Pourquoi 31 millions de personnes n’ont pas voté pour Jean-Luc Mélenchon en 2017 ?

vendredi 24 février 2023.
 

Le matériel et l’idéel

Environ 31 millions de personnes ont adopté une position politique contraire à leurs intérêts matériels et moraux en 2017. On étudie ici les conditions de vie matérielle des Français et on montre que l’aliénation de leur imaginaire politique les empêche de s’arracher, pour une large majorité d’entre eux, à leur asservissement au sein de l’ordre économique et idéologique capitaliste

Il est conseillé de lire ce texte en plusieurs étapes.

En guise d’introduction, un article du Monde diplomatique.

Le leurre des 99 % par Serge Halimi

Source : Le Monde diplomatique août 2017 http://www.monde-diplomatique.fr/20...

(Sur le site, en se reportant directement à la fin de l’article,on constate qu’il est possible d’écouter l’article si l’on ne veut pas se donner la peine de le lire.)

À 100 °C, l’eau bout, c’est certain. Mais mieux vaut ne pas attendre que la vie des sociétés se plie aux lois de la physique. Certes, 1% de la population s’attribue la majorité des richesses produites sur Terre ; cela ne fait pas pour autant des 99 % qui restent un groupe social solidaire, encore moins une force politique en ébullition.

En 2011, le mouvement Occupy Wall Street s’est construit autour d’une idée, d’un slogan : « Nous avons en commun d’être les 99 % qui ne tolèrent plus l’avidité et la corruption des 1 % restants. » Diverses études venaient d’établir que la quasi-totalité des gains de la reprise économique avaient profité aux 1 % d’Américains les plus riches. Ce ne fut ni une aberration historique ni une particularité nationale. Un peu partout, un tel résultat n’a cessé d’être conforté par des politiques gouvernementales. Les projets fiscaux du président français Emmanuel Macron, par exemple, auront pour principaux bénéficiaires « les 280 000 ménages les plus riches, le dernier centile (...) dont le patrimoine est surtout constitué de placements financiers et de parts d’entreprise (1) ».

Est-ce à dire que l’ensemble des autres auraient tant en commun qu’ils pourraient fédérer leurs énergies pour renverser l’ordre établi ? Quand, à défaut d’être soi-même milliardaire, on appartient à la catégorie des privilégiés, il est réconfortant de s’en extraire en fantasmant qu’on relève du même bloc social que les prolétaires. Mais les 99 % mêlent indistinctement les damnés de la terre et une couche moyenne supérieure, assez épaisse, de médecins, d’universitaires, de journalistes, de militaires, de cadres supérieurs, de publicitaires, de hauts fonctionnaires sans qui la domination des 1 % ne résisterait pas plus de quarante-huit heures. Réunir des choux-fleurs et des cerfs-volants dans le grand sac des 99 % rappelle un peu le mythe fondateur américain qui prétend, lui, que tout le monde, peu ou prou, appartient à la classe moyenne, que chacun ou presque est déjà riche ou va le devenir (2).

Or, si l’union fait la force, la cohésion aussi… L’histoire nous a appris que les grands moments de communion, d’unanimisme ne durent pas longtemps. Février 1848, la fraternité, Lamartine, ces barricades défendues indistinctement par des ouvriers et des bourgeois débouchèrent quelques semaines plus tard sur l’affrontement meurtrier qui les opposa lors des « journées de juin » (3). Construire une alliance est déjà difficile, y compris entre deux mouvements progressistes d’un même pays. Imaginer un projet commun, une force politique durable sur une base aussi indifférenciée que « l’humanité moins l’oligarchie » relève au mieux de l’utopie, au pis de la volonté de ne pas choisir, de ne pas trancher. Et, finalement, revient à ne pas faire grand-chose, à moins de ne se consacrer qu’à des droits consensuels, à la maltraitance des enfants et aux accidents de la route.

Pour tout le reste, 99 %, c’est trop.

Serge Halimi

(1) Anne de Guigné, « Les mesures fiscales de Macron profiteront d’abord aux Français les plus riches », Le Figaro, Paris, 12 juillet 2017.

