Leçons d’Allemagne : les enseignements du Linkspartei 1 Présentation 2 Intervention Die linke 3 Clémentine Autain 4 François Delapierre, PRS 5 Daniel Ciréra, Membre de la Direction nationale du PCF

mercredi 26 septembre 2007.
 

1)Présentation du débat par Olivier Madaule, Secrétaire de la section communiste de Montreuil

« Die Linke : l’exemple Allemand, qu’en pensez vous ? », tel est le thème de notre débat aujourd’hui.

Réfléchir, regarder ailleurs les expériences menées par des progressistes qui envisagent de transformer la société et de remettre en cause les dominations est une nécessité aujourd’hui pour tous les progressistes en France.

En effet notre pays est bourré de contradictions ; on peut y voir tantôt une majorité rejeter le néolibéralisme économique (au moment du NON au référendum) ou la précarité (lutte contre le CPE), tantôt dans le même mouvement élire largement un président qui prône de laisser libre cours à la main du marché et présente un danger pour les libertés publiques.

Face à cette situation, la gauche ici est bien mal en point pour pouvoir présenter une alternative.

Le Parti Socialiste est tenté de finir sa « modernisation » en acceptant de laisser faire la loi du marché, la LCR s’enferme dans une stratégie de pure protestation, les Verts naviguent à vue, les collectifs antilibéraux se sont réduits après l’échec du rassemblement antilibéral en décembre. Quand au PCF, il est marqué par le plus bas résultat électoral de son histoire obtenu lors des dernières présidentielles et s’interroge sur son avenir alors qu’un congrès extraordinaire est prévu en décembre.

On le sent le désarroi est présent. L’idée de reconstruire la gauche, singulièrement celle qui veut transformer la société, se pose fortement.

Mais reconstruire ici implique de regarder ailleurs notamment de l’autre côté du Rhin.

Le 16 juin 2007, Die Linke est né, fruit de la fusion du PDS et de la WASG. Entre le PDS très implanté à l’Est et la WASG, qui regroupe des militants socialistes déçus de l’attitude du SPD, des syndicalistes et des altermondialistes, et présente à l’Ouest, un tel rapprochement apparaît naturel.

Il couronne un processus lancé depuis plusieurs années notamment avec la présence de listes communes dés les législatives de septembre 2005. Avec 8,8 %, le linkspartei réussissait un score important, doublant son score et disposant de plus de 50 élus au Bundestag. Les élections régionales notamment à Brême ont confirmé cette montée en puissance et Die Linke paraît aujourd’hui en mesure de devenir la troisième force politique du pays derrière les historiques SPD et CDU.

Ce sucés incontestable a bien évidemment des répercussions en France à l’heure où le débat sur l’avenir de la gauche de transformation sociale est présent dans bien des esprits.

Faut il ici lancer un processus de fondation d’un nouveau parti à l’instar de Die Linke ? Quelles sont les leçons positives que nous pouvons tirer ici de cette expérience ? Quelles en sont les limites ?

Pour parler et donner son point de vue sur ces questions nous disposons de 4 invités que je vais vous présenter.

Tout d’abord avec notre invité allemand que je remercie pour sa présence, Helmut Scholz. Il nous présentera tout d’abord son opinion sur le processus qui se mène en Allemagne. Nous permettrons ensuite à nos intervenants français qui étaient tout présents lors du congrès fondateur de Die Linke à Berlin de donner leur avis sur cette expérience. Nous avons le plaisir d’accueillir ainsi Clémentine Autain, maire adjointe à la mairie de Paris, qui milite ardemment pour la constitution d’une nouvelle force politique de la gauche de transformation sociale notamment au travers d’un lieu de réflexion intitulé « Maintenant à gauche ». Daniel Cirera, dirigeant national du PCF et chargé des questions européennes après avoir été chargé de l’ensemble du secteur international nous a également fait le plaisir d’être présent, il nous éclairera en s’appuyant sur sa connaissance et son expérience du paysage politique européen et international. Enfin, je tenais aussi à remercier pour sa présence François Delapierre, membre du bureau national du Parti Socialiste et animateur de l’association Pour la République Sociale dont le président Jean-Luc Mélenchon a annoncé en juin sa volonté d’aller vers une construction politique semblable à Die Linke.

2 Intervention de Helmut Scholz, Responsable international de Die Linke

Merci pour votre invitation. Je voudrais présenter les trois points principaux du processus de fusion qui a abouti au parti Linke.

