Le livre noir du blairisme

dimanche 21 mai 2006.
 

Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir en 1997, Tony BLAIR a dû s’appuyer sur les parlementaires conservateurs pour faire voter sa loi de privatisation des écoles publiques, refusée par une centaine de députés travaillistes. Alors que Blair et ses défenseurs s’activent pour relativiser ce changement radical de majorité, ce vote achève la dissolution du blairisme dans le néo libéralisme. Il illustre aussi le naufrage politique de la sociale démocratie à l’échelle européenne, sur la même pente que le SPD de Schröder qui applique depuis un an au gouvernement un « programme commun avec la droite ». Alors que certains au PS se lancent derrière Ségolène Royal dans une réhabilitation hasardeuse du blairisme, il est urgent de dresser un premier bilan sérieux de 9 ans de gouvernement Blair.

La privatisation de l’enseignement public : un vieux rêve thatchérien

Loin de rompre avec la politique thatchérienne en matière d’éducation, Tony Blair n’a fait que l’amplifier. D’abord en s’appuyant sur une loi votée en 1996 par les conservateurs qui permet de créer des collèges publics gérés et financés par des organismes privés. Il contribue ainsi à l’aggravation d’un système éducatif à deux vitesses, en laissant les écoles publiques largement à l’abandon et faisant proliférer les écoles privées ou semi-publiques, autorisées à sélectionner une partie de leurs élèves. Jugeant ensuite l’enseignement supérieur trop lourd à financer pour l’Etat, le gouvernement Blair fait voter en 2004 le triplement des droits d’inscription à l’université qui atteignent 4 500 euros annuels. Tout jeune qui compte faire des études de médecine doit ainsi envisager de provisionner plus de 55 000 euros, ce qui exclut mécaniquement les plus pauvres auxquels les banques refusent de prêter. Déplorant la formation très médiocre du plus grand nombre des jeunes britanniques à laquelle aboutit ce système, Blair avait promis de relancer l’école publique dans sa campagne de 2005. Une relance qui ressemble plutôt à un enterrement puisque la loi votée le 16 mars en 1ère lecture fusionne de fait l’école publique dans le secteur privé. Chaque établissement public doit désormais s’affilier à un financeur privé qui peut être une entreprise, une association ou une communauté religieuse. Et pour attirer les capitaux vers ces « trust schools », la loi prévoit que le financeur privé pourra librement adapté les programmes et l’organisation de l’enseignement, y compris en fixant ses propres critères d’admission. Les milieux d’affaire fondamentalistes chrétiens proposent d’ores et déjà d’investir massivement pour promouvoir des écoles où l’on enseignera les thèses créationnistes en plus des théories classiques sur l’évolution. De nombreuses firmes sont également sur les rangs, notamment dans l’agro-alimentaire et l’informatique, pour financer des centaines d’écoles qui seraient autant de vitrines commerciales. Sans parler des sectes pour lesquelles c’est aussi une aubaine.

La consolidation d’un véritable apartheid social

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Tony Blair n’a même jamais prétendu revenir sur les régressions de l’ère Thatcher à son arrivée au pouvoir. Au contraire, il a toujours affirmé qu’il serait trop long et compliqué d’abroger ce qu’avait fait Thatcher. Y compris les pires lois anti-syndicales et la limitation drastique du droit de grève (interdiction des grèves de solidarité). Voilà qui fait réfléchir à l’heure où ceux qui veulent réhabiliter Tony Blair au PS sont aussi ceux qui préviennent qu’on ne pourra pas abroger par plaisir tout ce qu’a fait la droite. Blair a ainsi ancré le thatchérisme dans la durée. Il a conforté l’apartheid social créé par le libéralisme en saupoudrant ça et là de l’argent public à grands renforts de communication. Passé de 7 millions en 1979 à l’arrivée de Thatcher à plus de 12 millions en 1997, le nombre de pauvres s’est ainsi stabilisé à ce niveau record sous le gouvernement Blair. Idem pour le nombre de familles sans logis qui a doublé sur la même période 1979-1997. Outre l’absence de remise en cause radicale de cette pauvreté de masse, Blair a aussi conservé le même discours compassionnel à l’égard de la pauvreté. Et développer les dispositifs insistant sur la responsabilité individuelle et morale du pauvre pour s’en sortir. Pour les jeunes, dont il a fait baisser le chômage mais pas la pauvreté, Blair a aussi inventé un SMIC jeunes à l’anglaise, qui permet aux patrons de payer les 18-21 ans environ 20 % en dessous du salaire minimum, déjà très maigre. Il a également consolidé le système fiscal thatchérien qui a fait disparaître toute progressivité des prélèvements et a même conduit à une progressivité à l’envers, où les pauvres paient plus que les riches grâce aux multiples incitations fiscales réservées aux plus fortunés. Les 20 % de Britanniques les plus riches versent ainsi en moyenne 34 % de leurs revenus en impôts contre en moyenne 42 % de leurs revenus pour les 20 % les plus pauvres. Résultat : le patrimoine des 1 % les plus fortunés a doublé entre 1998 et 2004, passant de 20 à 23 % de la richesse nationale. Tandis que le patrimoine détenu par les 50 % de la population les plus pauvres est passé de 10 à 5 % de la richesse du pays.

