Macron et la laïcité : Chanoine, Andorre, La Madeleine, Averroès…

mercredi 10 janvier 2018.
 

J’ai des amis qui aimaient follement Johnny. Et d’autres exactement l’inverse. Dans ma génération et dans ma famille de pensée et d’art on ne le goûtait pas. Mais on le fredonnait quand même. Quelle importance ? Pourquoi se disputer à ce sujet ? Tout art est populaire ou il n’est pas.

Mais le peuple narquois de la gouaille et de l’insolence a été consigné à domicile : pleurs obligatoires, silence interdit. Pour la tendance Brel-Brassens-Ferré : le piquet. Le tweet de Jean Michel Aphatie signale la profondeur du dérapage autoritaire de la télé d’État en plus de la faute professionnelle qu’il représente. Une injonction à se conformer aux règles du spectacle organisé fusse au prix d’une fausse information. Le tout au nom d’un prétendu devoir de communion populaire dont on a vu ensuite qu’il restait bien compartimenté entre ceux qui entrent dans l’église et ceux qui restent dehors. Ce moment fut celui d’une décadence affichée du fait de la grossière récupération à laquelle se livrèrent les autorités politiques du pays.

Car je veux en rester à mon domaine de légitimité : la politique. Que faisait tout l’appareil de l’État dans cette église ? Comment a-t-il pu oublier ses devoirs de célébration du jour anniversaire de la loi instaurant la laïcité de l’État ? Comment pouvaient-ils s’afficher au grand complet, es qualité j’y insiste, dans une lieu de culte ? Et, ce n’est pas le moindre, un lieu symbolisant dans l’Histoire profonde l’hostilité cléricale à la République.

Au dernier moment, le chef de l’État semble s’être ressaisi. Il parla sur les marches plutôt que dans le bâtiment. Et une fois dedans il eut le sursaut de ne point faire d’acte religieux devant le cercueil. Quand on pense au cirque que nous avons vécu sur le thème de la laïcité depuis des mois ! Tous ceux qui n’avaient pas assez de mots pour s’en réclamer contre les musulmans n’avaient plus rien à dire ce jour-là. Leur pacotille s’est dissoute dans les pleurs de commande.

Quant au Président, le voici très pusillanime. Il a accepté d’être Chanoine de Latran, c’est-à-dire curé d’honneur de la paroisse du pape. Il a aussi accepté d’être co-prince d’Andorre aux côtés de l’évêque de Seu d’Urgell. Emmanuel Macron met donc ses pas dans le passé archaïque des traditions les plus éculées sans ressentir de gêne. Puis, soudain, il reste sur les marches de la Madeleine, sans entrer dans le lieu de culte dont quelqu’un a d-û finir par lui dire qu’il est dédié à la repentance de la République. Tant mieux, mais trop tard. Car alors pourquoi venir là si c’est pour finir sur les marches ?

L’erreur de cet homme en la matière vient de l’âge qu’il pense avoir. Car en se référant à sa seule horloge biologique, il en vient à se dire non concerné par toutes sortes d’épisodes de notre histoire nationale commune. C’est ce qu’il nous a dit au Burkina Faso et en Algérie. Mais tout président de la République française a plus de deux siècles, au moins. Il est forcément né le 21 septembre 1792 quand le peuple a vaincu à Valmy et que toute l’Assemblée l’apprenant cria « Vive la Nation » et proclama la République. La fonction vaut héritage. Il faut l’assumer sans faux-semblant ni se défausser. Comme l’Histoire de France est riche, et sa capitale intimement unie à toutes les significations symboliques que le temps y a incrusté, on ne préside pas la France innocemment dans Paris, quelles que soient les circonstances.

L’église la Madeleine est attribué en toute liberté d’usage au culte catholique. Cela n’est pas en question. J’y entre comme personne privée si un ami catho y fait ses funérailles. C’est normal. Mais ce n’est pas un lieu pour un président de la République agissant au titre de sa fonction. Surtout à la date anniversaire de la loi de 1905 comme j’ai eu le douloureux devoir de le rappeler avant le délire national de ce samedi. Peut-être le Président a-t-il eu écho de notre façon de penser ? Le président à la Madeleine est resté dehors. Tant mieux. On lui avait d’abord donc caché où il était ? Personne ne le savait ? Je vous offre donc une visite guidée des lieux. Je l’ai gardée pour moi le temps des funérailles et par respect pour celles et ceux qui s’y impliquaient sincèrement. Mais le sujet de ma promenade guidée dans ce secteur de Paris ne s’arrête pas au bâtiment religieux. Tout l’espace du quartier est marqué de symboles très forts, volontairement affichés pour faire sens. C’est une belle occasion pour moi de les faire connaître.

