Brésil : la banalisation de l’horreur

jeudi 22 août 2019.
 

L’article ci-dessous a été publié par le réseau social « Brasil de Fato » le 8 août 2019, et son lien est :

https://www.brasildefato.com.br/201... L’article a été traduit en français par le Réseau solidarité Brésil-Montréal – pueblo@sympatico.ca

En 1934, l’ambassadeur José Jobim (assassiné par la dictature à Rio de Janeiro en 1979) a écrit le livre « Hitler e os comediantes » (Hitler et les comédiens) publié par les éditions « Cruzeiro do Sul ». Il y décrivait la montée du chef nazi nouvellement élu et la réaction du peuple allemand face aux violations qu’il commettait. On ne pensait pas alors qu’il mettrait en place le régime de terreur que l’on a connu. On disait « Il n’aime pas les juifs », et l’on ajoutait : « mais cela ne devrait pas être une cause d’inquiétude. Les juifs sont puissants dans le monde de la finance, et Hitler n’est pas assez fou pour les attaquer. ». Aujourd’hui, nous savons tous ce que cela a donné.

Je suis convaincu que Bolsonaro sait ce qu’il veut et qu’il a un projet à long terme pour le Brésil. Il a adopté une stratégie bien conçue. Voici 10 des tactiques les plus évidentes qu’il utilise :

Dépolitiser le discours politique et l’imprégner de moralisme. Il ne se préoccupe jamais de la santé, du chômage ou des inégalités sociales. Son but n’est pas la vente en gros mais la vente au détail : souligner la video « golden shower » sur les pratiques d’ondinisme attribuées aux homosexuels, le film autobiographique “Bruna, surfistinha”, d’une jeune fille de famille aisée qui a pratiqué la prostitution pour son plaisir ; le « Kit Gay », nom donné par la droite à un manuel d’école contre la discrimination envers les homosexuels), la protection de la morale de la famille, etc. Ces questions préoccupent le grand public, qui est plus sensible à la morale qu’à la raison, aux coutumes qu’aux propositions politiques. Comme l’a dit un évangélique : « J’ai voté pour Bolsonaro parce que le Parti des Travailleurs rendrait nos enfants gais ».

S’approprier le christianisme et convaincre le public qu’il a été oint de Dieu pour réparer le Brésil. En effet son nom complet est Jair Messias Bolsonaro, messie voulant dire « oint » en hébreu. Et il se croit prédestiné. Aujourd’hui, un tiers des programmes de la télévision brésilienne sont dirigés par des églises évangéliques pentecôtistes ou néo-pentecôtistes. Ces émissions sont toutes pro-Bolsonaro. En contrepartie, il augmente leurs privilèges par des mesures telles que l’exonération fiscale et la multiplication des concessions de radio et de télévision.

Remplacer les données prouvées par les sciences par son discours dépourvu de base scientifique : en interdisant que le terme « genre » remplace le terme « sexe », en permettant au public d’écouter des personnes qui soutiennent que la terre est plate, entre autres changements.

Assouplir les lois, pour donner au citoyen moyen le sentiment qu’il est plus libre maintenant, en permettant d’obtenir son permis de conduire sans cours, en réduisant le nombre de radars, en rendant facultative l’utilisation des sièges de bébé dans les autos, etc.

Privatiser le système de sécurité publique. Réduire les coûts d’entretien des forces de police et l’augmentation du nombre de prisons en donnant à chaque « bon » citoyen le droit de porter des armes et de pouvoir tirer sur tout suspect. Lorsqu’on lui a demandé des commentaires sur le massacre de 57 prisonniers (sous la garde de l’État) dans la prison d’Altamira, il a répondu sans aucun scrupule : « Demandez cela aux victimes. »

Éliminer toute entrave à la hausse des profits des grands groupes économiques qui le soutiennent, telles que l’agroalimentaire : exonération fiscale ; énormes subventions, suspension des amendes, désactivation de l’IBAMA (Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables), distinction entre « travail semblable à de l’esclavage » et « travail esclave » et autorisation de la pratique de ce dernier, octroi du feu vert à la déforestation et à l’invasion des terres des nations autochtones. Les autochtones sont considérés comme des parias non productifs, qui occupent indument 13% du territoire national et empêchent l’exploitation des richesses qu’il contient, telles que l’eau, les minéraux précieux et les végétaux qui présentent de l’intérêt pour les industries pharmaceutiques et cosmétiques.

Accentuer la ligne de démarcation entre ceux qui le soutiennent et ceux qui le critiquent. Diaboliser la gauche et les environnementalistes, menacer par de nouveaux décrets et lois la liberté d’expression qui porte atteinte au gouvernement (The Intercept Brazil), inculquer la xénophobie dans le sentiment national.

Accroître l’alignement, la soumission sans critique et la vassalisation à la droite internationale, en particulier à Donald Trump, et modifier complètement les principes d’isonomie (égalité citoyenne ou politique), d’indépendance et de souveraineté, qui, depuis des décennies, régissent la diplomatie brésilienne.

Banaliser les effets catastrophiques de l’inégalité sociale et du déséquilibre environnemental de façon à éviter que l’on s’attaque aux causes.

Finalement, délégitimer tous les discours qui diffèrent des siens. Dans « L’ordre du discours » (2007), Michel Foucault, met en garde contre les systèmes d’exclusion du discours : la censure, la ségrégation de la folie et la recherche de vérité. Le discours du pouvoir se considère étant comme le maître de la vérité. Ce n’est pas un hasard si, au cours de la campagne électorale, Bolsonaro a adopté, comme aphorisme, le verset biblique suivant : « Connaissez la vérité, et celle-ci vous délivrera » (Jean 8:32). Selon lui, la vérité c’est lui et ses enfants. Son discours est toujours impératif, il est de ceux qui n’admettent pas la critique.

Lors de la campagne électorale, l’entreprise BS Studios, de Brasilia, a créé le jeu électronique « Bolsomito 2K18 ». Dans le jeu, le joueur, dans le rôle de Bolsonaro, accumulait des points à mesure qu’il assassinait des militants LGBT, féministes et du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre. Le jeu vidéo était décrit de la façon suivante : « Triomphez des maux du communisme dans ce jeu politiquement incorrect et devenez le héros qui débarrassera la nation de la misère. Préparez-vous à affronter les ennemis les plus divers, qui souhaitent instaurer une dictature idéologique criminelle au pays. Beaucoup de cassage de gueule et de bons éclats de rire. » Face aux réactions suscitées par ce jeu, la Justice a obligé l’entreprise à retirer ce jeu.

Mais le gouvernement est réel. Il répand l’horreur et voit en toute personne qui s’oppose à lui le spectre du communisme.

Frei Betto


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