Je partirai d’abord d’une analyse très concrète de la situation et des événements qui ont conduit à cette fusion entre les deux partis (le WASG Social démocrate et le PDS Communiste NDLR).

Au point de départ, il y a deux cultures qui sont présentes en Allemagne. A l’Est, le PDS qui était un parti bien implanté qui regroupait les couches les plus diverses, des gens même au-delà de la gauche qui votaient pour le PDS car il était aussi le « parti des intérêts de l’Est », alors qu’à l’Ouest, le PDS n’avait jamais pu vraiment prendre pied, avec un anticommunisme qui est resté très fort, et ce n’est que parce que la social démocratie au pouvoir dans la coalition SPD-Grünen (coalition Social démocrate - Verte dirigée par Schröder - NDLR) s’en est prise à tous les acquis sociaux, à l’Etat social, qu’une prise de conscience a eu lieu et que des gens ont quitté le SPD.

Il faut toujours avoir cette situation de l’Allemagne à l’esprit, avec une culture politique à l’Est et une autre à l’Ouest. Lorsque le chancelier Schröder a décidé d’anticiper les élections, il ne comptait pas (et personne d’ailleurs) sur la capacité à Gauche à dépasser la réflexion sur soi-même pour aller vers cette fusion.

En 2005, donc, le PDS se trouvait confronté à cette question : « est-ce que nous sommes candidats dans toute l’Allemagne comme on le fait depuis 15 ans (sans réussite puisqu’on n’arrive pas à percer) ? Ou est-ce que nous tentons une expérience nouvelle ? » Et c’est ce que le PDS a décidé.

Il y avait aussi le fait que la WASG s’était installée à l’Ouest et avait réuni des gens de gauche qui ne voulaient pas et ne pouvaient pas - pour des raisons les plus diverses - rentrer au PDS, qui n’auraient pas fait ce pas là. Il fallait donc prendre en considération cela.

Nous avons décidé de tenter l’expérience sans être certains que cela allait réussir. Il faut souligner l’apport personnel des trois dirigeants que sont Oskar Lafontaine à l’Ouest (ancien chef du SPD et ex-ministre), Lothar Bisky et Grégor Gyzi à l’Est, qui ont encouragé ce processus, pour aller ensemble aux élections et préparer peut-être la fondation d’un nouveau parti.

On s’est d’abord concentré sur la phase électorale. Il s’agissait d’élections anticipées, donc sans beaucoup de temps pour les préparer, et nous avons fait un programme électoral de réponse à la politique anti-sociale de Schröder, de réponse à l’engagement armé de l’Allemagne (qui est un thème important en Allemagne), et de protection écologique. Nous avons laissé de côté dans cette phase électorale les autres questions programmatiques et nous nous sommes concentrés sur cette bataille électorale.

Nous avons obtenu 8% des voix, et c’était bien pour nous. Après ce succès électoral, nous avons pris le temps, avec les deux partis WASG et PDS, de mener à bien le processus de fusion qui ne s’est terminé qu’en juin 2007. C’est le deuxième point que je voulais aborder.

Pendant ce processus de fusion, nous avons beaucoup appris. La première chose que nous avons apprise, c’est qu’il y a des conceptions différentes de la politique de Gauche. Et nous avons compris qu’il fallait aborder de front ces différences. Nous avons appris que la fusion ne pouvait venir seulement d’en haut et qu’il fallait associer à toutes les étapes les militants dans la transparence totale. On a aussi appris (surtout pour des gens comme moi qui viennent de l’Est !) que des responsables syndicaux ne raisonnent pas comme des permanents des partis politiques.

A côté d’un groupe central qui pilotait le processus de fusion, constitué à parité entre les deux partis, on a fait des groupes thématiques, tous à parité, pour discuter, par exemple, sur les femmes, sur les jeunes, sur différentes questions... toujours à parité entre les deux partis. Chaque groupe rendait publics ses travaux par internet, on se mettait d’accord pour ce qui était commun et on est arrivé à un document présentant les points d’accord programmatiques, sans qu’on aille dans les détails. On a fait la même chose pour les statuts.

Ce processus de fusion s’est donc terminé en juin dernier, mais j’insiste sur le fait que la véritable fusion, c’est maintenant qu’elle commence.

