« Un sport parfaitement propre ? un idéal inatteignable »

lundi 20 août 2007.
 

Dopage . Éradiquer le dopage ? Illusoire, répond l’éthicien Alexandre Mauron, qui prône une politique de réduction des risques comme l’a fait la Suisse à l’égard des drogues illicites. Professeur de bioéthi-que à la faculté de médecine de l’université de Genève, Alexandre Mauron est l’auteur, avec deux autres chercheurs (1), d’un texte, publié en 2005 dans la revue scientifique The Lancet, qui bat en brèche le moralisme dominant dans le débat sur le dopage. Intéressant donc d’entendre son point de vue au moment où la « curée » antidopage sévit dans le cyclisme. Entretien.

Pour vous la lutte antidopage est un combat perdu d’avance ?

Alexandre Mauron. En gros, avec mes collègues Bengt Kayser et Andy Miah, nous avons développé l’idée qu’un sport parfaitement propre qui exclurait le dopage est un idéal inatteignable, un peu similaire à l’idéal d’une société sans drogue. C’est pour cela qu’il faut peut-être arriver à une position plus pragmatique qui accepterait que, au fond, le sport ne soit pas différent d’autres activités humaines où se développent des « pratiques dopantes », c’est-à-dire d’augmentation des performances par des moyens plus ou moins technologiques. Seulement, dans le discours dominant du sport, on passe un peu pour des gens incongrus, quand on essaie de faire entendre un autre son de cloche sur le dopage.

L’idée fondamentale de votre discours, c’est de ne pas traiter le dopage comme un problème à part de la société ?

Alexandre Mauron. Oui, il faut être aussi pragmatique sur le dopage que certains l’ont été en matière de toxicomanie. Dans certains pays, dont la Suisse, on a accepté des pratiques de compromis avec la toxicomanie comme la prescription médicale d’héroïne qui choque beaucoup en France encore aujourd’hui mais qui est largement entrée dans les moeurs en Suisse ou en Angleterre.

Pour vous, l’interdit actuel du dopage est très ambigu ?

Alexandre Mauron. Absolument. Où est la frontière entre certaines pratiques dopantes couvertes d’opprobre et des pratiques d’entraînement hautement « technologisées » qui impliquent un rapport au corps très instrumental ? Il y a d’un côté l’EPO sur laquelle on jette l’opprobre absolu, et de l’autre des séjours dans des tentes ou des caissons hypobares qui sont du côté du permis. Au nom de quoi finalement ?

Au fond, vous êtes pour la légalisation du dopage ?

Alexandre Mauron. Non. Notre thèse n’est pas ultralibérale. On voudrait surtout arriver à une lutte antidopage qui s’intéresse uniquement à la santé de l’athlète et qui arrête de créer toute une superstructure idéologique autour de l’esprit du sport qui est une chose parfaitement floue.

Comment s’y prendre concrètement ?

Alexandre Mauron. C’est une partie du problème. Faire des études pour connaître d’un point de vue épidémiologique la nocivité de différentes pratiques dopantes est d’autant plus difficile que le dopage est aujourd’hui absolument clandestin, ou du moins recouvert par une sorte de voile de désapprobation morale générale.

Avec le Tour de France 2007, n’est-on pas justement à l’apogée de ce moralisme ?

Alexandre Mauron. Oui, et c’est peut-être l’expression, dans le sport cycliste, d’une montée plus générale du moralisme dans notre société. La tolérance zéro dopage, c’est un peu la messe en latin du sport.

C’est-à-dire ?

Alexandre Mauron. Les controverses publiques et les disputes entre les différents organismes qui régissent le cyclisme donnent l’impression que c’est à qui sera le plus pur vis-à-vis de la problématique du dopage. Aujourd’hui, tout le monde tient pour acquis que l’idée d’un sport cycliste absolument propre est l’objectif à atteindre et que c’est à ce prix qu’il intéressera le public. C’est ce présupposé qui m’interroge.

Mais est-ce que le « public » ne se contrebalance pas finalement que ses héros soient dopés ?

Alexandre Mauron. Mê- me s’il y a toute une palette d’attitudes sur ce sujet du dopage, le public est en effet beaucoup plus ambivalent sur le sujet que les élites sportives. L’esprit du sport, son éthique, ce sont des notions tellement floues qu’elles deviennent facilement idéologiques. C’est une attitude un peu méprisante de penser que le sport cycliste, étant devenu immoral à cause du dopage, on ne doit plus le montrer au bon peuple comme l’ont fait certains médias durant le Tour de France.

(1) Bengt Kayser est professeur de physiologie à l’université

de Genève, Andy Miah, maître de conférences en médias, bioéthique et cyberculture

à l’université de Paisley (Royaume-Uni).

Entretien réalisé par Frédéric Sugnot


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message