pensée et des actes utiles à la résolution du conflit ? De longue date Jean-Luc Mélenchon appelle à une « coalition universelle pour en finir avec Daech ». Que Jean-Pierre Filiu ne l’ait pas entendu avant prouve simplement qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

En l’espèce, la compréhension et le règlement de ce conflit nécessiteront de sortir de la vision manichéenne que professe Jean-Pierre Filiu à la fin de son article, assénant que Palmyre est « la seule ville que le régime syrien pouvait prétendre avoir « libérée » des mains des jihadistes », ou encore que les Russes sont bien sûr les méchants, eux qui ont « accentué le désordre du retrait des pro-Assad face à Daech » quand « en revanche, ce sont des avions américains qui, le 15 décembre, ont détruit des blindés, que Daech avait pu saisir à Palmyre ». Simple au point d’être simpliste.

L’attaque portée par Jean-Pierre Filiu et à travers lui par le journal Le Monde apporte par contre un double témoignage. Par la virulence de l’assaut et la malhonnêteté des procédés engagés, elle démontre que la dichotomie manichéenne que les bien-pensants cherchent depuis des mois à imposer sur le dossier syrien ne résiste pas à l’épreuve des faits. Les faiseurs d’opinion d’hier en sont donc réduits à manipuler vérité et propos contre celles et ceux qui se sont tenus à distance de la pensée unique. Elle atteste aussi que, l’article se plaçant à dessein dans le cadre de l’élection présidentielle de 2017 et interpellant directement Jean-Luc Mélenchon et François Fillon, ce sont bien là les deux candidats qui sont appelés à s’affronter argument contre argument, tandis que glisse sur les autres l’indifférence relative à la vacuité de leurs propos sur le sujet. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de cet article. Tel est pris qui croyait prendre.


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