Le logement social mis à mal

lundi 12 février 2018.
 

Avec les rigueurs et les drames de l’hiver, la question du mal-logement réapparait. Les associations spécialisées, la dernière en date la fondation Abbé Pierre, tirent la sonnette d’alarme. Et comme chaque année, les responsables politiques répondent par des dénégations et des promesses.

Le logement pour tous, un effort séculaire

Ce traitement saisonnier, superficiel et éphémère, ne doit pas masquer le caractère massif et structurel du problème : 4 millions de personnes sont sans abri, mal-logés ou sans logement personnel selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre. Ni faire oublier que la France dispose, pour y remédier, d’un outil puissant : son système public de logement social. Edifié sur plus d’un siècle, des lois Siegfried (1894) et Loucheur (1928) en passant par la loi SRU (2000), des grands ensembles de l’après-guerre aux petites unités des années 2000, il a connu bien des transformations, des progrès et des reculs, des efforts et des désengagements.

Aujourd’hui, il constitue une part essentielle de l’offre d’habitation, avec quelques 4,6 millions de logements, accueillant plus de 10 millions de personnes (soit 14% des ménages). Il présente en outre des atouts que l’on a trop tendance à méconnaître : une présence dans des territoires divers (banlieues « sensibles », mais aussi centres-villes ou espaces ruraux) ; des prestations variées (du logement « PLAI », destiné aux foyers les plus modestes, aux logements « PLS » et « PLI », ouverts aux classes moyennes) ; un système de financement original, qui pèse peu sur l’Etat, et ne recourt pas aux marchés (pour compléter leurs fonds propres, les organismes HLM sollicitent principalement la Caisse des Dépôts et Consignations) ; une certaine ouverture à la nouveauté architecturale, et, pour les logements les plus récents, des exigences élevées en matière environnementale.

Pénurie et ghettoïsation

Pourtant, force est de constater que le système français du logement social présente des failles et des carences.

Alors que l’accès au logement social pouvait, autrefois, apparaître comme une promotion et attirer des catégories sociales diversifiées, il constitue aujourd’hui principalement une solution de repli pour les groupes sociaux les plus fragiles : les locataires des HLM sont, à 45%, des ménages ouvriers et employés, et à 55% des ménages « à bas revenus » (i.e. appartenant aux 30% les plus pauvres de la population).

En accueillant ainsi préférentiellement les catégories les plus démunies, le parc social assume certes une de ses missions essentielles. Mais cet accueil reste imparfait. D’abord parce que pour une partie de ces classes populaires, de moins en moins solvables, le logement social est encore trop cher. Ensuite parce que le parc HLM n’est pas assez étendu pour répondre aux besoins d’un pays dont la population augmente rapidement (68 millions d’habitants prévus en 2030), et où le nombre de ménages croît plus rapidement encore. Si le nombre annuel de constructions nouvelles a significativement augmenté depuis le début des années 2000, il est resté très inférieur à l’objectif (150 000/an) affiché en son temps par François Hollande, et très insuffisant par rapport à la demande (surtout si l’on tient compte des logements sociaux qui, dans le même temps, sont vendus ou démolis).

La pénurie est d’autant plus marquée que beaucoup de communes rechignent à appliquer les obligations légales en la matière. Alors que les lois SRU et ALUR leur imposent d’atteindre 20% à 25% de logements sociaux sur leur territoire, nombre de municipalités préfèrent ignorer cette contrainte, ou la contourner, en construisant prioritairement des logements de type PLS ou PLI (destinés aux classes moyennes) plutôt que PLAI (destinés aux plus pauvres). Cette entorse à la loi a un double effet pervers : non seulement elle entrave l’expansion quantitative du parc social, mais elle favorise la concentration des plus démunis sur certaines communes, où le logement social fonctionne de fait comme un « ghetto de pauvres », conséquence des « ghettos de riches » défendus pied à pied ailleurs.

Macron : priorité au marché immobilier

Mal défendu par les précédents gouvernements, le logement social semble être dans la ligne de mire d’Emmanuel Macron et de ses ministres, Mézard et Denormandie.

Le gouvernement a ainsi inscrit dans le projet de loi de finances 2018 une baisse de 60 euros l’Aide Personnalisée au Logement (APL) allouée chaque mois aux locataires des HLM. A charge pour les bailleurs sociaux de réduire d’autant leurs loyers, afin d’éviter que les locataires ne se trouvent en difficulté. Mais imposer aux organismes HLM de telles coupes sombres, c’est entamer sérieusement leurs recettes et leurs fonds propres. Avec cette saignée – qui, selon l’Union Sociale pour l’Habitat (USH), pourrait s’élever à 1,8 milliards d’euros – c’est leur capacité d’investir, de réhabiliter, de construire, et d’accueillir qui est remise en cause. En affaiblissant les bailleurs sociaux, le gouvernement fragilise le logement social – et menace tout particulièrement la partie de ce secteur qui accueille les ménages les plus pauvres (puisque ce sont les organismes accueillant le plus de bénéficiaires de l’APL qui seraient le plus touchés).

Le gouvernement a également annoncé qu’il souhaitait en finir avec le principe du « maintien dans les lieux », qui donnait à une famille installée dans une HLM l’assurance de conserver son logement. Désormais, la situation devrait être réexaminée tous les six ans. Officiellement, il s’agit de favoriser la « mobilité » sociale et résidentielle, en incitant les occupants d’un logement social à passer, si ses ressources ont augmenté, dans une autre catégorie de logement. En vérité, toutes les études montrent que le modèle de « l’effet de chaîne » (où un ménage voyait sa situation matérielle s’améliorer graduellement, et passait naturellement de son HLM à un logement du parc privé, puis devenait propriétaire de son logement) est périmé. Aujourd’hui, « la marche est trop haute », et le passage d’une étape à l’autre s’avère souvent impossible, faute de moyens suffisants. Soumettre les locataires à un examen régulier ne servira donc qu’à rendre leur avenir plus incertain, et leur présent plus instable.

Quant à la règle des 20% de logements sociaux, l’exécutif ne semble pas empressé de la faire respecter. D’après un récent rapport, en 2014-2016, ce sont 649 communes qui n’ont pas rempli les objectifs quantitatifs et qualitatifs fixés (contre 387 dans la période précédente, soit une augmentation de 68%). Or, l’Etat ne compte en déclarer « carencées » (c’est-à-dire susceptibles d’être sanctionnées) que 233, soit un tiers environ. Il souhaite en outre accroître le nombre d’exemptions accordées aux municipalités.

La ligne gouvernementale est claire : le président et ses hommes se soucient peu du logement social, et comptent avant tout sur le marché et le parc privé pour résoudre le problème du logement. Tandis que les bailleurs sociaux sont mis à l’amende, aucun effort n’est demandé au secteur privé, pourtant plus profitable. Au contraire, ce dernier a droit à tous les égards : des allègements fiscaux, une « simplification » des normes, et la mise sur le marché d’une partie du parc HLM sont censés fluidifier les affaires et provoquer un « choc durable de l’offre de logement ».

Défendre et étendre le logement social

Cette panacée néolibérale ne résoudra rien. En prétendant faire du logement une marchandise comme les autres, elle risque même d’approfondir la crise. A l’évidence, ce n’est pas en démantelant le système de logement social français que l’on répondra aux besoins. C’est, tout au contraire, en s’appuyant sur l’acquis qu’il représente

déjà, en soutenant les bailleurs sociaux, en développant quantitativement et qualitativement le parc public, et en y inventant les modes de constructions, les formes d’habitat et les manières de vivre que notre époque réclame.

Antoine Prat


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