(2) En 2003, 19% des contribuables américains pensaient appartenir à la catégorie des 1% de contribuables les plus riches ; 20 % imaginaient qu’ils la rejoindraient bientôt…

(3) Lire Dominique Pinsolle, « Entre soumission et rébellion », dossier « Que peuvent les classes moyennes ? », Le Monde diplomatique, mai 2012.

Fin de l’article du Monde diplomatique

Commentaires sur l’article : Salaires et patrimoine des Français Le matériel et l’idéel

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Dans plusieurs articles récents, on rencontre cette opposition entre les 99 % de la population la la plus riche et le reste de 1% du reste de la population sans savoir exactement de quoi l’on parle.

Cet article est beaucoup plus précis et se propose de donner une image des conditions de vie matérielle en France. Un certain nombre de chiffres peuvent surprendre : par exemple après la période de scolarité obligatoire, il y a en France autant de personnes actives que de personnes inactives. Autre exemple : 80 % de la population salariée a un emploi précaire. Si les gens étaient cohérents avec leur situation de vie matérielle, 38 millions de personnes auraient dû voterJean-Luc Mélenchon en 2017. Ainsi 31millions de personnes ont adopté une position contraire à leurs intérêts. Pourquoi ? Peut-on y remédier ? autre article tente de répondre à ces questions.

1 – Focus sur les très hauts salaires en France.

Le dernier centile représente en 2007 133 000 personnes qui ont perçu, en moyenne, un salaire brut de 215 600 euros , soit trois fois le salaire moyen des « hauts salaires » ( 70 659 euros ) et près de sept fois le salaire moyen de l’ensemble des salariés à temps complet du secteur privé (près de 32 000 euros).

Même si l’on retrouve des THS dans tous les domaines, trois secteurs en concentrent plus de la moitié. Il s’agit du conseil et de l’assistance (secteur qui inclut l’« administration d’entreprises » avec notamment les holdings, têtes de groupe), des activités financières et du commerce de gros (tableau 1). Ils emploient aussi près de 40 % des « hauts salaires » alors qu’ils représentent moins de 20 % de l’emploi privé total. À l’opposé, trois secteurs rassemblent plus du quart de l’emploi privé (le commerce de détail, la construction et les services opérationnels) mais ne représentent que 10,6 % des « hauts salaires » et 8,5 % des « très hauts salaires ».

Logiquement, le poids des THS est particulièrement important dans les entreprises de plus de 500 salariés puisqu’elles emploient 42 % de cette population, 48 % des « hauts salaires » et seulement 36 % de l’emploi salarié à temps complet du secteur privé. En effet, la taille de l’entreprise est un déterminant du salaire, tout particulièrement pour certaines fonctions comme celle de dirigeant. Néanmoins, les très petites entreprises (TPE), qui représentent un peu plus d’un quart de l’emploi total, emploient 17 % des THS et 16 % des « hauts salaires ». Mais les trois quarts de ces THS sont concentrés dans des TPE de conseil, finance ou commerce de gros qui ne représentent qu’une petite fraction, très spécifique, de l’univers des TPE.

Source : INSEE https://www.insee.fr/fr/statistique...

2 –La répartition des salaires en France

Si l’on examine la dispersion des salaires les plus élevé en France (calculés en équivalents temps pleins) on constate que

30 % des salariés gagnent plus de ... 2 244 euros nets par mois

20 % des salariés gagnent plus de... 2 682 euros nets par mois

10 % des salariés gagnent plus de... 3 544 euros nets par mois

5 % .des salariés gagnent plus de... 4 526 euros nets par mois

1 % des salariés gagnent plus de.... 8 061 euros nets par mois (9 253 € pour les hommes et 6 053€ pour les femmes)

Le salaire mensuel net médian s’élève à 1772 euros (50 % des salariés gagnent plus ou moins ce montant) et le salaire moyen net s’élève à 2225 euros. On constate ainsi que seulement 30 % environ des salariés gagnent plus que le salaire moyen net

Remarquons que chaque tranche de 10 % contient environ 2, 5 millions de salariés.

Source : Observatoire des inégalités http://www.inegalites.fr/spip.php?a... (Le lecteur pourra consulter le tableau complet de la répartition des salaires).

