A lire, un roman d’anticipation écologiste "Les Buveurs de Lumière"

samedi 7 avril 2018.
 

« La femme penche la tête en arrière et fixe le soleil si bien que ses yeux s’illuminent, que les rides escarpées de son visage s’adoucissent et que ses cheveux blancs sont auréolés d’un halo.

- Vous regardez le soleil en face ? s’étonne Stella.

- Je regarde juste en dessous.

- Vous allez devenir aveugle.

- Non. J’ai appris à le faire avec les buveurs de lumière, ils viennent des îles qui se trouvent plus au Nord. On peut absorber la lumière jusque dans ses chromosomes puis, au plus sombre de l’Hiver, quand il n’y en a plus du tout, on se met à rayonner, rayonner, rayonner. C’est ce que je fais.

- Vous rayonnez ?

- Comme un putain d’ange. »

Boire la lumière tant qu’il y en a, se jeter dehors tête baissée dès que le soleil paraît, guetter le Printemps avec impatience et anxiété. Retrouver le chant du merle avec ravissement, se laisser aller au plaisir de la caresse d’un rayon sur sa peau, persévérer à jardiner à demie gelée jusqu’au soir pour ne pas perdre un iota de lumière, irradier de gratitude et d’espoir. On peut sortir de la lecture des Buveurs de Lumière frigorifié et désespéré. Ou on peut décider de refermer le livre bel et bien décidée à vivre et à savourer chaque grain de chaleur, chaque bourgeon en fleur, chaque atome de journée.

Les buveurs de lumière suit mois après mois l’inexorable refroidissement du Gulf Stream et l’arrivée d’une nouvelle ère glaciaire. De Novembre 2020 à -6°, au 19 mars 2021 où la température a chuté à -56°, on regarde vivre en Écosse, dans un coin oublié du monde, un géant barbu et tatoué, une cireuse de lune, une gamine transsexuelle à la langue déliée qui se font face, se cherchent et se trouvent sur fond de Neil Young, d’amours interlopes, de corps qui se réchauffent au fond des caravanes, d’alambics de fortune qui permettent de fouetter le sang et d’oublier l’espace d’un instant qu’il n’y a plus d’oiseaux. Il y a de l’appréhension, des engelures, des taxidermistes bornés mais aussi des soirées emmitouflées dans une peau de Loup à regarder la Lune en buvant du vin chaud.

Dans Les Buveurs de Lumière, au fil des événements, on apprend par des extraits télévisés et radio que d’énormes quantités d’eau douce se déversent dans l’Océan depuis les calottes glaciaires qui fondent. Des militants écologistes manifestent devant Westminster, les villes sont petit à petit paralysées, et les alertes rouges s’allument successivement en Europe, au Canada, aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Afrique. Un iceberg détaché de Norvège, prénommé Boo, se dirige vers les côtes de Clachan Fells où la collectivité tente d’organiser abris chauffés, distribution de nourriture et solidarité. Dans le ciel, un parhélie montre trois soleils. Et le 8 décembre 2020, pour la première fois, les leaders écologistes sont enfin invités à se joindre à une conférence extraordinaire aux Nations Unies : il fait -19° et « les délégués affirment que ceci dit être la première conversation sérieuse et honnête à propos du changement climatique ».

« Par ce froid les mots ressemblent à des cristaux, ; ils restent suspendus en l’air »

Cette fiction dystopique nous rappelle que le dérèglement climatique n’est pas un phénomène simple et linéaire : il combine à la fois sécheresses et inondations, canicules et pics de froid. Raison pour laquelle beaucoup préfèrent parler de changement ou de dérèglement du climat plutôt que de réchauffement, tant il est établi aujourd’hui que nous entrons en la matière en terra incognita. Avec la fonte due au réchauffement actuel, par exemple, la glace de l’Arctique ne réfléchit plus les rayons du soleil, son albedo faiblit, la zone se réchauffe, l’air chaud monte vers l’atmosphère et pousse cet air polaire vers le Nord de l’Europe et de l’Asie qui peuvent alors connaître des hivers très rigoureux. Cela fut le cas en 2005-2006, avec des températures inférieures de 10° à la normale en Sibérie. C’est toute la complexité du phénomène, qui devrait interdire tout raccourci et propos simpliste : dans le monde réel, aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, parfois il fait plus froid parce qu’il fait plus chaud.

« - C’est les calottes polaires qui fondent, ça refroidit tout l’air au-dessus de la mer. Le Gulf Stream n’arrive plus à se réchauffer, intervient Stella.

- Oh, ça n’a rien à voir avec ces bêtises, ma belle, dit Quenotte.

- C’est quoi alors ?

- C’est la vieille Dame Hiver. Elle veut récupérer ses Loups. »

Mais Les Buveurs de Lumière est avant tout un rappel. Celui que le pire n’est jamais certain tant que l’être humain cherche à boire la lumière sans craindre d’être aveuglé. Il n’y a de Cassandre utile que là où il y a soif de connaissance, et volonté de regarder les circonstances en face de manière lucide et éclairée. Goethe sur son lit de mort se serait exclamé « Mehr Licht ! ». Plus de lumière. Là où certains n’y virent que le souhait d’ouvrir la fenêtre afin de voir une dernière fois la lueur du jour, d’autres l’interprétèrent comme le désespoir de n’avoir pu amasser assez de savoir dans sa vie. Et si les deux étaient liés ?

La recherche, la curiosité de l’esprit, la capacité à comprendre sont nos meilleures alliées face à la catastrophe. Et l’émerveillement. Celui ressenti par Dylan, Stella et Clémence face aux silhouettes de glace pointues qu’on appelle « pénitents », formés de soleil, de rosée, de carbone et de glace ; l’espoir qui niche dans des bourgeons de fleurs de cerisier attendant le dégel ; le cœur étreint par le vol d’un oiseau de proie ; cette capacité à l’émerveillement que rien ne doit éteindre, même par vents contraires. Rayonnons comme des putains d’anges.

Corinne Morel Darleux


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