Autoroutes privées : Fric aux actionnaires, danger pour les automobilistes

mardi 21 août 2018.
 

Après l’exemple des chemins de fer britanniques devenus très dangereux suite à leur privatisation, voici un pont de la compagnie italienne Autostrade qui s’effondre.

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Le cours de la société d’autoroutes Atlantia, qui gère les principales autoroutes italiennes, a été suspendu à -10% à la Bourse de Milan vers 14h15 ce 14 août 2018. Il a clôturé en basse de 5,39%.

B) Si un privé n’est pas en mesure de gérer les autoroutes, l’État le fera" (Luigi di Maio, vice-Premier ministre)

Le gouvernement italien a annoncé mercredi qu’il allait révoquer la concession de la société gérant l’autoroute où se trouve le viaduc qui s’est effondré à Gênes. Les autorités souhaitent en outre la démission des dirigeants de cette société, Autostrade per l’Italia, et vont réclamer une amende pouvant atteindre 150 millions d’euros, a annoncé sur Facebook le ministre des Infrastructures et des Transports, Danilo Toninelli.

"Les responsables ont un nom et un prénom". Pour Luigi Di Maio, vice-Premier ministre et chef de file du Mouvement 5 étoiles (M5S, populiste), le pont "ne s’est pas écroulé par fatalité mais parce que la maintenance n’a pas été faite". "Les responsables ont un nom et un prénom, et ce sont Autostrade per l’Italia", a-t-il martelé à la radio. "Pendant des années on a dit que faire gérer les autoroutes par des privés était mieux que par l’État. Maintenant on a l’un des plus grands concessionnaires européens qui nous dit que ce pont était en sécurité et que rien ne laissait imaginer l’effondrement", a lancé Luigi Di Maio.

"Retirer les concessions". "Autostrade devait faire la maintenance et ils ne l’ont pas faite. Ils encaissent les péages les plus chers d’Europe et paient les impôts les plus bas, au Luxembourg en plus. Il faut retirer les concessions et faire payer des amendes. Si un privé n’est pas en mesure de gérer les autoroutes, l’État le fera", a-t-il prévenu. "La révocation des concessions est un minimum", a pour sa part lancé sur une autre radio Matteo Salvini, patron de la Ligue (extrême droite). "En tant que vice-Premier ministre, je vais écrire à tous les autres concessionnaires pour demander quelle part de leur budget ils réinvestissent dans la sécurité".

Mardi soir, le chef du gouvernement, Giuseppe Conte, a annoncé un plan extraordinaire de contrôle des infrastructures. "Il s’agit d’installer de banals capteurs sensoriels sur toutes les infrastructures du pays pour une surveillance constante. Parfois cela se fait avec des satellites, parfois avec des capteurs", a expliqué Luigi Di Maio.

A) Italie : des défaillances sur la structure du pont Morandi à Gênes avaient été signalées

Existait-il un problème de sécurité sur le pont Morandi de Gênes ? Le sujet a immédiatement agité la presse italienne après l’effondrement de la structure autoroutière, qui a fait au moins 30 morts selon un bilan provisoire du ministère de l’Intérieur italien.

Interrogé à ce sujet dans les médias italiens, le PDG d’Autostrade per l’Italia, le groupe privé qui exploite les autoroutes italiennes, Giovanni Castellucci, a affirmé après le drame qu’il ne « détenait aucun document faisant état d’un quelconque danger » sur le pont. Pourtant, la presse italienne se fait l’écho de mises en garde récurrentes concernant la structure même de l’édifice, construit entre 1963 et 1967.

L’une d’elles a notamment été formulée par le professeur agrégé en structures de béton à la faculté d’ingénierie de Gênes, Antonio Brencich. Dans un article publié en 2016 par ingegneri.info, le spécialiste soulignait ainsi que « le viaduc de Morandi a immédiatement présenté plusieurs défaillances de structure, en plus de surcoûts importants de construction ».