Évidemment ces statistiques ne concernent pas les professions libérales, les commerçants, les artisans, les revenus du patrimoine et du capital mais seulement les revenus salariaux.En considérant que la population active s’élève à environ 28 millions dont environ 25 millions de salariés ( 90 % de la population active environ). Cela signifie que la population active représente 43 % de la population totale.

Une autre raison de relativiser est qu’il s’agit ici d’emplois équivalents temps plein alors que de nombreux salariés sont à temps partiels en sous-emploi. D’après la même source statistique, il y aurait 10 % des salariés qui gagneraient moins de 1200 euros nets par mois. Or il existe en France 8,8 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté (environ 1000 euros nets par mois , 60 % du salaire médian). Ce chiffre fait référence à des travailleurs pauvres, des retraités, des étudiants, des personnes sans emploi percevant une aide sociale).

3 – Le vrai taux de chômage.

Observons, comme l’a fait remarquer le magazine L’usine nouvelle concernant le taux de chômage que « Le vrai taux de chômage en France, c’est 19,2%. Si l’on rapporte le nombre total de chômeurs à la population active, c’est bien ce taux que l’on obtient. Rendons-nous compte que 5,5 millions de personnes sur un total de 28,6 millions de personnes en âge de travailler (dans les statistiques françaises cela veut dire dès 16 ans) ne travaillent pas, en France. »

http://www.usinenouvelle.com/editor...

4 – Les retraités

Au 31 décembre 2016, le montant mensuel moyen de la retraite globale du régime général s’établit à 668 €. Il se répartit par genre de la manière suivante : 750 € chez les hommes 602 € chez les femmes.

Source : CN A V http://www.statistiques-recherches....

Le nombre de retraités 2015 – 2016 en France est d’environ 16 millions actuellement.

En 2011, le nombre de retraités était de 13 –14 millions et la pension moyenne brute s’élevait à 1256 euros.(actuellement 1376 euros) Mais, 43 % (environ 6 millions de retraités) percevaient une retraite inférieure à 1200 euros bruts par mois. Le montant du revenu médian des retraités s’élevait à 1563 € alors que le revenu médian des actifs était de 1712 euros.(on totalise pour calculer ces revenus médians la pension où le salaire et les revenus du patrimoine)

Source : C N A V http://www.statistiques-recherches.... Le Monde http://www.lemonde.fr/les-decodeurs...

5 – Autant d’actifs que de nos actifs en âge de voter

Toute la population en âge de travailler (entre 16 et 65 ans) ne travaille pas. Ainsi, dans cette fourchette d’âge 3 quarts des hommes et 2 tiers des femmes travaillent. Globalement le taux d’activité en France en 2016 était de 71 %.

Source : INSEE https://www.insee.fr/fr/statistique...

Ainsi, en arrondissant le taux d’activité à 70 % on constate que la population en âge de travailler est de 40 millions environ et que la population en âge de travailler inactive s’élève donc à 40 - 28 = 12 millions de personnes (lycéens, étudiants, personnes dans l’incapacité de travailler, femmes et hommes au foyer).

En ajoutant cette population à celle des retraités, on obtient le chiffre de 12+16 millions de personnes c’est-à-dire un chiffre sensiblement égal à celui de la population active.

C’est l’ensemble de cette population qui constitue les 47 millions d’électeurs inscrits sur les listes électorales. Si l’on considère la population en âge de voter, il faut retirer à la population en âge de travailler les 16/18 ans, soit 1,5 à 2 millions d’individus.

On obtiendrait ainsi : 40 + 16 - 2 = 54 millions de personnes. On a donc environ 54 - 47 = 7 millions de personnes en âge de voter non inscrites sur les listes électorales.. C’est un chiffre d’ailleurs déjà avancé.

Source : ici

6 –La répartition du patrimoine des Français

On ne peut juger des conditions de vie matérielle d’un français uniquement en termes de salaire ou de revenu. Il est nécessaire de tenir compte du patrimoine légué ou accumulé.

– Par exemple, si l’on compare un retraité percevant une retraite de 1000 euros sans autres revenus et un retraité percevant la même pension de 1000 euros mensuels auxquels s’ajoute la perception mensuelle de 1500 euros de loyers, versés par ses locataires, il est clair que la situation du second retraité est plus confortable.

