Nucléaire : Sombre 50 ans pour le Traité de Non-Prolifération

jeudi 19 mars 2020.
 

Le 5 mars 1970 entrait en vigueur le Traité de non-prolifération (TNP) des armes nucléaires. Pierre angulaire de la sécurité collective en matière de nucléaire militaire, le TNP repose sur l’interdiction du développement de l’arme nucléaire par tout pays n’en disposant pas avant le 1er janvier 1967. Il distingue ainsi les EDAN (États -officiellement- dotés de l’arme nucléaire) pouvant détenir légalement l’arme nucléaire et les ENDAN (États non dotés de l’arme nucléaire). Les premiers incluent les États-Unis, l’URSS/Russie, le Royaume Uni, la France et la Chine. Parmi les quatre pays non signataire du TNP (Israël, l’Inde, le Pakistan et le Soudan du Sud) ou s’en étant retiré (la Corée du Nord en 2004) figurent les quatre puissances nucléaires officieuses.

À ce principe central s’ajoutent deux « compensations ». D’une part le TNP prévoie des négociations en vue de parvenir à un arrêt de la course aux armements nucléaires, et à terme à un désarmement général sous contrôle international. D’autre part il doit favoriser la coopération pour l’accès à l’énergie nucléaire à usage civil pour tout pays demandeur.

Le TNP a été complété par des engagements ad hoc, par exemple celui des EDAN à ne pas attaquer avec leurs armes atomiques des pays signataires qui n’en seraient pas dotés. Ces compromis ont permis au traité, initialement signé pour 25 ans, d’être adopté définitivement en 1995 à l’unanimité des États signataires, à la condition exigée par les voisins d’Israël que des efforts de désarmement soient conduits avec ce dernier. Le TNP fait depuis l’objet de conférences d’examen quinquennales réunissant ses signataires pour examiner son respect, sous la garantie de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Un Traité indispensable, mais moribond

À plusieurs semaines de la prochaine conférence d’examen qui s’ouvrira à New York fin avril, le risque est réel de voir le TNP réduit à une coquille vide, cinq ans après une conférence 2015 qui n’avait elle-même pas abouti à un consensus sur un document final. Les frustrations régulièrement exprimées visent en premier lieu l’absence d’initiative des EDAN en faveur du désarmement. Après une période encourageante dans la continuité des traités bilatéraux de désarmement signés entre les USA et l’URSS durant la Guerre froide, ils ont relancé la modernisation de leurs arsenaux, inscrivant donc la détention d’armes nucléaires dans le long terme.

Une fois de plus, les plus mauvais coups viennent des États-Unis, engagés dans une relance de l’escalade nucléaire. Alors que l’évaluation du dispositif nucléaire (Nuclear Posture Review, NPR) de 2010 prévoyait de réduire l’importance de l’arsenal nucléaire, celle publiée en février 2018 prend le chemin inverse, en excluant tout objectif de désarmement et en suggérant plus de « flexibilité » et de « diversité » des systèmes d’armement nucléaires, via notamment la relance d’armements nucléaires « tactiques » (d’où la sortie en 2019 du Traité sur les forces nucléaires de portée intermédiaire signé en 1987 avec l’URSS). Au prétexte fallacieux que la Chine et la Russie feraient de même, Trump a validé toutes ces options, au risque de provoquer en retour des pratiques similaires des deux ennemis désignés. Les États-Unis ont par ailleurs saboté l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien, signé en 2015, qui permettait de contrôler le programme nucléaire iranien. Humilié et menacé, l’Iran, qui selon l’AIEA respectait l’accord, s’est dit en réaction prêt à se retirer du TNP et à relancer le programme nucléaire militaire hérité de la période du Shah.

La France n’est guère plus exemplaire, qui depuis 2010 a mis en service une nouvelle génération de missiles et prévu dans la dernière Loi de programmation militaire 37 milliards de dollars sur dix ans pour la modernisation d’un arsenal nucléaire pourtant tout à fait apte à assurer la dissuasion nucléaire en parallèle d’un éventuel processus de désarmement multilatéral. Pire, la récente suggestion d’Emmanuel Macron d’élargir la dissuasion nucléaire française à l’Europe, outre qu’elle est inacceptable sauf à admettre que la France puisse mécaniquement être impliquée dans tout conflit qui surviendrait sur le continent, revient en contradiction avec le TNP à inviter des pays européens à entrer dans une politique de dissuasion nucléaire.

Renforcer le TNP

Cette situation n’est pas acceptable alors que près de 14 000 armes nucléaires existent toujours, dont 2 000 en état d’alerte opérationnelle. Comme le rappelait le Secrétaire Général de l’ONU Antonio Guterres le 26 septembre dernier (journée Internationale pour l’élimination totale des armes nucléaires, instaurée par l’ONU), le risque est réel « que le monde entier se trouve à nouveau pris en otage, sous la menace de l’annihilation nucléaire ». Face à cette situation, et devant la mauvaise volonté des EDAN, 122 pays ont adopté à l’ONU le 7 juillet 2017 un Traité d’Interdiction des Armes nucléaires (TIAN), qui avec 81 signatures et 35 ratifications sur les 50 nécessaires entrera en vigueur à court terme. Vu par ses promoteurs comme un moyen de faire pression sur les puissances nucléaires pour remettre le désarmement au cœur de l’agenda, le TIAN vient renforcer le TNP.

À l’instar des autres puissances nucléaires, la France a jusqu’à présent nié toute légitimité au TIAN. Il s’agit d’une faute morale, car comment prétendre défendre la non-prolifération et le désarmement multilatéral quand on se met ainsi au ban du droit international ? Doublée d’une erreur tactique car le TIAN n’implique pas de désarmement unilatéral immédiat, mais insiste en revanche sur la nécessité absolue de relancer le désarmement multilatéral, conformément aux compromis historique sans lequel le TNP n’aurait jamais vu le jour. Une puissance nucléaire réellement soucieuse de contribuer à la relance du désarmement multilatéral pourrait donc parfaitement montrer la voie, en demandant par exemple le statut de membre observateur du TIAN pour coopérer avec les 122 signataires.

La France doit jouer un rôle central à l’ONU pour porter l’idéal d’un monde aux antipodes du darwinisme géopolitique. Ce déni du TIAN risque au contraire de l’isoler sur un sujet majeur dans une arène onusienne décisive pour sa sécurité. C’est dans cet esprit que, comme elle l’a rappelé le 12 février à l’issue d’une rencontre avec l’Initiative Contre l’Armement Nucléaire (ICAN), prix Nobel de la Paix 2017, la France insoumise, forte de son engagement pour la défens

Gérard Le Gall


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