Chine - Etats-Unis : « La guerre commerciale aura bien lieu »

jeudi 27 septembre 2018.
 

Chronique. Les guerres ont cette caractéristique que, jusqu’à la veille du déclenchement des hostilités, personne ne se rend à l’évidence de leur inéluctabilité. L’obstination, le cynisme et la bêtise se mêlent dans un cocktail nocif si bien décrit en 1935 par Jean Giraudoux dans La guerre de Troie n’aura pas lieu.

La guerre commerciale dans laquelle s’est lancé Donald Trump n’échappe pas à la règle. Voilà six mois qu’on nous explique que les menaces proférées par le président des Etats-Unis ne sont qu’une posture pour forcer ses « partenaires » commerciaux à négocier et que l’affrontement ultime sera finalement évité.

« Dans la guerre, tout est simple, mais le plus simple est difficile », écrivait le Prussien Karl von Clausewitz dans son traité De la guerre. Concernant la Chine, les choses se compliquent sérieusement. Le point de non-retour est imminent et l’on ne voit pas bien ce qui pourrait enrayer la machine infernale mise en branle par M. Trump. Semaine après semaine, la surenchère entre les deux premières puissances mondiales prend de l’ampleur, les mesures de rétorsion des uns répondent aux sanctions des autres, le dialogue devient impossible.

SI L’ON PEUT ÊTRE DUBITATIF SUR LES REPROCHES QUE M. TRUMP ADRESSE À SES ALLIÉS, LES CRITIQUES CONTRE LA CHINE SONT EN GRANDE PARTIE JUSTIFIÉES

Washington vient de faire un pas de plus vers cette nouvelle version de la doctrine du « Big Stick », dans laquelle la taxation des importations a remplacé la canonnière. A ce jour, les Etats-Unis ont augmenté les droits de douane sur la moitié des biens venant de Chine. Pékin a répliqué, ce sera donc bientôt la totalité de ce qui transite vers les côtes américaines qui sera surtaxée.

Si l’on peut être dubitatif sur les reproches que M. Trump adresse à ses alliés européens, mexicains et canadiens à propos de leur manque de loyauté dans les échanges commerciaux, les critiques contre la Chine sont en grande partie justifiées. Le pays ne s’est pas transformé en une économie de marché telle que l’avaient espérée les pays occidentaux lorsqu’ils acceptèrent en 2001 son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’Etat reste omniprésent en arrosant de subventions les secteurs stratégiques ou en difficulté. Les entreprises publiques constituent toujours l’ossature du tissu économique. Sans compter toute une panoplie de barrières protectionnistes et le non-respect des droits sur la propriété intellectuelle. Des distorsions que l’OMC n’a pas su faire disparaître.

LA FORME QUE PREND LA CROISADE DANS LAQUELLE S’EST LANCÉ LE PRÉSIDENT AMÉRICAIN EST HAUTEMENT CRITIQUABLE

La naïveté des Occidentaux s’est révélée encore plus flagrante lorsque, en 2015, Pékin a dévoilé son plan « Made in China 2025 », dont l’ambition est de faire de la Chine un leader mondial de l’innovation grâce à une large intervention de la puissance publique. La formulation ostentatoire de ces ambitions constitue une erreur du président Xi Jinping, qui n’a pas eu la sagesse de continuer, comme la Chine avait très bien su le faire jusqu’alors, à avancer discrètement ses pions dans cette quête du leadership.

Toutefois, la forme que prend la croisade dans laquelle s’est lancé M. Trump est hautement critiquable. Tout d’abord, il est naïf de croire que des barrières douanières vont stopper la marche de l’histoire et l’ascension économique de la Chine. Cette stratégie est promise à autant d’efficacité que la ligne Maginot : mur infranchissable en théorie, qui s’est révélé facilement contournable dans la pratique. Le fait d’acculer ainsi la Chine ne va que la pousser à intensifier ses efforts pour améliorer sa compétitivité et accélérer sa mutation vers une économie à plus forte valeur ajoutée.

Hausse du billet vert en vue

Ensuite, Pékin n’a pas tiré toutes ses cartouches, à commencer par la dévaluation monétaire. A ce stade, le premier ministre chinois Li Keqiang, soucieux de préserver la réputation de la Chine sur les marchés financiers s’est présenté comme « défenseur des principes fondamentaux du multilatéralisme et du libre-échange ». Il a assuré à ce titre que « la Chine ne s’engagera jamais sur la voie d’une dépréciation du yuan pour stimuler ses exportations ».

En fait, Pékin n’en aura pas besoin : M. Trump travaille à son corps défendant pour le yuan. Le stimulus budgétaire décidé par le président américain alors que son économie est déjà en haut de cycle, va pousser la Réserve fédérale à accélérer la remontée de ses taux d’intérêt, ce qui aura pour conséquence directe de doper le dollar. Cette hausse du billet vert renforcera la compétitivité des biens chinois, ce qui compensera partiellement les effets des hausses des taxes qu’ils subissent.

LES GOUVERNEMENTS DES PAYS OCCIDENTAUX SE SONT LAISSÉS BERCER PAR LES ILLUSIONS DE LA MONDIALISATION HEUREUSE

Enfin, la Chine, premier créancier des Etats-Unis, pourrait également décider d’arrêter d’acheter de la dette américaine, au moment où celle-ci est sur le point d’exploser. La réforme fiscale décidée par M. Trump va doubler le déficit budgétaire, qui devrait dépasser les 1 000 milliards de dollars (858 milliards d’euros) d’ici à 2020. A ce niveau, aucun amateur de bons du Trésor américain ne devra manquer à l’appel. C’est une carte à jouer pour la Chine.

En attendant, le bellicisme de M. Trump est hautement contre-productif. Ses coups de boutoir menacent de bouleverser les chaînes d’approvisionnement du commerce mondial, d’affaiblir l’économie américaine en réduisant la visibilité des investisseurs et de saper la compétitivité de celle-ci en renchérissant les coûts de production. Le risque de déstabilisation de l’économie mondiale n’est pas à prendre à la légère.

Il est évident qu’il aurait fallu réformer l’OMC bien avant qu’un Donald Trump émerge. Les gouvernements des pays occidentaux se sont laissés bercer par les illusions de la mondialisation heureuse sans se préoccuper des dégâts que celle-ci provoquait sur leurs classes moyennes. Pourquoi les initiatives de l’UE pour remettre à plat le système et contraindre la Chine par le droit ne sont-elles pas intervenues plus tôt ? Résultat : la question se règle désormais à la Trump. Comme le résume Rob Scott, économiste à l’Economic Policy Institute : « Si vous coupez toutes les routes pour parvenir à une solution, vous n’allez pas résoudre le problème. En tout cas, pas de façon pacifique. » Les Chinois n’ont aucun moyen de sauver la face. La guerre de Troie aura bien lieu.

Stéphane Lauer


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