La ZAD de Notre-Dame-des-Landes en voie d’apaisement

mercredi 23 janvier 2019.
 

- les « zadistes » veulent pérenniser leur ancrage sur place

- consolider et développer les projets

- Gérer collectivement le foncier

- Le casse-tête de l’attribution des terres

La page des violences désormais tournée, les « zadistes » veulent pérenniser leur ancrage sur place.

Dans la « zone à défendre » (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), jeudi 17 janvier, était décrété « jour férié » pour célébrer le premier anniversaire de la « victoire ». Il y a un an exactement, le premier ministre, Edouard Philippe, annonçait à la télévision l’abandon du projet de construction d’un aéroport : « Cette décision est logique au regard de l’impasse dans laquelle se trouve ce dossier. »

En ce jour de fête, diverses réjouissances étaient donc prévues, dont une marche en forêt, des spectacles et un dîner, sous un chapiteau dressé sur l’une des prairies qui bordent l’Ambazada, un lieu de vie et de réunion au sud de la zone, auxquelles s’étaient inscrites plusieurs centaines de personnes. Mais la victoire des opposants à ce projet ancien d’une cinquantaine d’années, emblématique de toutes les luttes contre des projets d’infrastructure jugés « inutiles et imposés », ne suffit pas. Sur la ZAD, se joue la défense d’un mode de vie, d’une agriculture écologique, de la biodiversité… que d’aucuns estiment toujours menacés.

« Nous célébrons un an d’abandon de l’aéroport, nous voulons que soit gardé en mémoire que c’est le fruit de décennies de luttes (…), mais on parle d’une victoire qui a été suivie d’une vengeance d’Etat, de la destruction d’un certain nombre de lieux de vie », a ainsi déclaré, jeudi, l’un des porte-parole des zadistes, qui se fait appeler Thomas, lors d’une conférence de presse à la Rolandière, lieu symbolique qui abrite notamment le phare et la bibliothèque du Taslu.

Consolider et développer les projets

Sur les innombrables chemins qui sillonnent cette zone bocagère, à une vingtaine de kilomètres au nord de Nantes, le calme règne. Si une quarantaine de sites ont été détruits lors des opérations menées par les gendarmes mobiles, en avril et mai 2018, donnant lieu à des affrontements violents, la page semble tournée.

La préoccupation principale des quelque 150 habitants qui demeureraient encore dans la ZAD est de consolider et développer les projets qui leur permettent de s’ancrer ici, aux côtés des paysans qui ont mené à la lutte avec eux. « Nous avons vécu un printemps beaucoup trop bleu [la couleur des véhicules de la gendarmerie], les choses se sont apaisées, nous vivons sereinement. Les paysans résistants ne sont plus menacés aujourd’hui, mais ils n’ont toujours pas retrouvé leurs droits », explique Marcel Thébault, l’un des paysans « historiques », exproprié et menacé d’expulsion par le projet. Résidant aux Fosses noires, Lucas est un des occupants historiques de la ZAD. Brasseur, il souhaite pouvoir développer sa production de bière et les cultures de houblon et de céréales qui lui sont nécessaires. Il vit toujours dans l’insécurité, dans l’attente de signer un bail ou, à défaut, une nouvelle convention d’occupation précaire.

Principal sujet d’inquiétude, les conventions d’occupation précaires (COP) signées avec la préfecture, sont tombées au 31 décembre 2018. Et la quinzaine de projets qui avaient été acceptés, pour quelque 180 hectares, élevages de vaches, de moutons, maraîchage, culture de céréales, etc. se retrouvent de nouveau dans l’attente d’une nouvelle régularisation, fût-elle encore précaire. « On ne sait toujours pas à quelle sauce on pourrait être mangé. Depuis fin décembre, je suis de nouveau squatteur. Que vont devenir les investissements, la pose d’une nouvelle dalle pour stocker les fûts et les bouteilles ? Et les hectares nécessaires pour le houblon, les céréales ? », se demande Lucas, le brasseur de la ZAD.