– Considérons 2 salariés. Le premier perçoit un salaire de 1800 euros et est obligé de verser mensuellement un loyer ou un remboursement d’emprunt pour l’acquisition d’un bien immobilier. Le second perçoit un salaire de 1500 euros mensuels. Il héritie d’une maison d’une valeur de 280 000 euros. Pour acquérir une telle maison il aurait dû débourser 280 000 + 200 000 euros de remboursement d’intérêts d’emprunt soit un total de 480 000 euros Sur une durée de vie professionnelle de 40 ans cela correspond à une dépense de 12 000 euros par an soit 1000 euros mensuels.. Ainsi, tout se passe comme si le second salarié bénéficiait d’un salaire de 2500 euros par mois par rapport au premier qui gagne 1800 euros. Observons qu’un tel endettement n’est pas accessible pour le premier salarié mais cela le devient s’il vit en couple avec un apport global mensuel de l’ordre de 3000 euros. Cet exemple montre aussi l’importance de la mise en commun des revenus de 2 conjoints dont les salaires peuvent être par ailleurs relativement modestes.

Il est donc important aussi d’avoir des informations concernant le patrimoine des Français pour juger de leurs conditions de vie matérielle d’existence.

Par exemple, les1% les mieux dotés, qui pèsent 16% du ce total patrimonial des Français, ont déclaré un patrimoine moyen de plus de 1,95 million d’euros de patrimoine brut. En bas de l’échelle, les 10% les plus modestes ont déclaré moins de 4300 euros de patrimoine, soit 139 fois moins que les 10% les plus aisés.

Le nombre de ménages assujettis à l’ISF en France s’élevait en 2015 à 342 942 rapportant à l’État 5,22 milliards d’euros. Cela correspond à une moyenne de 15 233 euros versés en moyenne par les ménages imposables à l’ISF

Rappelons que sont assujetti à l’ISF les foyers fiscaux ayant un patrimoine au moins égal à 1 3. millions d’euros

URL source : Ici Nous renvoyons pour cette question le lecteur à l’annexe 2 qui donnent des informations de patrimoine des Français.

Rappelons l’excellent travail de Thomas Piketty (Le capital au vingt et unième siècle) sur l’étude des inégalités de patrimoine en France. Il montre que les 10% des ménages les plus riches détiennent 60 % du patrimoine de la France et que les 1 % des plus riches possèdent le quart du patrimoine national.

Évidemment les conditions de vie matérielle d’existence ne se réduisent pas au montant des revenus et du patrimoine. La précarité ou la stabilité de l’emploi, les conditions de travail, la durée et les conditions de transport, etc. sont aussi des facteurs déterminants.

7 – Quelques éléments indicateurs sur la précarité de l’emploi. .

Cliquez sur les numéros pour accéder aux sources statistiques.

Nombre total de chômeurs : 5, 56 Millions (catégorie ABC) . Chiffres de pôle emploi en juin 2017) (1)

Nombre de chômeurs total toutes catégories France métropolitaines et DOM-additionnés : 6,3 + 3,2 = 9, 5 millions (2)

Nombre de salariés en CDI et CDI : 85 % de CDI : 15 % de CDD soit 3,7 millions de salariés en ses en CDD (3)

Nouvelles embauches : 87 % en CDD en 2016, du jamais vu. (3)

Durée d’un CDI : près de 40 % des salariés (37 %) en CDI ont une durée de moins de un an soit 7,8 millions de salariés. Et 1 salariés non qualifié sur 2 a un CDI n’excédant pas un an. (4)

Durée moyenne d’un CDD es t de 26 jours. (5)

On constate donc qu’environ 20 millions de salariés sont sans emploi ou ont un emploi précaire. Ce chiffre est un minimum car on n’a pas pris en compte les CDI de moins de 3 années. Cela signifie donc que 80 % de la population salariée est en situation précaire ou sans emploi.

Mais la précarité touche aussi les chefs d’entreprise de quelque nature que ce soit. Ainsi,considérant la moyenne de vie d’une entreprise : 50 % des entreprises mettent la clé sous la porte (6)

8 –Idéologie et conditions de vie matérielle.