Ce sera mon dernier point, mais c’est le plus important. Car jusqu’à présent c’étaient deux partis qui négociaient l’un avec l’autre, et maintenant nous sommes ensemble, et nous avons à nous occuper un peu moins de nous mais un peu plus de la situation réelle en Allemagne, dans l’Union Européenne, et nous occuper de savoir comment on peut transformer cette situation.

C’est en tant que membre d’un même parti que nous allons engager un grand débat programmatique pour les années à venir pour changer la donne en Allemagne et en Europe.

Un dernier mot : nous ne nous considérons pas du tout comme un modèle à suivre. La gauche allemande avait un problème à résoudre. Cela dit les problèmes que vous rencontrez sont en partie les mêmes problèmes que les nôtres, car vos problèmes sont nos problèmes, vos succès sont nos succès, c’est pour cela que nous sommes satisfaits de discuter de cela avec vous, mais nous n’avons pas de « recettes » à vous donner.

3 Intervention de Clémentine Autain, Conseillère de Paris

Je voudrais d’abord dire que ce qui se passe en Allemagne est regardé de très près par les acteurs et les actrices français de la gauche de gauche. Pas parce que ce serait un modèle, comparaison n’est pas raison, mais parce que l’expérience Die Linke a suscité un grand espoir dès ses premiers pas. C’est la raison pour laquelle je me suis déplacée pour assister à ce congrès fondateur qui a vu la fusion entre deux partis et la création de Die Linke. Et je dois reconnaître que cela restera très longtemps dans ma mémoire comme un choc politique, un moment extrêmement fort et qui est, pour moi, une référence.

Il faut d’abord imaginer la scène, très particulière. Le premier jour, chacune des organisations était dans une salle et enterrait, quelque part, sa propre existence. La WASG était d’un côté et le PDS de l’autre. Je suis allée voir le PDS et c’était un moment extrêmement émouvant d’entendre les leaders du ce parti raconter la manière dont ils ont cheminé pour arriver à la nécessité de créer une autre organisation qui crée des passerelles entre l’Ouest et l’Est. C’est une spécificité allemande : le Mur de Berlin, ces cultures divisées, ces cultures politiques différentes aussi. Cette situation pouvait être de l’ordre du handicap pour se rassembler, mais on pourrait aussi penser que c’est ce qui a obligé les cultures politiques à se retrouver.

Les deux salles abritant les organisations respectives étaient séparées par un mur. A notre arrivée, le lendemain matin, le mur se lève. Et là, nous découvrons une salle immense avec des centaines de délégués qui disent : « Voilà, on se met ensemble, on est une force politique authentiquement de gauche ». Les leaders prennent la parole et nous sentons un enthousiasme dans la salle extrêmement important. On sent bien qu’il s’est passé quelque chose de très fort.

Je veux aussi insister sur un point : la parité. Le PDS compte de 60 à 70 000 militants ; de l’autre côté, la WASG compte à peu près 11 000 adhérents. Pourtant, l’organisation s’est construite à parité dans la direction : un ancien de la WASG et un ancien du PDS. Il y a eu de la part des dirigeants politiques une intelligence de la situation et de ce qu’il fallait faire pour arriver à tenir tous les bouts et à créer ce qui leur semblait indispensable : un grand rassemblement pour que vive en Allemagne une gauche de gauche.

L’autre particularité, en Allemagne, c’est que la droite dirige avec le SPD. En France, même si des ministres du gouvernement Sarkozy viennent des rangs de la gauche, ce n’est pas tout à fait la même chose qu’une alliance entre la social-démocratie et la droite en tant que telles. Cette situation, en Allemagne, a poussé à la création de Die Linke. D’autant que, on dit souvent que c’est le Linkspartei, l’alliance électorale entre la WASG et le PDS, qui n’a pas voulu d’accord avec le SPD pour former un gouvernement. En réalité, cela ne s’est pas passé comme ça. Lors de la création de l’alliance électorale entre la WASG et le PDS, un certain nombre d’exigences ont été posées par cette partie de la gauche allemande : un minimum pour les salaires, la question des retraites et le retrait des troupes en Afghanistan. Pas des mesures hallucinantes d’un programme révolutionnaire, mais des mesures mises sur la table. Le Linkspartei a dit au SPD « si vous prenez ces mesures, on veut bien faire une coalition ». Et le SPD a préféré faire alliance avec la droite. Ce qui est une configuration extrêmement éclairante, inquiétante et qui doit aussi nous faire réfléchir en France sur la manière d’envisager les choses. Et donc il serait faux d’imaginer que Die Linke serait une formation rétrécie de la gauche de la gauche, c’est à dire quelque chose qui serait uniquement dans le témoignage. C’est une formation qui se donne pour ambition de faire autrement et d’être une force qui pèse. Il faut aussi prendre en compte le poids de la venue d’Oskar Lafontaine, ancien ministre des finances, une personnalité extrêmement forte et qui a été en position de gouverner.

