Mohammed VI (roi du Maroc), le goût du luxe sans modération

vendredi 27 septembre 2019.
 

En juillet, des dizaines d’invités ont visité un nouveau bateau appartenant au roi Mohammed VI – le Badis 1, au mouillage près de la résidence royale de M’diq [située dans le nord du pays, dans la région de Tanger]. Le roi avait invité les élites de Casablanca et de Rabat à monter à bord, pieds nus, afin que leurs semelles ne salissent pas le pont, pour l’inauguration de son yacht de 70 mètres de long, l’un des plus grands du monde. Ces invités distingués s’étaient déjà rendus à M’diq la veille. Quand ils s’étaient présentés, on leur avait dit que l’invitation était reportée de vingt-quatre heures. Sans leur fournir d’explication. Ils sont revenus le lendemain, sur leur trente et un. Cette fois, le roi était là pour les accueillir, accompagné de trois amis proches, les frères Azaitar, des boxeurs allemands d’origine marocaine.

Mohammed VI possédait déjà El Boughaz, une goélette rénovée de 62 mètres, mais pour fêter les 20 ans de son couronnement, il s’est offert un bateau plus grand et plus moderne. Le journal casablancais Tel Quel rapporte que l’ancien propriétaire du bateau, le milliardaire Bill Duker, l’a mis en vente pour 88 millions d’euros. Le prix de vente reste cependant un mystère, car le palais royal refuse de divulguer l’information. Tandis que Mohammed VI accueillait ses invités, son ex-femme, Lalla Salma, et leurs deux enfants, le prince héritier Moulay Hassan et Lalla Khadija, étaient en vacances sur un yacht luxueux à l’autre bout de la Méditerranée, sur la mer Égée, d’après des informations des médias grecs.

Ces fastes maritimes coïncident avec la diffusion de chiffres, généralement tenus secrets, concernant l’augmentation de l’émigration clandestine depuis le Maroc vers l’Espagne par voie de mer.

Phénomène migratoire marocain

En 2018, les Marocains représentaient un peu moins de 22 % des 57 000 migrants sans papiers ayant débarqué sur les côtes espagnoles. Au premier semestre de 2019, tandis que le nombre total de migrants sans papiers a diminué, la proportion de Marocains est passée à près de 30 %. En mai, ils ont atteint un taux record de 48 %. De telles statistiques n’apparaissent pas sur le site Internet du ministère de l’Intérieur espagnol, qui a pour politique de ne pas révéler le nombre d’arrivées par nationalité. Car mettre l’accent sur l’épidémie migratoire pourrait mécontenter les autorités de Rabat. En revanche, Madrid communique ces chiffres aux agences européennes.

Ces données ne reflètent qu’une partie du phénomène migratoire marocain. Lorsque des migrants subsahariens mettent le pied sur les plages andalouses, ils cherchent à se faire arrêter par les autorités, car ils savent qu’ils seront hébergés et nourris pendant environ deux mois et qu’ils ne risquent guère d’être renvoyés. La situation est différente pour ce qui est du Maroc et de l’Algérie : en 2018, 36 % et 32 % des migrants algériens et marocains ayant été interceptés par les autorités ont été rapatriés. Résultat, à leur arrivée, ils essaient à tout prix de ne pas se faire arrêter par les forces de sécurité espagnoles.

De plus, un certain nombre d’entre eux entrent en Espagne légalement, mais décident de rester après l’expiration de leur permis de séjour ou une fois qu’ils ont dépensé toutes leurs économies. Selon un communiqué de l’agence de presse espagnole EFE, environ 17 % des travailleuses saisonnières employées à la cueillette des fraises dans la région de Huelva ne sont pas rentrées dans leur pays – alors même qu’une partie de leur salaire est retenue jusqu’à leur départ.

L’Espagne est le principal point d’entrée des Marocains en Europe, mais il est n’est pas le seul. Et il n’est guère étonnant que les Marocains quittent le royaume en si grand nombre : une récente enquête publiée [en juin 2019] par BBC Arabic montre que 44 % des Marocains souhaitent émigrer, soit 17 % de plus qu’il y a trois ans, et ce nombre atteint 70 % parmi les moins de 30 ans. Environ la moitié des Marocains aspirent à un changement politique rapide dans leur pays.

Les jeunes rebelles du Rif

Si les autorités marocaines tentent de contenir les migrations subsahariennes vers l’Europe, elles ne mettent pas autant de zèle quand il s’agit de leurs propres ressortissants. C’est ce qui ressort de certains chiffres espagnols ainsi que des témoignages d’habitants de la région du Rif, qui disent souvent à la police à quel point il est facile pour eux de partir par la mer. Il est probable que pour le ministère de l’Intérieur de Rabat, la logique soit la suivante : moins les jeunes rebelles resteront dans le Rif, plus cette région instable restera calme.

“Le Maroc pourrait-il connaître les prochains soulèvements, après le Soudan et l’Algérie ?” s’interrogeait la BBC au vu des résultats de sa récente enquête. Cette question est plus que jamais d’actualité quand on voit cet étalage de richesse maritime à M’diq et en mer Égée, tandis que les autres Marocains traversent la mer sur des embarcations de fortune. Des centaines de migrants, principalement subsahariens, mais aussi marocains, se sont déjà noyés pendant la traversée vers l’Espagne, selon des sources de Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes.

Certes, la presse marocaine ne passe pas sous silence le style de vie opulent de la famille royale, mais elle l’évoque avec prudence. Elle évite également d’aborder la question des migrations. Les réseaux sociaux, en revanche, regorgent de critiques de ces excès royaux : on y trouve notamment des comparaisons entre le prix du Badis 1 et le budget de l’État pour l’éducation ou la santé. Ainsi, une fois de plus, l’image de la famille royale est écornée, comme ç’a été le cas lors des longs séjours du roi à l’étranger, ou quand il s’est offert une montre à 1 million de dollars. De tels griefs suffiront-ils à entraîner le Maroc sur la même pente que le Soudan et l’Algérie ? L’avenir le dira. Mais une chose est sûre : de nombreux Marocains suivent de très près les événements à l’est.

Ignacio Cembrero

Courrier International


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