Européennes 2019 en France : les bouleversements à droite

dimanche 2 juin 2019.
 

Européennes 2019 : Macron a réussi son « OPA » sur l’électorat de droite

Il y a deux ans, le chef de l’Etat a été élu avec l’apport de voix du centre gauche, dont une partie s’est détournée de La République en marche le 26 mai.

« Les gens de centre droit qui veulent retourner chez Bellamy, il faut aller les chercher ! », avait lancé Emmanuel Macron, le 30 avril, devant les députés La République en marche (LRM) de la commission des lois, reçus à l’Elysée. Après avoir siphonné l’électorat de gauche à la présidentielle, le chef de l’Etat et ses soutiens s’étaient fixé pour objectif de séduire celui de centre droit lors des élections européennes.

Au vu des résultats du scrutin du 26 mai – qui donnent LRM deuxième avec 22,4 % contre 8,5 % aux Républicains (LR) –, l’OPA a fonctionné. La majorité est parvenue à attirer dans ses filets 27 % des électeurs de François Fillon à la présidentielle de 2017, selon une étude Ipsos-Sopra Steria réalisée pour France Télévisions et Radio France diffusée lundi 27 mai. Ce transfert de voix a eu pour effet de provoquer l’effondrement du parti présidé par Laurent Wauquiez, déjà affaibli par le Rassemblement national (RN). Brice Teinturier, directeur général de l’institut de sondage Ipsos, analyse : « Les électeurs de droite plutôt libéraux et pro-européens sont partis vers LRM plutôt que d’opter pour la droite catholique conservatrice de François-Xavier Bellamy. »

Cela n’a pas permis pour autant à LRM d’augmenter son score par rapport à celui d’Emmanuel Macron à la présidentielle (24 %). Car, dans le même temps, une partie des électeurs de gauche a tourné le dos au chef de l’Etat. Parmi les quelque 8,6 millions d’électeurs du candidat Macron au premier tour de la présidentielle, 14 % d’entre eux ont opté en faveur de la liste d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), menée par Yannick Jadot, et 11 % pour la liste du Parti socialiste, portée par Raphaël Glucksmann.

Le socle électoral macroniste se transforme de l’intérieur. « L’apport de suffrages issus de la droite a compensé la fuite des électeurs de gauche, résume Brice Teinturier. D’où un changement dans la composition sociopolitique de LRM, qui est de plus en plus marquée à droite. » Après avoir bénéficié d’un apport de voix de centre gauche pour accéder à l’Elysée en 2017, M. Macron est davantage soutenu par le centre droit, deux ans plus tard.

« LRM a pris à LR le vote des seniors »

L’analyse sociologique des résultats le montre. Alors que les personnes âgées forment la clientèle traditionnelle de l’électorat de droite, celles-ci ont cette fois opté massivement en faveur de LRM. La formation macroniste réalise ainsi son meilleur score chez les plus de 70 ans. Alors que 33 % d’entre eux ont glissé un bulletin LRM dans l’urne, seuls 15 % ont choisi de voter LR, selon l’Ipsos. Même phénomène chez les 60-69 ans (24 % ont choisi LRM, contre 9 % LR) et chez les 50-59 ans (21 % contre 6 %). « LRM a pris à LR le vote des seniors », résume Brice Teinturier.

Le parti présidentiel enregistre son meilleur score chez les retraités (30 %), bien que plusieurs mesures du début du quinquennat, comme la hausse de la CSG, aient nourri chez eux un fort sentiment d’injustice. La liste de François-Xavier Bellamy n’a obtenu que 11 % dans cette catégorie. Une vraie rupture avec la présidentielle de 2017, où François Fillon avait été le candidat de l’électorat âgé en obtenant 45 % des suffrages des 70 ans et plus, ainsi que 36 % chez les retraités, selon une étude Ipsos réalisée du 19 au 22 avril 2017.

« La maison des retraités, c’est LR », affirmaient les dirigeants du parti de droite avant les élections européennes. Mais l’offensive lancée par M. Macron et ses soutiens, ces dernières semaines, pour se réconcilier avec les retraités semble avoir porté ses fruits. Le chef de l’Etat a annoncé plusieurs mesures dans leur sens en réponse à la crise des « gilets jaunes », comme la réindexation des pensions de retraite ou l’annulation de la hausse de la CSG pour une partie d’entre eux.

Le changement de nature du socle macroniste se vérifie par l’analyse de la carte électorale, notamment en ce qui concerne les gains sur un électorat venu de la droite modérée, urbain et essentiellement concentré en Ile-de-France, dans les terres de l’Ouest et une partie d’Auvergne-Rhône-Alpes, tant au niveau des communes que des circonscriptions.

Basculements significatifs

Ainsi, dans les villes de plus de 35 000 habitants tenues par la droite et qui avaient encore placé François Fillon en tête du premier tour de l’élection présidentielle en 2017, on observe plusieurs basculements significatifs. Le plus marquant est évidemment celui de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), où la liste LRM conduite par Nathalie Loiseau arrive largement en tête avec 47,9 % des suffrages. Dans le même département, c’est également le cas à Boulogne-Billancourt, avec 40,9 % des voix, et à Levallois-Perret, la riche cité de l’Ouest francilien tenue depuis 1983 par le couple Balkany, où la liste LRM obtient 37,3 %.

Autres cas emblématiques en Ile-de-France : Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), avec 39,1 % pour LRM, ou Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), avec 33,1 %. Même à Versailles, la ville dont M. Bellamy est l’adjoint au maire, LRM arrive en tête avec 29,6 % des voix. En dehors de l’Ile-de-France, d’autres villes ancrées à droite qui n’avaient pas succombé à la vague macroniste en 2017 ont cette fois placé la liste de Mme Loiseau en tête, comme Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône, 29,1 %), Compiègne (Oise, 26 %) ou Les Sables-d’Olonne (Vendée, 29,4 %).

Sur les 134 circonscriptions actuellement détenues par la droite – LR et UDI –, pas une seule n’a accordé la première place, dimanche, à la liste conduite par M. Bellamy. LRM arrive en tête dans 24 d’entre elles. Parmi celles-ci, la 4e circonscription de Paris, tenue par Brigitte Kuster, où elle réalise 46,1 %, ou la 14e, celle de Claude Goasguen (45,5 %), ainsi que la 18e, de Pierre-Yves Bournazel, avec 28,2 % pour la liste LRM mais suivie par celle d’EELV, qui obtient (26,4 %).

Toujours en Ile-de-France, on notera la 6e des Hauts-de-Seine, incluant Courbevoie, Neuilly, Puteaux, circonscription historique de Nicolas Sarkozy, aujourd’hui détenue par son ancienne collaboratrice Constance Le Grip, où LRM obtient 39,8 %, ou la 5e du Val-de-Marne, celle de Gilles Carrez, ancien président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, où elle recueille 29,2 %. Dans l’Ouest sont également dans ce cas la 3e des Côtes-d’Armor, les 6e et 7e d’Ille-et-Vilaine, la 3e de la Mayenne ou la 7e de Seine-Maritime. Comme les 3e et 4e de Haute-Savoie ou la 8e du Rhône en Auvergne-Rhône-Alpes.

Malgré ces transferts venus de la droite qui se sont portés sur LRM, il faudra quand même noter que les 110 autres circonscriptions ayant un député de droite ont toutes placé le RN en tête. Signe s’il en était des fractures au sein d’un électorat de droite écartelé.

Patrick Roger et Alexandre Lemarié

• Le Monde. Publié le 28 mai 2919 à 11h23, mis à jour à 13h02


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