Droit des nations à disposer d’elles-mêmes : le cas de la Catalogne

vendredi 5 janvier 2018.
 

La Catalogne doit disposer de l’entière liberté d’organiser la consultation de la population par référendum sur la question de l’indépendance. Seule la population catalane doit décider librement et démocratiquement de son destin.

Or le Gouvernement espagnol refuse catégoriquement cette possibilité et maintient par la force la Catalogne dans l’Espagne. C’est ainsi que la population a été brutalement empêchée par la police espagnole de s’exprimer lors du référendum du premier octobre 2017. Pour le très conservateur Rajoy, la Catalogne est une région rebelle qu’il faut soumettre par la force. Étrange démocratie qui a peur d’un référendum et lui oppose violence et brutalité. Étrange droit qui nie le droit des populations à disposer d’elles-mêmes. Pour Mariano Rajoy, qui ne parle que de la démocratie et du droit, la Catalogne doit rester espagnole malgré la volonté de sa population !

Cette violence, digne de la dictature franquiste, n’a cependant pas découragé une partie de la population (42,3 % selon le gouvernement catalan) à participer au référendum d’autodétermination. Le « oui » à l’indépendance l’a emporté avec 90% des voix selon la même source : « En ce jour d’espoir et de souffrances, les citoyens catalans ont gagné le droit d’avoir un État indépendant sous la forme d’une République (...) Mon gouvernement va, dans les jours qui viennent, transmettre les résultats du scrutin de ce jour au Parlement, garant de la souveraineté de notre peuple, afin qu’il puisse agir conformément à la loi référendaire » déclarait Carles Puigdemont président de la Catalogne (1). Effectivement, le vendredi 27 octobre, le parlement catalan vote la résolution de l’indépendance en l’absence d’une partie des députés (Parti socialiste, Parti Populaire et Ciudadanos). « Nous constituons la République catalane, comme État indépendant et souverain, de droit, démocratique et social » dit le préambule de cette résolution.

De son côté et presque au même moment, le Sénat, dominé par les conservateurs du Parti Populaire, autorise Mariano Rajoy à utiliser l’article 155 de la constitution espagnole suspendant du même coup le statut d’autonomie de la Catalogne : destitution de l’ exécutif et dissolution du parlement. La télévision, les médias, la police et les administrations sont désormais sous la tutelle de Madrid. Neuf membres du gouvernement catalan ont été placés en détention provisoire (2). Dans la foulée, Rajoy annonce la tenue des élections régionales pour le 21 décembre 2017.

Le président Carles Puigdemont et quatre autres ex-conseillers de la Generalitat (gouvernement catalan) ont quitté la Catalogne pour aller se réfugier à Bruxelles. Le gouvernement espagnol mené par Mariano Rajoy a lancé contre eux un mandat d’arrêt européen pour « rébellion, sédition, malversation, abus de fonction et désobéissance ».

De son côté, Pablo Casado chargé de la communication du Parti Populaire déclarait « L’histoire, il ne faut pas la répéter, nous espérons que demain on ne déclarera rien parce que celui qui déclarerait (un Etat indépendant) pourrait finir comme celui qui le déclara il y a 83 ans » (3).

Casado fait allusion ici à Lluis Companys, ce brillant avocat du Parti de la Gauche Républicaine de Catalogne (Esquerra Republicana de Catalunya, l’ERC) et figure marquante de l’indépendance de la Catalogne. Companys a eu l’audace de proclamer le 6 octobre 1934 « l’Etat Catalan de la République fédérale espagnole ». Le lendemain, l’armée espagnole prend le contrôle de la Generalitat et la justice espagnole condamne Companys à 30 ans de prison. En février 1936, le Front populaire arrive au pouvoir et libère Compays qui sera élu président de la Generalitat. En juillet 1936, la guerre civile éclate après un coup d’État militaire. En 1939, aidé par l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste, le général Franco gagne la guerre. La dictature franquiste s’impose dans toute l’Espagne et la Generalitat de Catalogne est abolie.Vaincus, beaucoup de républicains ont pris le chemin de l’exil vers la France dont Lluis Companys et son épouse Carme Ballester. La Gestapo l’arrête le 13 août 1940 et le livre à la police de Franco. Il sera fusillé le 15 octobre 1940 au château de Montjuïc, à Barcelone. Précisons que le leader actuel de l’ERC, Oriol Junqueras, est derrière les barreaux sur les ordres de Rajoy.