Alors, je l’ai dit, comparaison n’est pas raison. Mais je pense que ce qui se passe dans tout un tas de pays d’Europe, avec des particularités dues à l’histoire de chaque pays, nous indique quelque chose de très fort. Il y a en Europe et à travers le monde un double échec. Un premier échec qui est connu, c’est celui des expériences dites socialistes qui ont mis à mal l’idée même de révolution et de possibilité de faire vivre un autre modèle, notamment sur le plan économique, que le capitalisme. C’est un échec qui pèse sur tous ceux qui veulent changer en profondeur la société. De l’autre côté, plus récent et moins connu, il y a l’échec de la social-démocratie qui s’est développée en Europe. Je viens de finir le livre de Jean-Luc Mélenchon qui dresse une critique étayée et utile des expériences social-démocrates en Europe. Cela nous enlève quelques mythes sur les expériences suédoises et scandinaves au sens large.

Face à ça, pour tous les militants qui ont envie de transformer la société, les militants de gauche en sens fort du terme, se pose la question de savoir comment on fait, comment on pense ensemble un projet de société digne du 21e siècle porteur de transformation. Pour moi, et ce sera ma conclusion, on ne peut pas faire autrement que de mêler les traditions et les cultures de toute la gauche alternative. Je ne crois pas qu’une sensibilité ait seule les clés pour rompre avec la logique capitaliste et mettre la question du partage des richesses au cœur du projet de gauche. Personne n’a la clé. Mais je pense qu’il faut réfléchir ensemble, militants socialistes, forces communistes, trotskistes, altermondialistes, écolos attachés à la tradition de l’écologie politique. On ne peut pas se laisser enfermer comme dans un étau entre, en gros, une gauche gestionnaire qui a renoncé à changer la vie et, de l’autre côté, une gauche campée sur la contestation et qui reste une gauche de témoignage. L’ambition que nous devons porter est bien une ambition forte, large, ouverte et qui permette demain d’être en situation de responsabilité pour changer les conditions d’existence du plus grand nombre.

Ce qui compte, c’est de faire naître un élan, comme en Allemagne, qui sera le moteur d’une dynamique populaire qui nous fera inventer les solutions qui permettront demain un réel changement en France et à l’échelle internationale. Il y a un immense espoir et on a envie d’être en France un peu plus un modèle.

4) Intervention de François Delapierre, délégué général de PRS

Je voulais tout d’abord dire que je suis très frappé de l’intérêt des militants communistes, de l’intérêt des militants de gauche pour ce qui s’est passé en Allemagne.

Il y a plusieurs débats sur la fête auxquels participent des camarades du Linke ; il y en avait un par exemple hier soir sur le stand de la fédération des Bouches du Rhône. A chaque fois il y a beaucoup de monde, mais il y a aussi beaucoup de gens qui suivent dans le détail ce qui se dit, ce qui s’est fait, ce qui s’est tenté avec l’expérience du Linke en Allemagne

Je pense que c’est vraiment quelque chose d’essentiel pour la suite, parce que c’est d’abord un combat contre le discours dominant, qui ne traite les expériences étrangères que sous l’angle du folklore. On n’ose pas trop « folkloriser » les Allemands, mais les Latino-américains quand vous en lisez le compte-rendu (parce que en Amérique Latine aussi vous avez une nouvelle gauche qui se réinvente) : entre la reprise telle quelle ou presque des campagnes de l’ambassade des Etats-Unis sur Chavez, les caricatures sur ce qui se passe en Bolivie, partout on essaye de tourner en ridicule ce qui se passe à côté. Sur l’Allemagne on essaie surtout de le relativiser. On entend tout le temps dire : « oui, mais ça n’est pas transposable », et vous avez des bons esprits qui vous expliquent toutes les différences qui existent entre l’Allemagne et la France. Par exemple, il y avait le Mur de Berlin en Allemagne et pas en France. Merci de l’information... on le savait déjà !