Si le Président s’était retourné vers le fronton, il y aurait vu que cette église est consacrée à un personnage féminin au pied du Christ. Oui, une femme. Elle demande son pardon à genoux parmi des hommes debout. Elle est rangée du côté des damnés. Des féministes auraient pu se demander si cette idée est conforme à l’idée qu’elle se font de la dignité des femmes. Surtout que le péché de celle-ci serait peut-être autrement évalué de nos jours. En effet, il s’agit de la prostituée de l’Évangile. Le Christ lui a pardonné en son temps si l’on en croit les Évangiles. Mais pas l’Église de France qui lui demande se vautrer encore par terre. Et cela pour obtenir son pardon d’une faute qu’il faudrait plutôt attribuer aux hommes qui l’entourent. eglise de la madeleine

Pour la réaction royaliste et l’extrême droite de l’époque, la République c’était la « gueuse », vouée à la prostitution. Il existe d’innombrables représentation de la Marianne au bonnet Phrygien présentée en « gueuse ». Il est possible d’aller en voir une au sous-sol du Sénat dans la petite exposition permanente sous vitrine devant l’atelier du coiffeur, en allant à la salle Clémenceau. L’église catholique officielle a combattu sans relâche la République jusqu’en 1920, date à laquelle elle l’a reconnu du bout des lèvres. Avant cela, en 1906, elle condamnait encore par encyclique le suffrage universel. L’allégorie du fronton signifie que « la gueuse », c’est-à-dire la République, demande son pardon à Dieu le jour du jugement dernier. Pardon de quoi ? De l’exécution de Capet, ci-devant roi Louis XVI, et de son épouse Marie Antoinette. L’exécution a eu lieu quelques centaines de mètres plus loin, place de la Concorde.

Tout dans ce secteur évoque cet autre jugement. Tout le met en scène depuis la rue voisine Boissy-d’Anglas, un des rares qui ne votèrent pas la mort du roi. Les rues qui conduisent directement à la Madeleine, portent en effet les noms des avocats du couple royal. Ceux de Louis XVI : le vieux Malesherbes a son boulevard, Tronchet et de Sèze chacun leur rue latérale. Et de même pour ceux de Marie-Antoinette : Chauveau-Lagarde et Tronson du Coudray pourtant commis d’office. Au centre de cette étoile de rues, la Madeleine met en scène le seul jugement qui vaille selon les dévots royalistes et exige de la femme criminelle, la République, qu’elle demande pardon. Imagine-t-on balisage symbolique plus clair ? Arrivés par de telles rues, ayant imploré son pardon, la gueuse n’a plus qu’à emprunter la rue Royale pour arriver place de la Concorde où furent exécutés les titulaires de la royauté.

De la Madeleine donc, qui demande pardon d’un autre jugement à l’heure du sien, on dévisage le temple suprême de la République : l’Assemblée nationale. Lui aussi a un fronton à la grecque bien illustré. La République y est là encore représentée par une femme. Mais c’est une toute autre image qui en est donnée. Elle se tient debout, calme et digne, tenant d’une main l’écriteau où est inscrite la devise de la République depuis Robespierre : « Liberté-Égalité-Fraternité ». Son autre main désigne le groupe des femmes qui l’entourent, non moins dignement représentées. Elles sont porteuses de divers outils symboliques très utiles. Les deux frontons se parlent en s’opposant dans les principes comme dans la représentation féminine qui les inspirent. Entre les deux, la place la Concorde. C’était autrefois la Place de la Révolution. Elle fut rebaptisée ainsi sous le directoire (1795) pour tourner la page des évènements attribués à la Terreur. Apparemment l’Église de l’époque n’a pas été convaincue.

Cette place est la plus grande de tout Paris. Elle frémit d’Histoire révolutionnaire. C’est de là que les gens s’assemblèrent pour piller les armes dont ils avaient l’intention de se servir le lendemain contre la Bastille. C’est là que la guillotine fut amenée pour l’exécution de Louis XVI et ramenée encore pour celle de Robespierre et de cent-vingt de ses partisans, guillotinés sans jugement. Il y a quelques années, deux cents de mes amis y commémorèrent cet assassinat en plein mois de juillet. De leur côté, les monarchistes célèbrent une messe au pilier ouest de la place chaque 21 janvier, date anniversaire de l’exécution de Louis XVI. Exécution dont on doit se souvenir qu’elle fut votée par l’Assemblée nationale, désormais installée juste en face. D’où le pardon demandé à la Madeleine. Pendant un temps, au centre de cette place trônait une statue de la liberté, coiffée d’un bonnet phrygien rouge et tenant une pique à la main. La liberté était chez elle.

