Derrière l’autonomie des universités, c’est bien le désengagement de l’Etat qui est organisé

mercredi 11 juillet 2007.
 

Il n’aura fallu que quelques semaines au nouveau gouvernement pour présenter sa réforme des universités. Annoncée comme la réforme la plus importante de la mandature par le premier ministre Fillion, la loi qui sera soumise au vote de l’Assemblée Nationale dans les semaines à venir, exauce les vœux d’une clientèle, plus qu’elle ne répond aux enjeux fondamentaux d’enseignement et de recherche de la nation. Pourtant, Sarkozy s’était engagé, au cours de la campagne, pour faire de l’université une nouvelle priorité nationale, proposant même d’augmenter de moitié le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche, soit 10 milliards d’euros supplémentaires. Loin des ambitions claironnées, dont il faut bien dire qu’elles sont peu compatibles avec les batteries de cadeaux fiscaux annoncés simultanément, le projet de loi sur « la gouvernance et l’autonomie des universités » s’attèle principalement à satisfaire les desiratae des présidents d’universités, sur fond d’application méthodique de la sacro sainte loi de la concurrence et de la responsabilité des acteurs.

Un transfert de responsabilité qui met en danger le service public

Le renforcement de l’autonomie des universités est un thème récurrent de la droite. Déjà en 1986 ou plus récemment, en 2003, les gouvernements de droite s’étaient engagés sur ce terrain. Par deux fois, ils avaient reculé, acculé à une protestation trop forte. Cette obsession s’explique aisément : la droite a toujours développé une conception élitiste de l’éducation et conteste les missions de service public d’élévation du niveau de qualification, de savoir, et de diffusion culturelle, par essence instruments de progrès social et d’émancipation. L’autonomie des universités doit, de ce point de vue, permettre un transfert de responsabilité de l’Etat vers les établissements eux-mêmes. Cette passe d’armes justifie le désengagement financier de l’Etat. Elle rend, par la même, inopérant tout objectif national d’élévation du niveau de formation des jeunes puisque ce sont les établissements qui sont investis de cette responsabilité. Enfin, les nouvelles niches de financement sont à chercher dans le secteur privé, et ces dernières pèsent inéluctablement sur le contenu des formations dispensées. Originellement autonomes pour justifier une distance à l’égard de l’obscurantisme d’Etat, cette transgression met les universités, le savoir et la recherche, sous tutelle des vents dominants et, plus précisément, sous la coupe des bassins locaux d’emplois et d’investissements.

Le projet de loi présenté est largement inspiré de cette doctrine. Sans revenir brutalement sur l’ensemble des missions et outils du service public, il ouvre la voie à une remise en cause de celui-ci. Au-delà du présent gouvernement, il fait l’objet d’un consensus large fondé sur la faiblesse de l’investissement national pour l’enseignement supérieur et la recherche ces dernières années. Asphyxiées financièrement, les universités n’ont d’autre choix que de proposer une diversification de leurs outils de financement. Le discours libéral dominant, largement sous l’influence du MEDEF, se charge de promouvoir les vertus de la concurrence, encourage les initiatives qui diminuent l’importance de l’Etat, et ringardise les revendications syndicales qui réclament des « moyens à la hauteur des besoins ». Aussi, après un matraquage militant et médiatique indécent, c’est aujourd’hui la plupart des Français qui estime nécessaire une réforme d’autonomie des universités. Les présidents d’universités soutiennent largement ces orientations parce qu’elles leurs donnent l’illusion de pouvoir mieux gérer, « mieux gouverner », et parce qu’elles renforcent leurs pouvoirs personnels. Les acteur sont responsabilisés et bénéficient donc d’une plus grande reconnaissance. Alors que ce mouvement justifie un peu plus le désengagement de l’Etat, les principaux responsables de l’enseignement supérieur et de la recherche se frottent les mains : un comble !

