« Le monde a changé, LR et le PS n’ont tout simplement pas voulu le voir »

dimanche 9 juin 2019.
 

Les deux partis n’ont pas su se remettre en question face une profonde recomposition politique, estime dans sa chronique Françoise Fressoz, éditorialiste au « Monde ».

Chronique. Avec quelle véhémence Laurent Wauquiez s’en est pris, dimanche 26 mai, à Emmanuel Macron ! « Le président de la République a fait un choix lourd de conséquences », a accusé le leader très affaibli de la droite. « Il a réduit le débat européen à une croisade contre Marine Le Pen pleine d’arrière-pensées, ce qui n’a abouti qu’à une seule chose : faire progresser les extrêmes. Il a une lourde responsabilité. Il n’a pas été un rempart contre le Rassemblement national, il a été ce soir l’artisan de leur progression. » Diable !

La liste conduite par François-Xavier Bellamy rêvait de briser le duopole Macron-Le Pen. Elle n’a totalisé que 8,48 % des suffrages exprimés, loin des 20 % obtenus par François Fillon à la présidentielle de 2017, encore plus loin des 27,8 % enregistrés par l’UMP lors de la campagne des européennes de 2014.

En imputer la seule responsabilité à Emmanuel Macron relève de l’aveuglement. Car s’il est vrai que l’entrée en campagne du président de la République durant la semaine du 6 mai a eu pour effet de stopper net la progression du philosophe versaillais dont la bienveillance était en passe de réconcilier les frères ennemis de la droite, des raisons bien plus profondes expliquent la déconfiture de la liste LR : de scrutin en scrutin, la base électorale de ce parti qui prétendait naguère embrasser les trois grandes sensibilités de la droite – légitimiste, orléaniste, bonapartiste – se rétrécit comme une peau de chagrin.

Une droite fissurée

Le dernier leader à avoir réussi la jonction de ces électorats est Nicolas Sarkozy en 2007. C’est la raison pour laquelle l’ancien président de la République, en dépit de ses déboires judiciaires, conserve une telle aura dans son ancien parti. C’est pourtant lui qui a amorcé la descente aux enfers lorsque au tournant des années 2010, faute de résultats tangibles sur le front économique, il a fait de l’identité nationale et de l’immigration la thématique centrale de son discours.

Il est arrivé à la droite française ce dont souffre aujourd’hui une bonne partie de la droite européenne : à force de s’approprier le discours identitaire de partis plus extrêmes, elle s’est fissurée et fragilisée. La fraction la plus populaire de son électorat s’est laissée attirer par le discours national social du Rassemblement national, tandis que son aile libérale s’est sentie de plus en plus mal à l’aise avec le durcissement idéologique.

Les 20 % de François Fillon il y a deux ans étaient déjà un sérieux avertissement : sociologiquement, l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy n’attirait plus sur son nom qu’une petite partie de ce qu’avait constitué naguère le socle électoral de la droite : il souffrait d’une sous-représentation préoccupante chez les jeunes et dans les milieux populaires, et d’une surreprésentation dans l’électorat âgé et chez les actifs les plus aisés où il se trouvait néanmoins fortement concurrencé par Emmanuel Macron.

Loin d’amorcer un élargissement, le scrutin du 26 mai a rétréci un peu plus cette base déjà étroite au point d’en rendre le socle insignifiant. Un sondage sorti des urnes réalisé dimanche par Ipsos/Sopra Steria montre que 27 % des électeurs de François Fillon se sont reportés sur la liste de la majorité présidentielle, tandis que 18 % ont voté pour le Rassemblement national. La liste LR a continué de perdre par les deux bouts dans des proportions qui menacent désormais la survie de la droite républicaine.

Le PS paralysé

Le pari perdu de Laurent Wauquiez était profondément conservateur. Il reposait sur l’idée qu’il fallait sauvegarder un socle minimum d’électeurs aux élections européennes dans l’attente d’un retour de balancier favorable à la droite. Nul besoin de changer de logiciel idéologique pour cela, l’alternance se produirait mécaniquement du fait des fragilités intrinsèques d’Emmanuel Macron.

Pas plus que Nicolas Sarkozy ou que François Hollande, le leader de LR n’a cru que 2017 avait ouvert une période de profonde recomposition politique. Il a considéré Emmanuel Macron exactement comme le RPR et le Parti socialiste avaient traité Valéry Giscard d’Estaing entre 1974 et 1981 : le gêneur ne serait jamais qu’une parenthèse dans l’alternance programmée entre la droite et la gauche. Or, tout ce qui se passe depuis deux ans infirme cette analyse. Emmannuel Macron résiste, tandis que la droite républicaine subit un profond processus de décomposition qui s’accélère au fil des scrutins.

Dans un parallélisme troublant, la gauche de gouvernement connaît exactement le même sort. Le Parti socialiste, qui dominait la vie politique nationale et locale lorsque François Hollande a été élu président de la République en 2012, a tout perdu en un quinquennat du fait de contradictions idéologiques devenues insurmontables. Or, au lieu de se remettre en question, l’ancien président a âprement défendu son bilan puis critiqué l’inventaire ouvert dans son ancien parti et parié sur l’élimination naturelle d’Emmanuel Macron, son ancien conseiller qui avait eu l’outrecuidance de le défier.

Paralysé, le PS se meurt faute d’avoir réellement compris ce qui lui était arrivé et sur ses décombres émerge une force écologique qui, au nom de la clarification idéologique, refuse les rafistolages d’appareil et les alliances de circonstance. L’écologiste Yannick Jadot est pour le PS ce que Marine Le Pen est pour LR : une force d’attraction qui menace l’existence même des deux partis de gouvernement qui avaient bipolarisé le fonctionnement de la Ve République. A eux deux, LR et le PS ont totalisé dimanche le score ridicule de 14 %. La chute est beaucoup trop vertigineuse pour être uniquement imputable au supposé machiavélisme d’Emmanuel Macron. Le monde a changé et ils n’ont tout simplement pas voulu le voir.

Françoise Fressoz


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