Karl Marx, dans son ouvrage "L’idéologie allemande", et plus tard Louis Althusser, ont montré que les représentations idéologiques d’un individu étaient largement déterminées par ses conditions de vie matérielle. Plus globalement, cette conception se traduit dans la "théorie du reflet" marxiste – léniniste, selon laquelle la superstructure, qui englobe notamment les représentations idéologiques, est le reflet de l’infrastructure (structure économique).

Mais cette conception, à la lumière du matérialisme dialectique, s’est dialectisée : c’est-à-dire que l’idéologie peut aussi rétroactivement avoir une action sur l’infrastructure.

Autrement dit, les conditions de vie matérielle au niveau d’un individu ne déterminent pas mécaniquement son imaginaire politique notamment. C’est l’idéologie véhiculée par la classe dominante qui peut avoir un effet prépondérant sur ses représentations.

Si une telle détermination mécanique existait, les 9 Millions de pauvres auraient dû tous voter en bloc pour Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2017. Et si l’on se référait uniquement aux conditions de revenus et de patrimoine, c’est environ 70 % des 54 millions des personnes en âge de voter, soit environ 38 millions qui auraient dû voter Jean-Luc Mélenchon. Il n’est pas nécessaire d’utiliser l’hypothèse extrémiste avec Serge Halimi qui évoque 99 % de la population , Même en restant plus modeste, dépasser la barre des 70 % paraît déjà. très difficile. En partant des conditions de vie matérielle, il m’a semblé plus réaliste de considérer que 30 % des gens en âge de voter les les mieux lotisne nevoulaient pas prendre le risque d’un changement de société.

Nous avons vu dans différents articles traitant des rapports de classe que la classe dominée était idéologiquement divisé. Nous avions initialement défini 4 groupes puis en s’appuyant sur les travaux de Jacques Bidet, nous avions simplifié la division en 2 groupes : le premier groupe ayant intégré les représentations idéologiques du néolibéralisme avec éventuellement sa version sociale libérale et un second groupe rejetant cette conception libérale et défendant les valeurs de solidarité, égalité, coopération, justice sociale, intérêt général respect de l’environnement et du vivant. ( paragraphe 5 de l’article : http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

La démarche politique émancipatrice consiste à faire passer la classe dominée du statut de "la classe en soi" à celui de "la classe pour soi".

Rappelons la définition entre classe en soi et classe pour soi : "La distinction, effectuée pour la première fois par Karl Marx, entre classe en soi et classe pour soi soulève la question de la définition d’une classe sociale. Une classe en soi est une classe sociale qui existe de fait, c’est-à-dire objectivement : les individus faisant partie de cette classe ont des interactions entre eux. Cependant ils n’ont pas forcément conscience d’une appartenance commune. Les classes en soi correspondent à des groupes ayant des conditions et un style de vie très proches. Au contraire, une classe pour soi est une classe dont les individus la composant ont conscience d’une appartenance commune." (Source : Wikipédia).

Dans une longue interview de Mélenchon par le magazine Regards JLM aborde cette question :

"Vous voulez rassembler des catégories populaires éclatées face à un adversaire rassemblé. Où cela se joue-t-il ?

Jean-Luc Mélenchon : Jamais la catégorie employés-ouvriers n’a été aussi forte numériquement et aussi faible politiquement. Une chose est la situation objective, une autre est la conscience politique. Le fait d’être dominé ne suffit évidemment pas à cristalliser une conscience. La domination est le plus souvent intériorisée. Elle est incorporée même. Le mécanisme du désir mimétique l’enracine dans les profondeurs de la psyché. D’ailleurs quand le prolétariat était en expansion, l’aspiration à en faire partie allait très loin, jusque dans l’intime et ses stratégies matrimoniales. L’océan que formait le groupe des paysans, des métayers, des artisans s’est rassemblé autour de l’archipel ouvrier, autour de cette figure ouvrière devenue centrale. Au total, le prolétariat a pu, tout un temps, se décrire objectivement et subjectivement. Il a construit sa conscience de soi de ses conditions de travail et de vie.