Concrètement, le texte présenté propose d’accroitre substantiellement les libertés des universités. Pourtant, de nombreux rapports, et en particulier celui de la MEC (Mission d’Evaluation et de Contrôle) remis à la commission des finances de l’Assemblée Nationale en juin 2006, soulignent les difficultés des universités à assumer la part d’autonomie accordée depuis la Loi Savary (1984). Curieuse logique qui veut, par conséquent, étendre le champ de l’autonomie alors même que les structures concernées peinent à satisfaire des ambitions moins importantes.

Au premier rang des « libertés nouvelles » accordées figure la mise en œuvre du « budget global » dans les établissements. Auparavant répartit selon trois types de dépenses (personnel, investissement, fonctionnement), le budget sera distribué globalement aux établissements. Chaque université sera ainsi libre de répartir comme elle le souhaite ses crédits. Ces nouvelles compétences risquent de porter atteinte au maintien de l’encadrement administratif, technique et enseignant dans les universités. La dotation d’un budget global renforcera, en effet, les handicaps des établissements sous dotés en personnel. Chaque année, le ministère attribue, jusqu’à présent, des crédits souvent inférieurs à ses propres évaluations des besoins des universités en matière de personnel. Il s’agit de la dotation globale horaire et, cette dernière, est donc inférieure à la dotation théorique calculée par les pouvoirs publics. Aussi, la logique voudrait que l’on embauche à hauteur des emplois non crées ces dernières années et des emplois nécessaires pour les années à venir. Le budget global met les compteurs à zéro. La somme est attribuée globalement et les universités peuvent répartir comme elles l’entendent l’aumône de l’Etat. Elles sont directement gestionnaires de la pénurie budgétaire. Elles ont tout le loisir de diminuer des frais de fonctionnement au bénéfice des frais d’investissement. Elles peuvent choisir d’augmenter l’investissement au détriment des personnels. Par contre, elles ne peuvent augmenter les trois secteurs de dépenses simultanément...

On l’aura compris, l’idée d’un budget « globalisé » permet à l’Etat de se désengager tranquillement puisque ce sont les universités qui sont directement responsables de l’encadrement des étudiants. Sous dotées elles devront faire de délicats arbitrages entre des dépenses toutes relatives aux missions de service public. C’est donc bien ce dernier qui risque de pâtir de ce transfert de responsabilité. D’autant qu’il y a fort à parier que les établissements cherchent des nouvelles ressources dont l’origine peu également affaiblir le service public. Ce peut être le cas des financements privés qui exigeront un « retour sur investissement ». Mais c’est également la question des « ressources propres » des universités, autrement dit les frais d’inscription, dont l’augmentation en dehors de tout cadre définit par la loi se généralise depuis quelques années. L’extension de l’autonomie budgétaire, dans un contexte de désengagement financier de l’Etat, peut donc signifier une plus forte sélection par l’argent à l’université.

Corolaire d’une autonomie budgétaire qui autorise l’Etat à se désengager, les nouvelles dispositions envisagées sur la gestion des ressources humaines sont des plus inquiétantes. Le texte autorise ainsi les universités à engager des personnels sous contrat de droit privé pour occuper des postes administratifs, techniques et enseignants. Alors que ces dispositions doivent être théoriquement transitoires, le gouvernement entend de la sorte laisser les établissements compenser aux mêmes leurs déficits d’encadrement. Cette disposition présage de la diminution des fonctionnaires titulaires dans les universités et l’embauche en CDI menace la qualité et la pérénité du service public.

Le ministère souhaite confier aux établissements la répartition des obligations de services entre enseignement et recherche des personnels. Vu le déficit criant de moyens de recherche publique, il y a fort à parier que les universités concentreront leurs efforts sur cette dernière, de nature plus « attractive » que l’enseignement en licence. Les impératifs du grand « marché » de l’intelligence seraient ainsi plus importants que les objectifs de formation du plus grand nombre. Concrètement, il est à craindre que l’enseignement au niveau licence ne soit plus assuré que par des vacataires, tout du moins par des enseignants à l’activité de recherche limitée. Les efforts réalisés ces dernières décennies pour assurer un enseignement de qualité à tous (adosser à la recherche), autrement appelés « massification/démocratisation », seraient, de ce point de vue, affaiblis.

