A Hongkong, marée humaine contre vent et armée

mardi 27 août 2019.
 

Malgré une météo capricieuse, plus de 1,7 million de personnes, selon les organisateurs, ont manifesté des heures durant dimanche. Une armée de parapluies se voulant « pacifiste » et tenace face aux menaces d’intervention militaire de Pékin.

Le bruit des bottes résonne de l’autre côté de la frontière. Les Hongkongais restent, eux, droits dans les leurs. Malgré les bourrasques et la pluie torrentielles, plus de 1,7 million de personnes, selon les organisateurs, se sont rassemblées, en dépit des menaces d’intervention militaire de Pékin.

La mobilisation de ce week-end devait être cruciale pour le mouvement démocratique, discrédité par des actes violents de manifestants mardi 13 à l’aéroport.

Des milliers d’enseignants ont défilé samedi et, dimanche, c’est par centaines de milliers que les Hongkongais ont répondues à l’appel du Front civil des droits de l’homme, union d’organisations pro-démocratiques déjà à l’origine des rassemblements monstres du 9 et 16 juin qui avaient rassemblé respectivement un et deux millions de personnes.

Dimanche à nouveau, retraités, salariés, médecin ou étudiants, rassemblés en début d’après-midi au parc Victoria, scandaient à l’unisson : « Libérez Hongkong ! » ou « Carrie Lam, fais quelque chose ! » Ils ont ensuite marché, dans le calme, vers Central, le quartier des affaires.

Dans la soirée, des milliers d’irréductibles restaient mobilisés, agitant des lasers sur les façades du Parlement, avant probablement pour certains d’entre eux de n’utiliser ces faisceaux lumineux pour aveugler les forces de l’ordre, lors d’un énième face-à-face potentiellement à risque vu l’escalade récente des tensions et des méthodes de part et d’autre.

La police se tenait prête à utiliser pour la première fois des camions lanceurs d’eau colorée permettant une identification rapide et massive des manifestants. « Je suis un modéré, je n’approuve pas certaines actions des manifestants, mais il faut quand même continuer à manifester et à résister, le temps presse », témoignait dans l’après-midi et sous le couvert de l’anonymat un cadre travaillant dans la finance, trempé jusqu’aux os.

Armée de trolls

Et Pékin aussi presse le pas. Ces dernières années, sa main mise sur le petit territoire rendu par les Britanniques en 1997 s’est faite de plus en plus visible. Et, ces derniers jours, alors qu’il était resté discret depuis le début de la crise, le régime central vient de hausser le ton, assimilant les manifestants à des terroristes.

Pékin a dans le même temps lâché des légions de trolls sur les réseaux sociaux afin de discréditer les contestataires et de sommer les entreprises d’exprimer leur soutien à la mère patrie sous peine de boycott.

Samedi 17 à Hongkong, près de 476 000 personnes, selon la police, ont apporté leur soutien à la police locale, vilipendant les « manifestants violents » depuis les abords du siège du gouvernement et de celui de la garnison de l’Armée populaire de libération, stationnée à Hongkong.

Drapeaux hongkongais et t-shirts noirs contre drapeaux chinois et t-shirts blancs, brutalité policière contre violences des manifestants : jamais la société hongkongaise n’a été à ce point polarisée depuis le début de la crise déclenchée par le projet qui prévoyait d’autoriser Hongkong à permettre les extraditions vers la Chine. Le gouvernement local tente de son côté d’appliquer la tactique du « diviser pour mieux régner ».

Après des promesses sur le logement il y a quelques semaines, il vient d’annoncer vendredi des aides financières aux particuliers et aux petites et moyennes entreprises qui commencent selon lui à sentir les effets négatifs de la contestation actuelle, notamment dans les secteurs de la restauration et du tourisme. Même si la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis participe aussi largement à ce ralentissement économique.

Mais il faudra beaucoup plus pour racheter la confiance, si tant est que cela soit possible. « On avait encore un peu confiance dans notre chef de l’exécutif, jusqu’à Leung Chun-Ying [aux manettes lors du mouvement démocratique des Parapluies en 2014, ndlr], dit un manifestant sous le couvert de l’anonymat. Depuis lui, c’est terminé. Avec Carrie Lam [arrivée au pouvoir en 2017, ndlr], c’est encore pire, elle n’a aucune autonomie et attend juste les ordres de Pékin. »

Triades

Carrie Lam a perdu plus de crédit encore en laissant carte blanche à la police, avec l’aval de Pékin, pour réprimer la contestation actuelle. L’implication de membres présumés des triades le 21 juillet, et la non- intervention de la police, a jeté de l’huile sur le feu et accentué encore plus la colère d’une partie des 7,5 millions d’habitants. L’aveu, cette semaine, par la police que certains de ses agents avaient infiltré les rangs des manifestants est venu accréditer aux yeux de nombreux manifestants les thèses selon lesquelles les violences contre le Parlement et la profanation de symboles de la république de Chine étaient le fait de la police, et non de vrais manifestants.

« C’est comme une trahison. On a grandi en apprenant que la police nous défendait. Et on voit aujourd’hui la main de Pékin dans la manière même dont la police de Hongkong fait usage de la force et devient de plus en plus brutale », expliquait dimanche un ingénieur, trentenaire. Selon lui, la situation va évoluer vers un Etat policier dont on sent déjà les prémices. « L’armée n’interviendra pas à Hongkong, prédit-il. La Chine aurait trop à perdre au niveau économique, mais de plus en plus de policiers chinois seront déployés ici, secrètement. »

Rosa Brostra, correspondante à Hongkong


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message