Sarko et la presse

mercredi 30 mai 2007.
 

Nicolas Sarkozy continue de faire la pluie et le beau temps dans les médias français. En début de semaine, on apprenait que le directeur adjoint de sa campagne, Laurent Solly, deviendrait bientôt numéro deux de TF1, la principale télévision de France. La nouvelle n’a guère surpris les milieux journalistiques du pays : le nouveau président n’est-il pas une vieille connaissance de Martin Bouygues, le PDG du groupe qui contrôle TF1 ?

Avant son élection, la proximité entre le candidat de droite et les « puissances médiatiques » a été bruyamment dénoncée par Ségolène Royal et François Bayrou. Elle continue d’inquiéter ses rivaux à l’approche des législatives. Un responsable du Parti socialiste, Benoît Hamon, se plaignait lundi de « l’omniprésence » du chef de l’Etat et de son gouvernement à la télévision : « On ne peut rien faire. Si même son week-end au fort de Brégançon devient un événement... »

Ces derniers mois, Nicolas Sarkozy a amplement démontré son pouvoir sur la presse : éviction du rédacteur en chef de Paris Match, qui avait publié une photo de Cécilia Sarkozy au bras d’un autre homme ; pilonnage d’un livre sur la vie sentimentale de Cécilia ; suppression d’un article du Journal du Dimanche révélant que la nouvelle « première dame » n’avait pas voté au second tour de la présidentielle.

Jacques Espérandieu, rédacteur en chef de ce titre dominical, le plus lu de France, dit avoir retiré l’article sur l’abstention de Cécilia de son propre chef. Mais il y a été fortement encouragé par son actionnaire principal, Arnaud Lagardère, un intime de Nicolas Sarkozy.

La partie cachée de l’histoire est la plus intéressante. Depuis le mois de janvier, Jacques Espérandieu est en sursis en raison de l’arrivée dans le groupe Lagardère de Christian de Villeneuve, l’un de ses ennemis. Il ne doit son maintien en fonction qu’à l’intervention de... Nicolas Sarkozy. Selon nos informations, ce dernier aurait décrété durant la campagne présidentielle : « On ne touche pas à Espérandieu car s’il saute, tout le monde va dire que c’est à cause de moi. »

Mais au lendemain du premier tour, un membre de son entourage a mis en garde des employés du JDD : « Dans quinze jours, Nicolas sera président et votre patron [Espérandieu] va gicler. »

Ce genre de propos n’est pas de nature à stimuler l’esprit critique des cadres du groupe Lagardère, qui contrôle aussi Paris Match : « Il y a beaucoup d’autocensure, parce que chaque maillon de la chaîne se demande ce qu’il y a dans la tête de ceux qu’il est censé servir », confie une personne qui travaille pour le JDD.

Pourtant, loin d’être un père Fouettard qui haïrait les journalistes, Nicolas Sarkozy se soucie d’eux, les tutoie, parfois les aime. « Lorsqu’il était porte-parole du gouvernement, en 1993-1995, il passait sa vie à téléphoner dans les rédactions », témoigne Frédéric Charpier, auteur d’une biographie du nouveau président*. « Il lui est arrivé d’appeler des journalistes trois ou quatre fois en une journée pour leur expliquer qu’ils se trompaient. Il faut beaucoup de ressources pour résister. »

Car dans la profession, Nicolas Sarkozy a la réputation de pouvoir faire ou défaire les carrières. Exemple typique : la chaîne publique France 2, dont la direction risque de ne pas survivre au changement de présidence. Pendant la campagne, les persiflages allaient bon train en interne sur Michaël Darmon, le reporter chargé de suivre Nicolas Sarkozy, qui était jugé trop indulgent. Depuis l’élection, l’ambiance a changé : « Darmon est très courtisé, témoigne une journaliste de la chaîne. Il a plein de nouveaux copains, on n’ose plus y toucher. »

L’aspect le plus secret des relations entre le président et les médias est son rôle de source privilégiée des journalistes politiques. « Pour eux, Sarkozy était une mine, il les informait directement depuis son portable », relate Daniel Carton, auteur d’un livre** sur les coulisses de la présidentielle. Son public favori : les chroniqueurs des magazines et ceux qui écrivent les rubriques de type « bruits de couloirs ». Une rédactrice du Point, Catherine Pégard, vient d’être nommée conseillère du chef de l’Etat. Selon plusieurs sources, celui-ci a longtemps été l’un des informateurs préférés du Canard Enchaîné, hebdomadaire satirique qui ne l’a pourtant pas épargné.

Une telle proximité n’est pas inédite - François Mitterrand la pratiquait aussi - mais Nicolas Sarkozy l’a poussée à son paroxysme, estime Edwy Plenel, l’ancien rédacteur en chef du Monde : « Il y a en France une culture présidentialiste qui mine l’autonomie du journaliste, parce qu’elle abolit la distance qui devrait le séparer du politique. Sarkozy accentue les travers de ce régime. »

Désormais, pour les journalistes français, la question est de savoir si le président utilisera ses nouvelles fonctions pour accroître encore son influence dans les médias, ou s’il va s’impliquer moins directement dans ce secteur qui a tant favorisé sa marche vers le pouvoir.

* Nicolas Sarkozy, enquête sur un homme de pouvoir, Paris, Presses de la Cité, 2007.

** Une campagne off, chronique interdite de la course à l’Elysée, Paris, Albin Michel, 2007.


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