Enfin, les dispositions envisagées prévoient le transfert de propriété des bâtiments des universités. Il s’agit là d’une proposition profondément inégalitaire : la qualité des infrastructures est, en effet, très différente selon les établissements. L’Etat s’engage seulement, au préalable, à garantir la mise en sécurité des bâtiments. Alors qu’un tiers du patrimoine universitaire est fortement dégradé, ce transfert accroitra les difficultés des universités et laisser présager d’une forte détérioration des conditions d’études et de recherche des étudiants et personnels.

Derrière l’autonomie des universités, c’est bien le désengagement de l’Etat qui est organisé. En modifiant la nature des outils du service public, le gouvernement entend remettre en cause les missions de ce dernier. C’est bien la qualité de l’enseignement et l’accès à celui-ci qui peuvent être menacés. C’est en fait le grand dessein de la démocratisation des études supérieures qui est attaqué.

Le rapport de force issu de la mobilisation contre le CPE freine les ambitions du gouvernement Toutefois, la loi présentée par le gouvernement n’est pas le « grand saut libéral » de l’enseignement supérieur. Les principales fondations du service public ne sont pas attaquées. Les frais d’inscription resteront, théoriquement, définis par l’Etat et le texte, en l’état, n’autorise pas les universités à sélectionner les étudiants. Ces absences ne manquent pas de provoquer des remous dans le camp libéral, comme en témoigne les protestations du député UMP Pierre Lellouche. En réalité, les reculades du gouvernement sont directement liées à la crainte d’une mobilisation sociale à la rentrée.

Il n’aura donc pas fallu beaucoup de temps pour que Nicolas Sarkozy ordonne la disparition du texte de loi des mentions faites de la sélection entre les cycles. La loi ne touchera pas non plus aux frais d’inscriptions. Il s’agit pourtant des principales revendications du camp libéral qui entend réserver les études supérieures à une minorité aisée ainsi qu’aux meilleurs éléments du secondaire, comme c’est le cas dans les pays à tradition anglo-saxonne. C’était l’objet, par exemple, de la réforme Devaquet en 1986, empêchée par une mobilisation sociale d’ampleur. Ce résultat est directement à mettre au crédit de la victoire contre le CPE. On peut considérer qu’il s’agit là d’effets différés de ce mouvement social.

Le rapport de force issu de la mobilisation contre le CPE est toujours puissant. Certes, l’élection à 53% de Nicolas Sarkozy lui confère une légitimité importante et des marges d’action non négligeables. Cependant, les mobilisations sociales de ces dernières années n’ont pas été effacées par l’élection présidentielle. Le sursaut de la gauche, au second tour des élections législatives, en est la première manifestation. L’augmentation de 5 points de la TVA envisagée par le gouvernement n’a pas été bien reçue par les salariés. Les Français n’attendent pas du gouvernement qu’il aggrave les inégalités. Aussi, la capacité de résistance des jeunes, qui se sont prononcés majoritairement pour Ségolène Royal, incite le gouvernement à la modération. D’autant que les mobilisations des jeunes sont susceptibles d’entrainer avec elles une part conséquente de la population, comme ce fut le cas avec le CPE. Ce rapport de force est, aujourd’hui, le joyau de la gauche. Il doit permettre de protéger le service public d’une politique thatchérienne et, le moment venu, de mettre en difficulté le gouvernement.

La gauche devra donc s’opposer à cette loi. Elle peut le faire tant les attentes sont fortes en matière d’amélioration des conditions de vie et d’études des étudiants. Elle devra rappeler qu’une réforme de l’université est nécessaire pour lutter contre l’échec massif en premier cycle. Que cette dernière doit s’accompagner d’une profonde remise à plat d’un système d’aide sociale à bout de souffle, comme l’atteste la part toujours grandissante des étudiants salariés. Enfin, elle devra rappeler que les objectifs de formation et de recherche sont décisifs et qu’ils doivent demeurer dans le périmètre du service public. Tristan Lahais

dimanche 8 juillet 2007 par Tristan Lahais


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