Des services publics sinistrés

Le bilan blairiste n’est pas plus reluisant en matière de services publics où Ségolène Royal croit pourtant savoir que « Blair a beaucoup réinvesti ». Sans revenir sur aucune des privatisations de Thatcher, il les a même poursuivi à s’attaquant à presque tout ce qui restait : contrôle aérien, nucléaire, métro et même l’administration produisant les passeports. Sans parler de la réduction de 60 % du nombre de bureaux de poste. Partout, Blair a misé sur le recours au privé pour répondre aux besoins de service public. Avec des résultats calamiteux en matière de santé publique : fermeture de 15 000 lits d’hôpitaux en 9 ans, inscription de 1,5 millions de Britanniques sur listes d’attentes des hôpitaux avec des délais dépassant un an, ou encore suppression de la gratuité des soins à partir de 6 semaines (ce qui signifie concrètement qu’il vaut mieux ne pas avoir besoin d’une longue hospitalisation quand on est pauvre).

Un pays appauvri, un peuple dépossédé

Après 9 ans de gouvernement Blair, comme le dit l’économiste Thomas Piketty « le Royaume-Uni demeure un pays sous-formé et faiblement productif contraint d’adopter des méthodes de pays pauvre (dumping fiscal et longues heures de travail) pour se hisser au même niveau que les autres ». La richesse produite par heure travaillée est ainsi 25 % plus faible en Grande-Bretagne qu’en France. Un quart des britanniques travaillent en effet plus de 48h par semaine et un cinquième plus de 60h. Sans que cela gène pour le moins du monde Tony Blair qui a activement milité contre la limitation de la durée du travail au niveau européen. Il est en revanche en phase avec la Commission européenne lorsqu’il s’agit d’allonger l’age de départ à la retraite puisque la commission d’experts qu’il avait missionnée sur le dossier des retraites propose de porter l’age de la retraite des Britanniques à 67 ans. Une constante du programme des libéraux que l’on retrouve aussi dans le « programme commun CDU / SPD » appliqué en Allemagne. Autre résultat du blairisme, la participation électorale a littéralement sombré puisque plus d’un britannique sur deux ne vote plus, à commencer par les couches populaires qui ont renoncé à exercer un pouvoir qui produit toujours les mêmes politiques. Grâce à un des systèmes électoraux les plus archaïques du monde, le gouvernement Blair a ainsi pu être reconduit aux élections de 2005 alors que seulement 22 % des électeurs inscrits avaient voté pour lui. Une véritable dissolution du peuple, digne du suffrage censitaire.


Florilège de l’idéologie blairiste

« Je pense que l’attachement de Margaret Thatcher à la libre entreprise était juste. La Grande Bretagne a surtout besoin de gens qui réussissent grâce à l’argent qu’ils gagnent. » Tony BLAIR, 1997.

« Le New Labour est le parti de la loi et de l’ordre en Grande Bretagne aujourd’hui. Dur avec le crime, dur avec les causes du crime. » Tony BLAIR

« Le New Labour a toujours été très relax à l’idée que les gens puissent devenir indécemment riches. » Peter MANDELSON, idéologue du New Labour, commissaire européen britannique.

« La plupart des gens ont abandonné depuis longtemps la représentation du monde inspirée du dogme de la droite et de la gauche. » Manifeste de la « 3ème voie », signé en 1999 par BLAIR et SCHRÖDER

« L’Etat-providence crée plus de problème qu’il n’en résout » Anthony GIDDENS, conseiller de Tony Blair et théoricien de la « 3ème voie ».


Réhabilitation de Tony Blair : Ségolène Royal persiste et signe

« Tony Blair est injustement caricaturé en France. [...] Cela ne me gêne pas d’afficher mon adhésion à certaines de ses idées. [...] Il a réinvesti dans les services publics. Face au chômage des jeunes, il a obtenu de vrais succès en recourant à plus de flexibilité et plus de sécurité. Les jeunes diplômés sont mieux traités au Royaume-Uni qu’en France [...] Nous ne devons être bloqués sur aucun sujet, comme les 35 heures par exemple. » Interview au Financial Times - 2 février 2006

« Il faut à la France de l’oxygène. Tony Blair a su donner un dynamisme à son pays en faisant confiance aux jeunes. [...] Je ne déferai pas pour le plaisir ce qu’a fait la droite. [...] D’autres assouplissements des 35 heures méritent réflexions. Il y a des salariés qui ont envie de travailler plus et cette liberté doit leur être donnée. » Interview au Parisien - 23 février 2006

« Il faut reconnaître que Tony Blair a donné à son pays un formidable coup d’accélérateur et de dynamique [...], il a poussé en avant son pays. » Interview au Guardian - 3 mars 2006

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