« Gérer collectivement le foncier »

Même écho auprès du groupe qui a été expulsé manu militari, au printemps, des « 100 Noms ». Réinstallé au hameau du Liminbout, à l’ouest de la zone, il espère pouvoir agrandir son troupeau de brebis. Tout comme « Gibier » ou « JB », à l’autre extrémité de la ZAD, à la Noé verte, qui voudrait être assuré de l’avenir de son activité, la culture de cardons, d’épinards, de carottes bottes, de mâche… « Ce n’est pas un “projet”, cela fait cinq ans que je fais du maraîchage, trois ans que je cotise à la MSA [Mutualité sociale agricole], on veut juste pouvoir gérer collectivement le foncier », dit-il.

La solution pourrait venir d’un fonds de dotation, « la terre en commun », créé pour permettre le rachat de terres et de bâtis qui seraient revendus par l’Etat ou le département. En un mois à peine, quelque 230 000 euros ont déjà été collectés sur le site Encommun.org notamment, avec 300 donateurs seulement, issus d’un réseau de sympathisants proches. L’équipe d’animation de ce fonds espère récolter de 2 à 3 millions d’euros pour « pouvoir réagir dès l’annonce des mises en vente », précise Geneviève Coiffard, la présidente. La RD281, surnommée « route des chicanes », redevenue praticable pour les habitants de Notre-Dame-des-Landes et des bourgs voisins. Son nettoyage était devenu un enjeu symbolique pour le gouvernement, synonyme de « retour à l’Etat de droit ».

Une douzaine de lieux sont déjà dans le viseur. « Nous voulons un territoire vivant et solidaire, cohérent aussi avec la défense de la biodiversité. On ne peut pas diviser cette zone avec un petit bout pour les écolos et un petit bout pour Monsanto [les agriculteurs qui utilisent des intrants chimiques] », avance Jean-Marie Dréan, membre des Naturalistes en lutte et membre du conseil d’administration du fonds.

Médailles aux fonctionnaires

Alors que la ZAD de Notre-Dame-des-Landes veut inscrire son avenir dans une relative sérénité, la colère habite ceux qui ont « perdu » la bataille de l’aéroport. Les associations qui ont lutté pour le transfert de l’actuelle infrastructure aéroportuaire de Nantes-Atlantique et ont vu la solution de sa modernisation choisie par le gouvernement, appellent à une marche, samedi 19 janvier, dont l’objectif est d’alerter sur les « nouvelles trajectoires d’avions », qui vont « fortement impacter la ville de Nantes ». Elles dénoncent toujours, un an après, l’abandon du transfert.

Le premier ministre, lui, décernera le 25 janvier à Matignon, des médailles de la sécurité intérieure, spéciales « Notre-Dame-des-Landes » – une pratique déjà usitée après l’ouragan Irma ou la Coupe du monde de football –, à des fonctionnaires ayant participé aux opérations, dont l’ex-préfète Nicole Klein, devenue depuis directrice de cabinet du ministre de la transition écologique et solidaire. Une manière, peut-être, pour le gouvernement de clore le chapitre.

Le casse-tête de l’attribution des terres

Des baux pérennisant les activités agricoles devraient être signés au printemps.

Un an après l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, la paix est signée entre le département de Loire-Atlantique, dont le président (PS), Philippe Grosvalet, était un fervent défenseur du projet d’aéroport – et l’Etat. Un protocole d’accord sur la rétrocession à la collectivité de la majorité des terres cultivables de la ZAD, soit 895 hectares sur les 1 425 du site, surface incluant une quinzaine de bâtis, a été signé le 18 décembre 2018.

