Légaliser le cannabis : Pourquoi ? Comment ?

samedi 13 octobre 2018.
 

Dans un projet de loi fourre-tout intitulé programmation pour la justice, le gouvernement prévoit notamment la punition par une amende de l’usage de cannabis. Ce projet de loi sera examiné à partir du 9 octobre au Sénat.

Anne Coppel, sociologue, présidente d’honneur de l’association ASUD (Auto-support des usagers de drogues) et François-Georges Lavacquerie, porte-parole du CIRC (Collectif d’information et de recherches cannabiques) esquissent ce que pourrait être selon eux une légalisation de l’usage de cannabis.

Après des années d’escalade de la guerre au cannabis, la légalisation ouvre enfin une voie où s’engouffrent progressivement de plus en plus de pays. Même les Français ont pris conscience de l’échec de la lutte contre le trafic. 52% d’entre eux sont désormais favorables à la vente du cannabis sous le contrôle de l’Etat. Avec les expériences en cours sur le continent américain, au Nord comme au Sud, le débat s’ouvre enfin, même s’il suscite de nombreuses interrogations :

Ne risque-t-on pas de sacrifier la santé des jeunes pour un marché lucratif ? Quelles conséquences aura la légalisation du cannabis dans les quartiers investis par le trafic ? Nous traiterons ici ces questions sous l’angle de la santé publique d’une part et sur le choix du cadre législatif d’autre part.

D’abord, qu’en est-il de la santé publique ? Qu’en est-il de la dangerosité de cette drogue au regard des autres drogues licites ou illicites ? L’interdit est-il nécessaire à la protection de la santé ? Jusqu’à présent, on pouvait penser qu’il n’y avait pas de consensus au sein des experts sur ces questions, mais l’OMS, organisme chargé du classement des psychotropes pour l’ONU vient de décider de trancher ce débat. Le pré-rapport rendu public en juin 2018 à Genève justifie de revoir le classement du cannabis en ces termes : le cannabis se présente comme une drogue « relativement sans danger ». Il n’y a pas de mortalité, les études sur le risque cardiaque n’étant pas fiables. C’est aussi dire que le cannabis, contrairement à l’alcool et au tabac, ne pose pas un problème de santé publique.

Voilà qui va à l’encontre de la succession des campagnes sur la dangerosité du cannabis, qui a-t-on dit et répété, rend dépendant, peut provoquer des psychoses et autres troubles psychiatriques et qui enfin peut tuer, à minima sur la route. Cette dramatisation tend à justifier l’activité des services répressifs, qui porte essentiellement sur le cannabis (90 % des infractions à la législation sur les stupéfiants), mais elle s’est révélée parfaitement inefficace pour limiter la consommation. Ce qui fait baisser la consommation, ce n’est pas la peur du gendarme, ce sont les effets que les jeunes peuvent observer sur eux-mêmes et leurs copains, et par exemple sur la mémoire et la concentration : on le sait d’expérience, mieux vaut ne pas consommer du cannabis avant un cours, mieux vaut consommer modérément et commencer le plus tard possible. Mieux vaudrait aussi ne pas consommer en même temps de l’alcool et du tabac, ce qui redouble les risques associés à ces drogues. Enfin, pour les risques psychiques, il faudrait commencer par avertir les expérimentateurs des effets psychotropes, qui modifient les états de conscience. Le cannabis exacerbant les émotions et les affects, si on se sent mal, sa consommation peut provoquer un « bad trip », lequel ne doit pas être confondu avec une schizophrénie ou une psychose. Mais le cannabis peut aussi avoir des effets bénéfiques sur les troubles psychiques, ce que bien des consommateurs ont découvert par eux-mêmes. L’expérience a ainsi été à l’origine d’un nouveau développement des recherches sur les composants du cannabis, une drogue extrêmement complexe puisqu’elle comprend près de 500 principes actifs, dont le cannabidiol (CBD) sans effets psychotropes et le THC qui modifie l’état de conscience.

Que les effets recherchés soient thérapeutiques ou purement récréatifs, il est clair que des malades et des amateurs vont continuer à consommer du cannabis. Aussi la santé publique doit-elle se fixer comme objectif de réduire les risques et dommages associés à la consommation. Cette nouvelle stratégie de santé publique a été adoptée face à l’héroïne et au sida dû à l’injection, elle s’applique désormais à l’ensemble des psychotropes en faisant appel à « la responsabilité individuelle et collective », selon l’OMS, et non pas sur l’autorité médicale, ni sur les sanctions judiciaires, quelle que soit la drogue consommée.

Dans cette nouvelle approche de la santé publique, il n’y a pas d’interdiction mais une approche de prévention, comme pour l’alcool ou le tabac. Il nous semble que le plus raisonnable serait d’opter pour une légalisation « à la française » qui s’inspirerait des coffee shop d’Amsterdam et des légalisations californienne et canadienne. On pourrait résumer cette politique en deux principes : décriminaliser l’usage du cannabis ; réglementer son accès. Décriminaliser, cela veut dire que l’Etat cesse de considérer les citoyens qui consomment des drogues comme des délinquants. Réglementer, c’est garantir un accès à un produit légal sûr et de qualité et d’encadrer sa consommation par une législation simple, souple, rationnelle et révisable, dérivée de la législation sur l’alcool et le tabac, avec des exigences fortes sur la qualité du produit, sa traçabilité, ses qualités.

Afin de séparer le cannabis des autres drogues (alcool et tabac, notamment) la vente se ferait dans des établissements spécifiques, les cannabistrots permettant une éducation par les pairs, plutôt que l’achat solitaire et compulsif sur Internet. On y dispenserait des informations sur les effets et les risques du produit, la composition et la concentration des produits en principes actifs, et sur les modes de consommation à risques réduits.

Comme pour l’alcool et le tabac, la vente aux mineurs et la publicité seraient interdites et le droit de marque limité. L’autoproduction à des fins personnelles serait autorisée de même que les cannabis social clubs (sortes d’AMAP du cannabis). Un statut spécifique serait institué pour le cannabis thérapeutique.

L’éducation sanitaire est le principal outil dont nous disposons en termes de prévention et elle a démontré son efficacité dans les pays d’Europe du Nord attachés à la santé publique. Et pourtant, même dans les Etats américains qui affichent un objectif financier, les premiers résultats sont positifs. Les premières études montrent une baisse de la consommation des jeunes, la moyenne d’âge des usagers étant de 39 ans. En Californie, la consommation des élèves a même baissé de 47% entre 2015 et 2017, alors que le cannabis thérapeutique était largement accessible. Parallèlement, la même étude constate une baisse de 41% de la délinquance, dont 15% pour les attaques à mains armées et 10% pour les meurtres.

Ce n’est pas dire que la légalisation du cannabis va régler tous les problèmes de trafic en France, mais on peut s’attendre à une baisse des interpellations, ce qui limiterait l’enfermement dans la délinquance. Les policiers pourraient enfin se consacrer à des tâches plus sérieuses. En effet, contrairement à ce qui est souvent avancé, l’argent de la drogue ne ruisselle pas dans les quartiers, les bénéfices restent dans les mains de quelques gros trafiquants, selon la logique libérale observée dans tous les secteurs d’activité. Enfin, on pourrait comme en Californie favoriser la réinsertion des personnes condamnées pour infractions à la législation sur les stupéfiants dans ce nouveau commerce légal. C’est le choix d’une stratégie de changement, en cohérence avec un mouvement qui se veut ouvert, bienveillant et inclusif.

Anne Coppel

François-Georges Lavacquerie


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