Supportérisme et mondial de foot 2018

jeudi 8 février 2018.
 

Retour sur le tirage au sort de la Coupe du monde 2018 en Russie. Presque un «  non-événement  » pour les ultras du ballon rond, qui désertent ce sommet du «  tourisme sportif  », décrypte Sébastien Louis, historien du supporterisme radical.

Qui gagnera la Coupe du monde 2018, en Russie, personne n’en sait rien même après le tirage au sort clément pour les Bleus – notre encadré. Côté supporter, on sait que les Russes sont un peu les tenants du titre officieux de la scène du supporterisme après leur tabassage en règle des Anglais lors de l’Euro 2016. Mais pas sûr qu’ils reproduisent un tel «  coup d’éclat  » à domicile, décrypte Sébastien Louis, historien et sociologue qui vient de publier Ultras, les autres protagonistes du football (1), 440 pages qui dissèquent «  sur le plan historiographique  » le supporterisme radical.

La Coupe du monde pour un supporter «  ultra  », c’est aussi le rendez-vous ultime  ?

Sébastien Louis Pas vraiment parce que, pour les grandes nations latines de football comme l’Espagne, l’Italie ou la France, il n’y a pas de vraie communion des ultras du foot derrière leurs équipes nationales. Les rivalités entre les différents clubs, et donc les ultras, ne permettent pas ce rapprochement. Lillois, Lensois, Marseillais, supporters du PSG ne sont pas prêts à se retrouver derrière le drapeau des Bleus, comme ça peut être le cas pour les ultras anglais. Les rivalités entre villes séparent vraiment les supporters et même leur appartenance à l’extrême droite ne les fédère pas. C’est moins le cas, en revanche, en Europe de l’Est où Croates ou Serbes, par exemple, mettent de côté leurs divergences pour soutenir leurs équipes nationales.

C’est ce qui explique qu’il n’y pas de groupe ultra attaché aux Bleus  ?

Sébastien Louis Oui, le principal groupe de supporters des Bleus sont les «  Irréductibles Français  », mais ce ne sont pas des ultras au sens où ils ne se distinguent pas en organisant des scénographies, des chants. Après, il y a bien quelques hooligans qui suivent l’équipe de France, mais à titre individuel, et ils ne sont pas là pour faire le coup de poing.

Précision importante, quelle est la différence entre hooligans et ultras  ?

Sébastien Louis Ce sont tous des supporters radicaux qui acceptent la violence, mais les ultras sont plus attirés par la confrontation dans le stade à travers les scénographies, les chants. La violence n’est pas leur finalité. Les hooligans, eux aussi, aiment leurs équipes mais leur manière de se confronter passe par le «  fight  ».

La Coupe du monde est donc presque un territoire «  hors jeu  » pour les ultras  ?

Sébastien Louis Oui, surtout parce que cette compétition représente l’industrie du ballon rond dans toute sa splendeur, réservée à un public de classe moyenne supérieure. Donc, le Mondial est davantage l’expression d’un tourisme sportif. Il y a très peu de groupes ultras qui voyagent lors des Coupes du monde et lorsque c’est le cas, avec les «  Barra Bravas  » argentins lors du Mondial brésilien en 2014, c’est en lien avec la fédération argentine et c’est très canalisé.

Y a-t-il néanmoins un risque hooligan à craindre en Russie l’été prochain  ?

Sébastien Louis Le risque peut venir des supporters polonais, qui sont parmi les plus violents en Europe. Mais le régime de Vladimir Poutine va tout faire pour qu’il ne se passe rien. Surtout, les hooligans russes ont produit leur coup d’éclat à Marseille en 2016 lors de l’Euro en s’attaquant aux Anglais (35 blessés dont 3 graves – NDLR). En s’en prenant aux Anglais, qui étaient la référence en matière de hooliganisme, les Russes ont en quelque sorte tué Dieu le Père et ils n’ont presque plus besoin de marquer le coup. Surtout, le pouvoir russe ne les laissera pas faire…

C’est-à-dire  ?

Sébastien Louis La Russie est quand même une société très contrôlée par le pouvoir politique et les leaders hooligans ont été prévenus, le Mondial doit être l’occasion de donner une bonne image du pays, comme à l’occasion des Jeux d’hiver de Sotchi en 2014.

Les Anglais n’auront-ils pas la tentation de prendre leur «  revanche  » sur les Russes  ?

Sébastien Louis Non, parce que la police anglaise est devenue très performante dans ce domaine en confisquant les passeports des hooligans. Et puis, les Anglais n’ont plus les capacités d’organisation des Russes et ils sont surtout aujourd’hui davantage des «  buveurs de bière  » comparés aux Russes qui, eux, sont des athlètes hyper-entraînés, adeptes des sports de combat.

C’est ce qu’on appelle le «  okolo-football  », le quasi-football, en Russie  ?

Sébastien Louis Oui, les hooligans russes aiment d’ailleurs se mettre en scène en se filmant autour de «  fights  » qui sont organisés au fin fond des bois en Sibérie ou ailleurs. Des vidéos qui tournent ensuite dans le monde entier via le Web.

Qu’est-ce qui explique cette «  dérive  » des supporters vers le hooliganisme dans les pays de l’Est  ?

Sébastien Louis Les explications sont multiples, mais après la chute du mur de Berlin, en 1989, le stade est resté le seul endroit accessible à la jeunesse. C’est le stade qui leur a donné un rôle social. Dans les tribunes et leurs locaux, les supporters apprennent aussi à s’autogérer. Une autogestion qui peut les mener vers la «  démocratie du coup de poing  », où le plus fort impose son autorité, et encore plus quand la police est mal organisée, comme après 1989 dans les pays de l’Est. Bref, c’est ce qui explique, en partie, que l’Europe de l’Est, avec la Russie mais aussi la Pologne, la Hongrie, la Biélorussie, la République tchèque ou la Slovaquie, domine en nombre et en capacité d’organisation la scène actuelle du hooliganisme.

(1) Éditions Mare et Martin, 42 euros. Plus d’infos sur www.facebook.com/sebastienlo...

C’est «  ISTRA  » pour les Bleus…

Tirage au sort confortable (Pérou, Danemark et Australie, groupe C) et lieu de retraite du même acabit pour les Bleus. L’équipe de France a officialisé, samedi, son camp de base pour le Mondial 2018 à Istra dans un 4-étoiles, à 50 kilomètres de Moscou. Les Bleus commenceront leur premier tour le 16 juin à Kazan face à l’Australie. Puis ce sera le Pérou (21 juin) à Ekaterinbourg et enfin le Danemark (26 juin) à Moscou.

Entretien réalisé par Frédéric SUGNOT, L’Humanité


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