Non, le système de retraite suédois n’est pas un modèle

vendredi 24 janvier 2020.
 

Le système de retraite suédois actuel résulte d’une réforme votée par les députés à la fin des années 1990, qui a remplacé le système ATP (« retraite complémentaire publique ») créé dans les années 1960. Ce dernier garantissait, à partir de trente années de travail, une retraite valant 65 % du salaire moyen sur les quinze meilleures années. La pension était donc fixe.

Dans le nouveau système, la retraite de chaque travailleur.se dépend de trois composantes : un compte « notionnel », une retraite par capitalisation obligatoire et, pour celles et ceux qui en ont, une pension professionnelle définie par un accord de branche ou d’entreprise. Les chômeurs, les étudiants, les travailleurs indépendants n’y ont pas accès. Les contrats courts cotisent, mais dans le cadre d’accords d’entreprise : la multiplication des contrats de retraite accroît alors les frais de gestion et les cotisations ne servent qu’à payer ceux-ci !

La majorité de la pension totale (environ 65%) dépend du compte « notionnel ». Celui-ci ressemble à un compte épargne alimenté par des cotisations (salariales et patronales correspondant à 16 % du salaire) tout au long de la carrière. Au moment de prendre sa retraite, la pension dépend du total de ces contributions, de l’espérance de vie moyenne, de la conjoncture économique et des rendements des investissements financiers réalisés avec le fonds de retraite public.

Ce système est différent du projet du gouvernement actuel dans la mesure où il n’est pas du tout universel : environ 25-35 % des pensions, en moyenne, dépendent d’accords de branche négociés par les syndicats et les entreprises, qui s’ajoutent au système général. Les retraites varient donc beaucoup selon les métiers et les entreprises et tout le monde ne reçoit pas sa retraite selon les mêmes règles. Cela dit, depuis trois semaines, le gouvernement a déjà créé des exceptions à son système pour les policières.ers, les sénateurs.trices et les danseuses.eurs de l’Opéra de Paris. Cela ne serait en fait déjà plus universel ! D’autres différences existent, comme la capitalisation obligatoire, des taux de cotisation différents, etc.

Mais le système suédois a aussi des points communs avec ce que tente d’imposer le gouvernement, en particulier le compte « notionnel » qui ressemble beaucoup aux points du rapport Delevoye. Les mêmes causes menant aux mêmes effets, on peut regarder ce qu’a provoqué la réforme en Suède pour mieux comprendre ce que le projet en France a de néfaste.

Comme le veut l’exécutif français, les retraités suédois doivent partir plus tard qu’auparavant, vu que l’âge légal et l’âge de départ à taux plein (« âge-pivot ») a été reculé : il est aujourd’hui de 67 ans et continue d’augmenter chaque année, avec l’espérance de vie moyenne de toute la population. Ce recul de l’âge de départ à taux plein renforce les inégalités de classe et de genre : celles et ceux dont les travaux sont les plus pénibles et qui ne peuvent pas travailler plus longtemps souffrent plus que les autres du recul de l’âge-pivot, car ils.elles perdent plus qu’avant lorsqu’ils.elles partent au même âge. La plupart des salarié.e.s de l’industrie prennent ainsi leur retraite avant 65 ans à cause de problèmes de santé, et les femmes travaillant dans le secteur de la santé et des services à la personne partent encore plus tôt. Ainsi, en Suède, les femmes ont en moyenne 600 euros de pension de moins que les hommes.

Dans le système par point, les pensions sont la variable d’ajustement. Ainsi, si l’espérance de vie moyenne augmente plus vite que prévu, si la conjoncture économique se dégrade et que les recettes diminuent, ou si les investissements financiers rapportent moins, les pensions diminuent. Les retraités ont déjà vu leur pension diminuer trois fois, en 2010, 2011 et 2014, en application des règles de pilotage automatique prévues par la réforme. Tandis que les futur.e.s retraité.e.s auront des pensions moins importantes par rapport à leur salaire à cause de la fixation des taux de cotisation, à 16 % pour le système à comptes notionnels et 2,5 % pour le complément par capitalisation. Ce sous-financement entraîne mécaniquement la baisse du taux de remplacement, passé de 65 % avant la réforme à 45-50 % aujourd’hui. La réforme en France prévoit exactement la même chose : si le taux de cotisation est fixé à 13,8 % du PIB, les pensions baisseront de la même manière.

Enfin, le calcul de la pension sur les revenus de toute la carrière pénalise les plus précaires, la majorité des femmes, celles et ceux qui ont passé du temps au chômage, entre autres, reçoivent moins que ce qu’ils recevaient dans l’ancien système car des « mauvaises années » qui étaient effacées comptent désormais autant que les autres. Ce serait la même chose en France.

Si ce qui existe en Suède et le système que le gouvernement défend ont des différences, tout comme en auraient leurs effets, on peut regarder ce que l’introduction des comptes « notionnels » a provoqué dans la mesure où cela est très proche du système par points. Et l’on voit sans surprise qu’il renforce les inégalités sociales, en particulier de classes et de genre, vu qu’il reproduit toutes les injustices subies au cours de la carrière. Ainsi, celles et ceux qui souffrent le plus pendant leur vie continuent d’être pénalisé.e.s dans leur retraite, et le contraire pour celles et ceux qui ont les meilleures conditions de vie. De plus, les pensions diminuent en fonction des baisses de recettes du système, et font ainsi fait baisser le taux de remplacement.


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