Selon le décompte de la préfecture, 700 hectares sont déjà exploités, par le biais de conventions d’occupation temporaire (COP), par 27 agriculteurs « historiques » qui avaient été expropriés à l’issue de la déclaration d’utilité publique du projet d’aéroport en 2008.

Près de 140 hectares sont également mis à disposition de 15 porteurs de projets ayant investi les lieux lors de la lutte contre la bétonisation du bocage. Restent 70 hectares sur lesquels des personnes travaillent sans bénéficier de COP « en raison de conflits d’usage de terres avec des agriculteurs du secteur ». M. Grosvalet se veut confiant sur l’issue de ces dossiers : « Nous sommes dans une logique d’apaisement », assure-t-il. Le préfet Claude d’Harcourt soulignait fin décembre 2018 que 90 % des cas étaient « réglés » et que les 10 % restants devraient faire l’objet de compromis, par exemple sous forme d’échanges de terres.

Circulation rétablie

Le rachat des parcelles par le département, moyennant un chèque de 950 000 euros à l’Etat, sera effectif le 29 mars. Des baux, gages de pérennité des activités, devraient être signés « dans la quinzaine qui suit », avance M. d’Harcourt. Les personnes installées sur les « terres historiques » bénéficieront automatiquement de ces baux. Les habitants de la ZAD auront droit au même traitement « sitôt qu’ils auront accompli l’ensemble des formalités nécessaires à leur installation, précise Matthieu Benezech, chargé de mission aéroport auprès du préfet. Pour plusieurs d’entre eux, la signature de baux pourrait se faire en même temps que les agriculteurs historiques. D’autres auront peut-être besoin d’un délai jusqu’au second semestre. »

Sur le terrain, la zone est pacifiée. La circulation est rétablie sur les routes, « les services publics desservent la zone, et les enfants de la ZAD sont scolarisés sur la commune », note Jean-Paul Naud, maire de Notre-Dame-des-Landes, qui était lui aussi opposé au projet d’aéroport.

Des poches de tension subsistent cependant. Les occupants de la ferme de la Grée n’ont pas déposé de projet, faisant fi des injonctions de l’Etat. Claude d’Harcourt souhaite « traiter tous les dossiers sensibles dans le respect des règles, avec le temps nécessaire, de telle sorte que nous arrivions, à la fin des fins, à une situation conforme à l’état de droit pour 100 % des personnes concernées ».

« On n’acceptera pas de cabanes de bric et de broc qui mettraient en péril l’écosystème »

La redistribution de 180 hectares de terres dites « non historiques » et de 152 hectares, bientôt transmissibles du fait de la cessation d’activité de professionnels, suscite des convoitises. Les porte-parole de la ZAD exigent « un diagnostic foncier transparent pour s’assurer que la priorité est donnée à de nouvelles installations et non à l’extension d’exploitations déjà indemnisées dans le cadre de l’ex-projet d’aéroport ».

La question de l’habitat reste également en suspens. Le plan local d’urbanisme intercommunal grave dans le marbre le fait que la ZAD comporte 98 % de zones humides, ce qui laisse une place restreinte pour les espaces bâtis. « Oui, il y a des habitations qui ont été construites illégalement, mais il faut prendre en compte l’histoire de la zone », affirmait l’ancienne préfète Nicole Klein avant son départ. « On peut étudier l’opportunité de mettre en place une zone prévoyant des habitats alternatifs, mais on n’acceptera pas de cabanes de bric et de broc qui mettraient en péril l’écosystème », prévient M. Naud.

Certaines cabanes pourraient être déménagées sur des sites anciennement bâtis. « Il y a une trentaine de maisons qui ont été démolies à cause du projet d’aéroport, relève Marcel Thébault, agriculteur historique. Avant, on comptait 200 habitants sur ces lieux. On est moins nombreux aujourd’hui. On doit donc pouvoir trouver une solution, si tout le monde est raisonnable. Exactement comme pour la question foncière. »

Yan Gauchard (Nantes, correspondant)


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