La bataille pour l’indépendance a permis de voir le visage hideux de l’État bourgeois espagnol incapable de donner la parole aux habitants de la Catalogne pour décider eux-mêmes de leur destin. La droite néo franquiste soutenue par le Parti socialiste ouvrier espagnol et Ciudadanos n’avait rien d’autre à proposer pour régler le problème catalan que la répression brutale en s’appuyant sur l’article 155 de la constitution de 1978 qui porte dans ses entrailles les traces de la dictature franquiste.

La Catalogne doit pouvoir disposer du droit à la libre séparation d’avec l’État espagnol c’est à dire le droit à l’indépendance politique en organisant librement et démocratiquement un référendum. Ignorer ce droit ne changera rien au fond du problème. Il ne s’agit pas de faire ici l’apologie du chauvinisme, du nationalisme, du séparatisme, du morcellement et de la formation des petits États ici ou là. Le socialisme est étranger à cette vision bourgeoise et réactionnaire du monde : « Le socialisme, disait Lénine, a pour but, non seulement de mettre fin au morcellement de l’humanité en petits États et à tout particularisme des nations, non seulement de rapprocher les nations, mais aussi de réaliser leur fusion » (4).

La lutte pour l’indépendance politique est éminemment un combat de classes. Le droit à l’autodétermination doit être analysé à travers le prisme des intérêts spécifiques des salariés. La séparation doit tendre vers la réalisation des intérêts de la classe des exploités indépendamment de leur nationalité et de leur culture. Le droit à l’autodétermination n’a de sens que s’il est utilisé comme tremplin à l’union, mais une union volontaire, de tous les travailleurs non seulement de Catalogne, mais de toute l’Espagne.

Malheureusement, la bataille pour le droit à la séparation politique est menée par des dirigeants bourgeois. Les travailleurs catalans n’ont absolument rien à attendre de cette séparation conduite par des hommes politiques opportunistes et corrompus comme Jordi Pujol ou Artur Mas et aujourd’hui par Carles Puigdemont leur dauphin (5).

La droite catalane ne s’est convertie à l’indépendance, venue essentiellement de la rue, que pour mieux cacher les multiples scandales de corruption de ses dirigeants (6) et détourner les travailleurs et les couches populaires des vrais problèmes qui les rongent au quotidien comme le chômage et la précarité.

Adeptes des politiques d’austérité, les dirigeants catalans font appel à l’Union européenne pour trouver une solution avec Madrid : « L’Europe, s’il vous plaît, sauvez nous » clamait désespérément Marta Madrenas, maire indépendantiste de Gérone. « Les citoyens se demandent pourquoi l’Europe reste sans réaction devant tous ces abus de démocratie » s’interrogeait naïvement Puigdemont devant les maires catalans réunis à Bruxelles (7). Puigdemont et ceux qui l’entourent savent pourtant que l’Union européenne et toutes les institutions qui gravitent autour d’elle sont un exemple éloquent de déni de démocratie. S’il y a une institution réellement non démocratique c’est bien l’Union européenne.Toute l’histoire de l’Union n’est que mépris et trahison des volontés des peuples : « Les Irlandais devront revoter » déclarait avec force Nicolas Sarkozy le 15 juillet 2008 après le rejet par le peuple irlandais du Traité de Lisbonne qui reprenait l’essentiel d’un autre traité rejeté lui aussi par les français et les néerlandais en 2005 (8).

L’Union européenne est réfractaire à tout processus permettant aux peuples de s’exprimer librement.

Il est donc illusoire voire absurde d ’espérer un quelconque soutien de l’Union européenne à la cause catalane. L’Europe a toujours apporté son soutien aux gouvernements de Madrid dont les dirigeants appliquent avec un zèle singulier ses politiques d’austérité.

Toujours à Bruxelles où il s’est réfugié, Puigdemont tenait également à remercier ses amis de la N-VA, le parti nationaliste et xénophobe flamand pour son soutien à la cause catalane (9). La population catalane, par contre, est descendue massivement dans la rue pour apporter son soutien aux réfugiés ( 10) que le ministre de l’intérieur belge Jan Jambon de la N-VA voulait badger pour mieux les contrôler (11).