Et si l’on met de côté l’Histoire à livre ouvert ce n’est pas encore fini pour ce qui est de la lecture symbolique des lieux dans ce secteur. Car sur la place de la Révolution devenue place de la Concorde, on voit l’obélisque tiré du temple de Louxor en Egypte. Il fut classé monument historique en 1936. L’obélisque est la représentation symbolique d’un rayon de lumière. Jacques Chirac y ajouta le pyramidion d’or qui le couronne en éclairant sa signification. L’obélisque fonctionne comme un ode à la raison. En effet, il rend aussi visible par son ombre les déplacements du soleil dans le ciel et rend ainsi possible de prévoir de façon rationnelle de nombreux évènements comme les équinoxes, les solstices et ainsi de suite. Cet obélisque parisien veillait déjà autrefois sur l’entrée d’un temple à Louxor, treize siècles avant que l’ère chrétienne commence. Ce qui est n’a pas toujours été et ne sera pas toujours. Rigolade : la base de cet obélisque fut retirée et entreposée au Louvre. C’étaient des babouins en érection, adorateur du soleil ! À bon entendeur, salut.

Quelqu’un a quand même dû prévenir le Président du spectacle qu’il donnerait dans l’hypothèse où il serait entré dans la Madeleine pour faire son discours. Car il aurait alors parlé sous le dôme du chœur où sont montré tous les rois de France, et même Napoléon, à genoux devant le Christ ! Je considère qu’en allant parler sur les marches, plutôt qu’à l’intérieur, le Président a validé nos objections (faites pour ma part vendredi sur Facebook). Il a donc admis qu’un problème concernant la laïcité de l’État se posait au regard de l’Histoire de France qu’il doit assumer en notre nom à tous. Il eut été mieux inspiré de laisser Johnny à son public et de ne pas mêler l’État républicain à une cérémonie où il n’est ni à sa place ni chez lui.

Je forme le vœu que mes quelques lignes aient offert un point de vue digne d’intérêt à ceux qui me font l’amitié de me lire. J’espère surtout que cela rappelle à tous à quel point notre pays ne sort pas de l’œuf. Son passé ne doit pas nous dominer mais nous expérimenter par ses parcours. Et plus haute est la responsabilité, plus haut est le devoir à son égard.

Paris est la ville de notre destin commun, d’où que l’on soit en France. Peut-être même que Paris est davantage : bien plus loin, bien plus profondément dans l’Histoire du monde moderne depuis la grande Révolution. Tout parle en elle et tout parle de nous, peuple remuant. Et de cette Histoire, le plus humble d’entre nous en a sa part comme de sa propre histoire personnelle. On doit la traiter avec davantage de délicatesse et de respect que cela n’a été la cas durant ces funérailles nationales improvisées.

Pour conclure ces lignes et rester dans le ton du jour anniversaire de la loi de 1905, je voue une pensée par-dessus les gouffres du temps au penseur musulman Averroès, mort un dix décembre, le lendemain de l’enterrement de Johnny. Mais c’était en 1198. Ce fut le premier penseur de ces temps à tenter une analyse qui sera ensuite le canevas d’où repartit la pensée philosophique lors du retour des Lumières en Europe. Séparant à sa façon ce qui est de l’ordre de la foi et de l’ordre de la raison, il donnait à la science un espace spécifique, libre et indépendant. Pour lui, il fallait approfondir la connaissance scientifique de la réalité parce que c’est le seul moyen, en connaissant l’œuvre, de deviner son créateur. Certes, Averroès ne sort pas du champ de la foi. Mais il libère les sciences en leur conférant une dynamique propre et légitime dans la recherche de la vérité. Inutile de dire que cette façon de voir fut vite condamnée de tous côtés. D’abord par les autorités religieuses musulmanes elles-mêmes. Mais bientôt par toutes celles du christianisme qui y virent le même danger pour leur dictature obscurantiste. Toute pensée libre a une dette à l’égard d’Averroès et du travail de ses idées au fil des siècles. Et il ne faut pas en demander pardon.


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