L’histoire naturelle, un outil précieux contre l’obscurantisme

dimanche 23 juillet 2017.
 

Dans une tribune au « Monde », Bruno David et Philippe Taquet, du Muséum d’histoire naturelle, expliquent en quoi cette discipline est un remède contre l’affaiblissement du discours scientifique.

A l’heure où le président américain fraîchement élu a décidé du retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat, et où les sciences sont mises à rude épreuve par des obscurantismes de tout bord, le constat est implacable : nous sommes entrés dans une ère de post-vérité qui étend ses ramifications dans de nombreux pays et dans les milieux sociaux les plus divers. Cet affaiblissement du discours scientifique dans l’opinion coïncide avec l’émergence d’un scepticisme global.

Pour endiguer l’extension de ces discours relativistes et ainsi freiner les tentations de soupçons injustifiés ­envers la science, l’histoire naturelle s’avère être un cadre précieux. Discipline d’observation, elle apprend à respecter les faits et à rejeter le dogmatisme. Elle est en cela une école de réalisme et d’humilité. Fondée sur la rationalité, elle doit contribuer à réinstaurer la confiance du public envers les messages scientifiques, confiance indispensable pour que la démocratie puisse penser le long terme, crucial ­notamment sur les questions environnementales. L’histoire naturelle contribue ainsi à construire les principes éthiques qui fournissent des orientations pour la conduite humaine, individuelle et collective. A diverses reprises dans le passé, elle a d’ailleurs tenu une place majeure, contribuant à forger le regard que les sociétés posaient sur le monde qui les entourait et les aidant à mieux se construire.

En ce début de XXIe siècle, il convient d’être capable d’appréhender des échelles de temps et d’espace qui ­dépassent celles de notre quotidien, et dès lors de s’interroger sur l’utilité ­publique de l’histoire naturelle dans un monde de plus en plus instable et secoué par des revendications teintées de sectarisme et d’intolérance.

« NOUS SOMMES ENTRÉS DANS UNE ÈRE DE POST-VÉRITÉ QUI ÉTEND SES RAMIFICATIONS DANS DE NOMBREUX PAYS ET DANS LES MILIEUX SOCIAUX LES PLUS DIVERS »

L’histoire naturelle, source de ­connaissances, observe et compare toutes les composantes du monde ­minéral, végétal et animal, ainsi que la diversité humaine dans ses dimensions biologiques et sociales. Elle a pour rôle d’identifier et de conserver tous les objets de référence constituant le grand « dictionnaire de la nature ». Elle est désormais impliquée dans l’étude de tous les niveaux d’organisation de la matière, de la Terre aux corps célestes, des minéraux aux roches, des génomes aux cellules, des organismes aux écosystèmes. Elle utilise à cette fin les techniques les plus avancées et les plus performantes.

L’histoire naturelle permet de franchir les limites du temps et de l’espace, de retracer et de comprendre l’histoire de la Terre et de la vie, d’inventorier la biodiversité, d’analyser la complexité des écosystèmes, de comprendre l’évolution du monde vivant et de cerner la place de l’Homme sur la planète. Par son action persévérante, elle produit une connaissance rationnelle et objective du monde réel. Elle nous apprend à nous appuyer sur des faits scientifiques collectivement validés et non sur des opinions ou des croyances. Elle éduque les citoyens et le public au cadre théorique général qu’est l’évolution. Science de synthèse, elle fédère les disciplines scientifiques dans une perspective temporelle et historique élargie.

Principes éthiques

L’histoire naturelle occupe une place centrale dans la réflexion sur les relations des humains avec le monde qui les entoure. Elle est au cœur des problèmes actuels de société et de développement. Elle montre l’homme comme un acteur dynamique des transformations de la planète. Elle s’intéresse particulièrement à ce patrimoine commun de l’humanité qu’est la biodiversité, en montrant les fondements de son histoire, en exposant les facteurs de son évolution. Elle alerte sur la perte de la diversité naturelle, elle propose les moyens à mettre en œuvre pour sa nécessaire préservation. Elle crée ainsi une dynamique originale entre le terrain, le laboratoire de recherche et les collections. L’histoire naturelle d’aujourd’hui crée des passerelles entre la science et ses applications. Elle montre les immenses ­potentialités que la biodiversité offre à la recherche fondamentale, pour la médecine, la pharmacologie, l’agronomie ; elle est aussi source de bio-inspiration et d’éco-inspiration.

L’histoire naturelle contribue à définir des principes éthiques qui fournissent des orientations pour la conduite humaine et le devenir de nos sociétés. Elle instruit les décisions à prendre en toute indépendance et elle contribue à ce que la science devienne participative et fasse partie de la culture. Sans l’histoire naturelle, l’homme ne peut construire un futur durable et équilibré sur une planète aux ressources ­limitées et soumise aux aléas climatiques. Avec cette dernière, nous sommes, en tant qu’humains, enracinés dans le monde naturel, et incités à penser en son sein, avec lui, et non pas contre lui. Nous appelons nos élus et nos dirigeants, actuels et futurs, à tenir compte de l’histoire naturelle et de tous les enjeux intellectuels, sociaux, culturels, économiques, éthiques, et vitaux, qu’elle englobe : ils sont indispensables pour penser et construire le monde de demain.

Bruno David, naturaliste spécialisé en paléontologie et en sciences de l’évolution, président du Muséum national d’histoire naturelle.

Philippe Taquet, paléontologue, ancien directeur du Muséum et ancien président de l’Académie des sciences, membre de l’Institut de France, président du comité Histoire naturelle du Muséum.

Philippe Janvier, paléontologue, directeur de recherche émérite au CNRS, membre de l’Académie des sciences.

Luc Abbadie, professeur d’écologie à l’UPMC, directeur de l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris et président du conseil scientifique du Muséum.

Gilles Bœuf, biologiste, professeur à l’UPMC et ancien président du Muséum.

Allain Bougrain-Dubourg, ornithologue, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

Claudine Cohen, philosophe et historienne, spécialiste de l’histoire de la paléontologie, directrice d’études à l’EHESS.

Philippe Descola, anthropologue, professeur au Collège de France et directeur du Laboratoire d’anthropologie sociale (Collège de France/EHESS/CNRS).

Françoise Gaill, biologiste, coordinatrice du comité scientifique de la plateforme Océan et climat, et ancienne directrice de l’Institut écologie et environnement du CNRS.

Jean Gayon, philosophe, historien des sciences et épistémologue, professeur à Paris-I, membre de l’Institut universitaire de France, ancien directeur de l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques.

Thierry Hoquet, professeur en philosophie des sciences à l’université de Nanterre.

Guillaume Lecointre, zoologiste, systématicien et professeur du Muséum.

Yvon Le Maho, écophysiologiste, directeur de recherche au CNRS et membre de l’Académie des sciences.

Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, chercheuse au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement du CEA.

Armand de Ricqlès, paléontologue, ancien titulaire de la chaire de biologie historique et évolutionnisme au Collège de France, ancien professeur de l’université Paris-VII.

Stéphanie Thiébault, archéobotaniste, directrice de l’Institut écologie et environnement (INEE) du CNRS.

Frédérique Viard, biologiste, directrice de recherche au CNRS.


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