Ce qui doit continuer à nous intéresser est précisément d’agir là où se forme une conscience collective. L’entreprise, qui hier fut centrale dans cette construction, est devenue résiduelle pour la socialisation politique des masses populaires. C’est dans les énormes concentrations urbaines que tout se joue désormais. L’urbanité qui est le fait de milliards d’hommes institue un état d’interdépendance qui raccorde chacun à un immense collectif socialisé. Aristote déjà disait que la cité fonde l’individu. Mais les multi-dépendances contemporaines tout à la fois hyper-individualisent l’être humain et construisent son hyper-dépendance à l’égard du collectif. De son côté l’exploitation capitaliste prend des formes nouvelles. Elle se déconcentre des lieux de la production et se territorialise. …"

Source : il faut fédérer le peuple. http://melenchon.fr/2014/11/14/il-f...

9 – Alors, La France Insoumise a-t-elle la prétention de fédérer 99 % de la population pour former un peuple s’opposant à 1 % de la population qui constitue la caste oligarchique ?

La question ne se pose pas en des termes aussi mécaniques. L’enjeu politique émancipateur est de permettre à la classe dominée (tripolaire) d’accéder à la conscience d’elle-même, c’est-à-dire au-delà de la diversité de ses composantes qu’elle prenne conscience qu’elle participe à une communauté de destin : celle d’être exploitée ou spoliée par la classe dominante qu’elle doit être en mesure d’identifier clairement.

Cette prise de conscience de classe nécessite une lutte idéologique de forte intensité contre les propagateurs de l’idéologie dominante (principalement les agents médiatiques).

Le système n’arrive à subsister que grâce à un très puissant appareil médiatique qui assure l’hégémonie idéologique et culturelle de la caste dominante. La puissance de feu des médias est telle qu’elle permet de réduire un potentiel de 38 millions de voix favorables à Mélenchon à 7 millions de voix.

Ainsi, la force des représentations idéologiques est 5 fois plus puissante pour déterminer le comportement électoral que les conditions de vie matérielle des gens.

Les conditions matérielles d’existence s’effacent donc, en bonne partie, au profit d’un imaginaire aliéné fabriqué dans les "usines à idées" de l’oligarchie industrielle, financière et culturelle.

Le véritable leurre mentionné par Serge Halimi peut s’exprimer autrement. C’est la croyance que la simple bataille pour la défense des conditions de vie matérielle des gens doit constituer le cœur des luttes sociales. Le cœur des luttes sociales ne devrait pas se développer quasi exclusivement sur le plan des conditions de vie matérielles mais sur le plan idéologique. Il s’agit de transformer l’imaginaire aliéné conduisant à la servitude volontaire ou inconsciente des dominés.

Il est clair que cet imaginaire aliéné conditionnant la soumission à l’ordre social et économique établi étouffe toute possibilité de penser une société alternative de développement humain.

Le PCF a fait l’amère expérience d’une politique essentiellement axée sur les conditions de vie matérielle (idem pour l’extrême gauche) : son erreur mortelle est de ne pas avoir compris que l’enjeu principal, que l’enjeu essentiel était la formation, l’éducation populaire et politique des citoyens pour changer leur imaginaire et leur permettre d’accéder à une conscience politique.

Mais ce qui vient d’être dit ne signifie pas que les luttes sociales pour la défense des conditions de vie matérielle doivent être abandonnées. Il est bien évident que la lutte idéologique ne se développe pas "hors-sol" mais est aussi ancrée dans la multitude d’actions multiformes pour un mieux vivre matériel et moral de la population. Une situation matérielle ou une action tendant à la modifier doivent être mises toujours en relation avec une analyse de la politique économique globale prédatrice de la caste dominante.

Un militant politique œuvrant pour une société de développement humain n’est pas un militant syndical ou d’une association caritative. Il doit donner une explication politique à son action et expliquer qu’une alternative à la situation locales ou nationales actuelle est tout à fait possible.

Mais cette lutte idéologique ne doit pas être assujettie non plus à une démarche utilitariste électorale (gagner des sièges) sous peine de dérive vers le carriérisme politique mais doit avoir pour objectif essentiel la construction d’une conscience politique.