N’hésitant pas à évoquer « une erreur d’ingénierie », le professeur pointe ainsi « une évaluation incorrecte des effets de retrait du béton ayant produit un plan de route non horizontal ». Selon Antonio Brencich, les automobilistes empruntant le pont, dès les années 1980, ressentaient ainsi des creux et des bosses sur la voie, correspondant à cette défaillance structurelle. Des modifications de surface avaient été réalisées pour corriger ces défauts, mais aucun changement au niveau de la structure n’avait été opéré.

« Modifier leurs calculs »

Interrogé mardi par le site Linkiesta à la suite de l’effondrement, Antonio Brencich a répété qu’il s’agissait, selon lui, d’un problème de structure du système de précompression appelé « Morandi M5 », du nom de l’architecte du pont :

« J’ai dit, et les faits me donnent malheureusement raison, que ce type de pont est mal conçu et mal calculé et présente des problèmes évidents de vulnérabilité. Après tout, s’il n’y en a que trois dans le monde, c’est qu’il y a bien une raison. »

Le pont Morandi a en effet deux « jumeaux » dans le monde. L’un en Libye, au dessus du Wadi Al-Kuf. L’autre a été construit à Maracaibo, au Venezuela. Or, ce dernier avait lui aussi connu un incident majeur, puisque, en avril 1964, le pétrolier Exxon Maracaibo, qui transportait près de 36 000 tonnes de marchandise, avait cogné deux de ses piles après une panne le rendant non manœuvrable. Les piles s’étaient alors effondrées, et la forme très particulière de ces piliers avaient alors été mises en cause. « Ce type d’événement n’avait pas été pris en compte lors de la phase de conception, souligne Antonio Brencich, pas plus que l’éventualité d’un tremblement de terre. »

Reste que l’accident du pont Morandi n’est pas une exception dans le paysage routier italien. Selon le quotidien italien El Corriere, au moins dix ponts se sont effondrés depuis 2013. Fin 2014, le viaduc de Scorciavacche, reliant le nouveau tronçon sicilien entre Palerme et Agrigente, a commencé à se fissurer puis est tombé, dix jours seulement après son inauguration. Plus récemment, le 9 mars 2017, le viaduc de l’autoroute A14 entre Loreto et Ancona avait fait deux morts et deux blessés.

Opérations de maintenance coûteuses

Des difficultés souvent dues à des travaux mal réalisés, mais aussi à un manque de maintenance sur les quelque 26 400 kilomètres du réseau routier italien.

Des travaux importants avaient pourtant bien été engagés à Gênes sur le pont Morandi, notamment au début des années 2000, avec des opérations de réfection des câbles de suspension si caractéristiques de l’ouvrage, attaqués par la corrosion. Un élément qui a surpris là encore le professeur Antonio Brencich, qui notait qu’un pont de cette taille est censé durer au moins cent ans, et s’étonnait de voir des coûts de maintenance dépasser bientôt le coût de construction. « A la fin des années 1990, 80 % de ce qui avait été dépensé pour la construction avait déjà été dépensé pour des travaux », souligne ainsi, mardi, Antonio Brancich, interrogé par Linkiesta.

Selon le quotidien italien Il Fatto Quotidiano, des travaux de rénovation étaient d’ailleurs encore en cours au moment de l’effondrement du pont, mardi 14 août. Il s’agissait d’une opération de consolidation de la dalle, d’intervention sur les haubans, caractéristiques du pont, ainsi que le remplacement des barrières dans les deux sens. Une voie spécifique avait été mise en place pour faciliter le travail des équipes de maintenance. Les travaux, d’un coût évalué à plus de vingt millions d’euros, avaient été lancés le 3 mai et auraient dû être achevés dans un an.

En mai, le PDG d’Autostrade, Giovanni Castellucci, cité par Il Fatto Quotidiano, s’excusait ainsi du désagrément à venir pour les usagers du pont. « Mais nous pensons que la sécurité passe avant tout », affirmait-il.

Source : https://www.lemonde.fr/europe/artic...


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