Etats-Unis : Face au coronavirus, la FED déclenche son arme monétaire

vendredi 13 mars 2020.
 

Par surprise, la Réserve fédérale américaine a décidé de baisser ses taux directeurs, une première depuis 2008. Cette décision est censée aider l’économie face aux risques provoqués par l’épidémie de coronavirus. Elle relève surtout de la gesticulation.

Le président de la FED se savait attendu par le monde financier. Il ne l’a pas déçu. À l’issue d’une réunion d’urgence, la première depuis la crise de 2008, la Réserve fédérale américaine a annoncé mardi 3 mars la baisse de ses taux directeurs en vue de soutenir l’économie du pays face aux menaces du coronavirus. L’institution monétaire a décidé d’abaisser de 0,5 % les taux pour les ramener entre 1 % et 1,25 %.

« Mes collègues et moi avons décidé de cette action afin d’aider l’économie américaine à rester solide alors qu’elle est confrontée à de nouveaux risques économiques. La dissémination du coronavirus dans le monde a apporté de nouveaux défis et de nouveaux risques », a expliqué Jerome Powell, le président de la FED, pour justifier cette décision d’urgence. Avant d’ajouter que celle-ci est prête « à utiliser tous les outils à sa disposition et prendre toutes les mesures nécessaires pour soutenir l’économie ».

Avant l’ouverture des marchés américains, mardi matin, les ministres des finances et les banquiers centraux du G7 avaient publié un communiqué commun pour réaffirmer « leur engagement à recourir à tous les dispositifs appropriés pour accompagner une croissance forte et soutenable et préserver l’économie des risques de ralentissement ».

Cette déclaration solennelle fait suite aux avertissements lancés par le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ces derniers jours. Les deux organisations ont révisé à la baisse leurs prévisions de croissance pour 2020.

Toutes les deux soulignent les risques et l’incertitude que pose le coronavirus, qui sévit désormais à des degrés divers sur tous les continents, à l’ensemble de l’économie mondiale.

Depuis que la Chine a mis une partie de ses territoires en quarantaine, les signes de rupture et de désorganisation s’accumulent. Les marchés pétroliers et gaziers sont en très forte baisse, comme les marchés de matières premières, en raison de la paralysie de l’activité en Chine, devenue le premier importateur mondial dans tous ces secteurs.

Tout ce qui touche aux échanges – transport aérien, transport maritime, tourisme – ne cesse de ralentir au fur et à mesure que l’épidémie s’étend. La tétanie gagne aussi les secteurs, les consommateurs se réfugiant dans les achats utiles, de première nécessité – alimentation et pharmacie.

Face à cette crise à la fois de l’offre et de la demande, toute la machine économique mondiale se grippe. Les risques de ralentissement, voire de récession, se précisent partout, et notamment dans la zone euro.

Mais au-delà des menaces pesant sur l’économie réelle, c’est la panique qui gagne les marchés financiers qui semble effrayer le plus les banques centrales. La semaine dernière fut une des plus éprouvantes depuis longtemps. Les indices boursiers mondiaux ont perdu plus de 10 % en sept jours, soit la plus forte chute depuis la crise de 2008. Quelque 9 000 milliards de dollars sont partis en fumée pendant cette déroute boursière.

Dès le milieu de la semaine, Donald Trump, qui a fait du Dow Jones – l’indice de la bourse de New York – l’indice de satisfaction de sa présidence, exhortait le président de la FED à baisser ses taux. Un grand nombre d’investisseurs l’avaient devancé, demandant à cor et à cri un engagement coordonné des banquiers centraux pour venir au secours du système mondial.

Wall Street a applaudi en apprenant l’intervention de la banque centrale américaine avant de retomber dans le rouge. À la mi-séance, le Dow Jones avait rechuté, perdant à nouveau 1,86 %. Le geste de la FED a été jugé inquiétant pour l’avenir pour certains, insuffisant pour d’autres. La pression désormais est sur la Banque centrale européenne (BCE). Alors que la Banque de Chine et la Banque du Japon ont annoncé des mesures de soutien, que la Réserve fédérale a maintenant réduit ses taux, l’institution européenne s’est pour l’instant contentée de discours très prudents, Christine Lagarde annonçant seulement que la BCE « surveillait étroitement la situation ».

De l’avis de nombreux analystes, la zone euro est pourtant une des plus vulnérables face au coronavirus. L’Italie, durement touchée, ne devrait pas échapper à la récession. L’Allemagne, affectée à la fois par la crise existentielle de son secteur automobile et la chute de ses exportations en Chine en 2019, voit ses perspectives de rebond fondre comme neige au soleil. Selon les analystes de la Commerzbank, la BCE ne pourra pas différer longtemps de prendre des mesures d’intervention.

Avec des taux négatifs et une politique de rachats de titres obligataires de 20 milliards d‘euros par mois, relancée depuis novembre, les marges de manœuvre de la BCE semblent cependant plus qu’étroites, voire inexistantes. Mais pour les adeptes de la politique monétaire non conventionnelle, ce n’est qu’accessoire.

Selon eux, il importe que les banques centrales, qui sont devenues les acteurs majeurs du système mondial depuis 2008, envoient au plus vite des signaux de politique concertée afin de donner confiance à tous.

Les banquiers centraux ont l’air décidés à se plier une nouvelle fois aux injonctions du monde financier. Mais leur geste ne répond pas à quelques questions dérangeantes : en quoi des outils de politique monétaire peuvent-ils apporter quelque remède à une épidémie qui provoque une crise désorganisant toute l’économie réelle ? Et à utilisant à mauvais escient l’arme monétaire que restera-t-il aux banques centrales au cas où les tensions économiques se transforment en crise financière ?

Sans aucun doute, les responsables des banques centrales ont dû avoir ces mêmes interrogations. Mais la panique boursière de la semaine dernière semble avoir balayé toutes les préventions. L’important est de faire semblant de tenir son rôle. L’important est de gesticuler.

Les articles de Martine Orange sur Mediapart : https://www.mediapart.fr/biographie...


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