Celle conscience politique consiste :

1) d’une part en la conscience des interdépendances, c’est-à-dire

– en la conscience de l’interdépendance organique des individus entre par une multitude de liens de différentes natures : économique, culturels, idéologiques, professionnels, familiaux, etc. en faisant de chaque individu un noeud d’un réseau dynamique à multiples dimensions.

– en la conscience de l’interdépendance des individus avec les différentes réalités institutionnelles d’ordre politique et juridique

– en la conscience de l’interdépendance des individus et des groupes d’individus de toutes natures avec leur environnement naturel, avec les écosystèmes. avec leur environnement, chacun étant un d’un réseau multidimensionnel et d’autre part avoir une

2 ) et d’autre part en la conscience de classe, c’est-à-dire :

– avoir compris qu’il existe 2 grandes classes sociales ayant des intérêts antagoniques

– avoir connaissance des mécanismes de domination multiple de la classe dominante sur la classe dominée.

– avoir conscience d’appartenir à une classe

Sans stratégie politique d’envergure pour faire acquérir au maximum de citoyens de la classe dominée cette conscience politique, toute tentative de changement de la société dans un sens radicalement progressiste est condamnée à l’échec.

Ainsi l’action pour l’amélioration des conditions de vie doit toujours s’articuler à un programme de formation citoyenne permettant l’émergence d’une conscience politique. L’analyse critique des médias devrait occuper une place de choix dans cette démarche de formation. Les citoyens devraient être informés de toutes les stratégies mises en œuvre par les médias pour perpétuer la domination de l’oligarchie Cette neutralisation de l’impact idéologique des médias permettrait alors de redonner aux réalités matérielles toutes leurs forces.

10 – La France Insoumise, vecteur de l’insoumission et de l’émancipation.

Cette bataille idéologique émancipatrice se déploie sur 3 axes : la mise en œuvre d’un mouvement de masse humaniste, sociale et écologiste souple et ouvert : c’est La France Insoumise , un programme économique, sociale, politique et culturel alternatif de développement humain : c’est l’Avenir en commun ; la mise en œuvre d’une assemblée constituante et d’une sixième république pour reconstruire et fédérer le peuple et abattre les féodalités financières.

Annexe 1 le patrimoine des Français

Source : le Figaro – INSEE http://www.lefigaro.fr/conjoncture/...

L’INSEE a décelé une très légère baisse des inégalités de patrimoine en France,…

Même si 10% des Français les plus dotés déclarent au moins 595.700 euros d’actifs tandis que les 10% les plus modestes ont un patrimoine évalué à moins de 4300 euros.

Plus de 158.000 euros, c’est le montant du patrimoine brut que détenaient la moitié des ménages vivant en France en 2015, affirme l’Insee dans une étude publiée ce lundi. Ce patrimoine est essentiellement composé de biens immobiliers. « Pour la moitié des ménages détenteurs, l’immobilier représente plus de 80% de leur patrimoine brut total (…)

En France, près de six ménages sur dix sont propriétaires ou accédants à la propriété de leur résidence principale », constate l’institut. Outre l’immobilier, le patrimoine brut des Français est principalement composé d’actifs financiers, professionnels, de biens durables (voiture, équipement de la maison) et autres objets de valeur (bijoux, oeuvres d’art).

Bien évidemment, les écarts sont importants selon le profil des ménages. Les 10% les mieux dotés en patrimoine ont ainsi déclaré un minimum de 595.700 euros d’actifs. Ils concentrent à eux seuls 47% de la masse totale de patrimoine brut détenue par les Français.

Les 1% les mieux dotés, qui pèsent 16% de ce total ont déclaré un patrimoine moyen de plus de 1,95 million d’euros de patrimoine brut. En bas de l’échelle, les 10% les plus modestes ont déclaré moins de 4300 euros de patrimoine, soit 139 fois moins que les 10% les plus aisés. « Les inégalités de patrimoine sont beaucoup plus marquées que celles des revenus », note à ce titre l’Insee. Alors que la quasi-totalité des ménages les plus riches (95%) disposent d’un patrimoine immobilier important, le patrimoine des 10% les moins bien dotés est presque intégralement constitué de comptes-chèques et de livrets d’épargne réglementée dont la valeur a fortement diminué entre 2010 et 2015 (-30,2%).