Mais le véritable danger c’est Rajoy qui tente d’instrumentaliser la question catalane pour consolider son propre parti, empêtré lui aussi dans des affaires de corruption, en jouant sur la fibre nationaliste tout en se cachant derrière l’ordre constitutionnel (12). Rajoy doit se montrer ferme et intransigeant envers les catalans non seulement pour concurrencer Ciudadanos l’autre formation de droite qui a plus de poids en Catalogne que le Parti Populaire, mais surtout pour affirmer son leadership sur les courants les plus conservateurs de son propre parti qui n’ont jamais vraiment rompu avec l’idéologie nationaliste réactionnaire chère à Franco. Pour cette partie de la droite espagnole, l’unité nationale ne doit souffrir d’ aucune nuance ni d’aucune exception. Tout séparatisme constitue une atteinte grave à l’intégrité de la patrie, « España una, grande y libre » (13).

Mariano Rajoy sait également qu’il peut s’appuyer pour atteindre ses objectifs sur la monarchie espagnole, elle aussi corrompue jusqu’à la moelle épinière, très en phase avec ce discours nationaliste d’autant plus que les catalans réclament une République de surcroît sociale (14). Dans son discours du 3 octobre 2017, Felipe VI apporte son ferme soutien au gouvernement de Rajoy et accuse les séparatistes de menacer la stabilité et l’unité de l’Espagne (15). Il n’est pas étonnant dans ces conditions, même si le phénomène reste encore timide, de voir fleurir dans toute l’Espagne y compris dans les quartiers populaires les drapeaux espagnols suspendus aux balcons et aux fenêtres des immeubles (16).

Le 21 décembre 2017 ont eu lieu les élections pour élire les 135 députés de Catalogne décidées d’une manière autoritaire par Rajoy et son gouvernement à la suite de la déclaration de l’indépendance de la République par le parlement catalan le 27 octobre 2017. Ces élections se sont déroulées alors que la plupart des dirigeants indépendantistes étaient exilés pour fuir la répression ou derrière les barreaux, cela en dit long sur la démocratie espagnole membre pourtant de l’Union européenne. Malgré ce contexte de tension et de répression, le taux de participation atteint quasiment les 82 % (81,93). Cette fois encore les indépendantistes ont réussi à obtenir la majorité absolue : 70 sièges sur les 135 que compte le parlement catalan. Cette victoire des indépendantistes constitue une défaite historique pour le premier ministre espagnol Mariano Rajoy qui passe de onze sièges à seulement trois. Il va sans dire que ces élections ne régleront en rien la question catalane tant que ce combat pour la libre séparation politique est mené par la bourgeoisie catalane.

La classe laborieuse doit profiter de cette brèche ouverte par la division entre les deux bourgeoisies pour mener sa lutte émancipatrice jusqu’ à son terme. La classe ouvrière catalane, les jeunes, les migrants, les pauvres, bref tous les opprimés doivent se saisir de ce conflit qui oppose aujourd’hui la Catalogne à l’Espagne pour élargir et amplifier les manifestations de masse contre les classes dirigeantes catalanes et espagnoles. Ils ne doivent pas se contenter seulement des élections, des gesticulations et discours parlementaires, mais profiter de cette crise politique pour descendre massivement dans la rue, organiser des grèves et mener des actions d’envergure contre les bourgeoisies catalanes et espagnoles leurs ennemis communs. Les travailleurs catalans doivent mener leur combat pour la séparation politique indépendamment de leur bourgeoisie. La séparation doit être aussi avec cette classe qui les trompe avec ses discours sur « la patrie » ou « l’union sacrée » et qui n’hésitera pas à vouloir les entraîner dans une aventure nationaliste. La classe ouvrière catalane doit par contre déployer toute son énergie et toutes ses forces pour réaliser l’union de tous les travailleurs ibériques pour organiser ensemble, main dans la main, la riposte contre l’État espagnol qui les opprime.

Mohamed Belaali

NOTES

(1) http://www.rfi.fr/afrique/20171002-....

(2) https://www.infolibre.es/noticias/p....

(3) http://www.eldiario.es/politica/Dec...

(4) https://www.marxists.org/francais/l...

(5) http://www.lemonde.fr/europe/articl....

(6) https://www.monde-diplomatique.fr/2...

(7) http://www.sudinfo.be/1982325/artic.... .

(8) http://www.belaali.com/2016/06/brex....

(9) http://www.sudinfo.be/1982325/artic....

http://www.slate.fr/story/153257/th...

(10) https://humanite.fr/espagne-manifes....

(11) https://www.humanite.fr/un-ministre...

(12) https://www.lesechos.fr/28/04/2017/....

(13) http://books.openedition.org/pulm/7...

(14) http://www.lemonde.fr/m-actu/articl....

(15) https://www.francetvinfo.fr/monde/e....

(16) https://www.lexpress.fr/actualite/m....


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