Un patrimoine plus important pour les indépendants.

Le montant du patrimoine varie aussi de manière logique en fonction de la catégorie socioprofessionnelle. Les cadres déclarent par exemple un patrimoine brut de 392.100 euros en moyenne contre 90.100 euros pour les ouvriers non-qualifiés. L’Insee souligne également l’importance du patrimoine brut des indépendants qui s’établit en moyenne à 574.900 euros contre 210.800 euros pour le reste de la population. « L’effort d’épargne destiné à financer des investissements professionnels est souvent important pour les ménages d’indépendants en activité », explique l’Insee. Chez ces derniers, 32% du patrimoine brut est composé d’actifs professionnels. Par ailleurs, « exposés à des fluctuations de revenus plus fortes que les salariés et bénéficiant de droits à la retraite plus restreints, les ménages d’indépendants, notamment en activité, sont plus enclins à épargner », ajoute l’Insee. Ces derniers disposent également d’un patrimoine plus diversifié que les salariés avec un livret d’épargne, de l’assurance-vie, un bien immobilier et des valeurs mobilières.

L’âge est aussi un critère de différenciation important.

Plus on avance en âge et plus on accumule du patrimoine. Du moins jusqu’à 70 ans, seuil à partir duquel on entre dans une « logique de désaccumulation », note l’Insee. Le patrimoine brut moyen passe ainsi de 61.500 euros pour les ménages dont la personne de référence a moins de 30 ans à 354.100 euros pour les ménages dont la personne de référence a entre 60 ans et 69 ans. Il retombe ensuite à 287.900 euros pour les ménages de 70 ans et plus.

Les moins de 30 ans, qui disposent traditionnellement d’un faible patrimoine, ont toutefois bénéficié d’un sérieux coup de pouce entre 2010 et 2015 : celui des taux bas, qui a dopé leur recours à l’emprunt. Sur la période, « la part de propriétaires accédants de leur résidence principale, stable dans l’ensemble de la population, a augmenté de 4,2 points chez les moins de 30 ans pour atteindre 14,6 % début 2015 », constate l’Insee. « Légère » baisse des inégalités.

Tous critères confondus, l’Insee décèle une baisse très légère des inégalités de patrimoine en France qu’elle mesure avec son « indice de Gini ». Censé refléter le degré d’inégalité dans la distribution des patrimoines au sein de la population, il varie entre 0 (égalité parfaite) et 1 (inégalité extrême). Entre 2010 et 2015, cet indice est ainsi passé de 0,662 à 0,653. Les inégalités se sont en revanche fortement creusées au sein des 10% des ménages les plus modestes avec un indice de Gini progressant de 0,523 à 0,684 entre début 2010 et 2015, déplore l’Insee.

Annexe 2 : nos article sur la notion de classes sociales.

La notion de classes sociales antagoniques serait-elle obsolète ? Quels rapports de classe aujourd’hui ? http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

La violence des riches (Et de la considération du travail des intellectuels organiques alliés de la classe des salariés exploités) http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Partis politiques et classes sociales. Gauche élitaire et gauche populaire http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

La notion de classe : un concept absent dans l’univers mental des partis électoralement majoritaires. http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

À l’école de la conscience de classe. http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

La mobilité sociale des classes populaires http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Le peuple et les luttes de classes au XXIème siècle http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Le socialisme français et la « classe ouvrière » http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Les enjeux de la dette. Mon commentaire : ne pas oublier les rapports de classes. http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Annexe 3 :Autres articles connexes

Les classes sociales. Encyclopedia universalis http://www.universalis.fr/classific...

Le peuple : les définitions figurant dans le Trésor Informatisé de la Langue Française http://www.cnrtl.fr/lexicographie/peuple

Le peuple chez Marx, entre prolétariat et nation par Isabelle Garo Source : Nangara Marx http://nangaramarx.blogspot.fr/2016...

La théorie de l’aliénation chez Marx Source : site Marx au 21ème siècle http://marx21siecle.com/alienation.php

L’émergence du peuple-classe vers son auto-activité. Avec qui ? Comment ? A quelles conditions ? Vers quoi ? par Christian Delarue http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Hervé Debonrivage


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