Si la question qui est posée est de savoir si nous pouvons répéter tel quel ce qu’on fait les Allemands, alors OUI, ce n’est pas transposable. Mais ce n’est pas ça dont ils veulent nous convaincre. Ce dont ils veulent nous convaincre, c’est qu’il n’y a aucune leçon à en tirer pour la France, qu’il ne faut surtout pas s’en inspirer et que ça n’a rien à nous apprendre. Je suis content de voir que cette idée recule dans les têtes et que beaucoup de gens à gauche pensent qu’il y a des choses à apprendre concrètement de ce qui s’est passé en Allemagne.

J’ai été très frappé hier de l’intervention du camarade du Linke au débat auquel je faisais référence qui a dit : « Le linke on l’a fait parce qu’on était obligé de le faire ». Si on avait demandé aux militants du PDS s’ils étaient d’accord pour décréter la fin de leur parti, et même pour faire l’alliance électorale sous la forme du Linkspartei, ils auraient dit majoritairement non. Mais du coup ils n’auraient eu aucun député au Bundestag. La seule solution pour être représenté au Parlement allemand était d’avoir une alliance électorale avec ces camarades de l’Ouest, du WASG, et Oskar Lafontaine qui était disponible pour cela.

Du côté des camarades issus du SPD c’était la même chose : beaucoup d’entre eux au départ ne voulaient surtout pas entendre parler d’une fusion avec le PDS. Beaucoup de militants du SPD (le parti social-démocrate allemand), à des moments très importants - par exemple au moment de la grande coalition entre le SPD et la droite, des militants qui venaient pourtant de la gauche du SPD, ont dit « on ne peut pas faire autrement, il n’y a pas d’alternative », et c’est aujourd’hui que vous en voyez un certain nombre qui viennent rejoindre Die Linke. Mais ceux qui ont regardé les choses en face, qui se sont dit (c’est également ce que nous a dit Lafontaine lorsque nous avons été le rencontrer à Berlin) : « moi j’ai adhéré à un parti qui était pour l’Etat social, et contre la guerre ; aujourd’hui le SPD est contre l’Etat social et pour la guerre. La seule manière que j’ai de rester fidèle à mon engagement est de faire ce que j’ai fait en décidant de participer à la fondation du Linke ».

Ce n’est pas facile, car Oskar Lafontaine a été Président du SPD, il doit presque repartir à zéro, mais il n’avait pas le choix s’il voulait rester fidèle au combat qui avait été le combat de sa vie.

Je crois que c’est la première question qui nous est posée en France : sommes-nous également obligés de faire une force nouvelle ? Notre situation est-elle comparable ? Il se passe des choses en France, qui ne sont pas sans rapport avec ce qui se passe dans le reste du Monde. Ne croyez pas à l’idée qu’un certain nombre de thèmes qui ont fait leur apparition dans la campagne présidentielle que nous venons de vivre, ne sont que l’invention d’un communicant, une intuition personnelle, du pragmatisme, de l’improvisation, ou la conséquence d’une histoire de couple. Faites l’effort de regarder ce qui se passe dans d’autres pays. « Il faut dépasser les vieux clivages entre la gauche et la droite », « il n’y a plus de classes sociales », « la cible c’est les classes moyennes », « il faut rompre avec l’assistanat » (qui n’a jamais été un mot de gauche, parce que le mot de gauche est celui de solidarité). Toutes ces phrases que vous avez entendues pendant la campagne présidentielle ont été prononcées avant, bien avant. D’abord par les démocrates américains autour de Clinton, puis par Blair. Ils ont travaillé, ils ont réuni des séminaires, dans lesquels est venu Schröder, le patron de la Social-démocratie allemande. C’est une orientation politique, qu’on peut appeler démocrate, puisqu’elle vient des Etats-Unis et que le social, la question du partage des richesses y devient secondaire. Et cette orientation politique aujourd’hui, elle est candidate à représenter la gauche en France. C’est ce qui s’est passé pendant l’élection présidentielle, et on connaît le résultat de cette ligne politique, la défaite que nous avons connue, et le fait que la droite a réussi pour la première fois depuis longtemps à prendre la tête dans la bataille idéologique et culturelle, à lever son drapeau et faire claquer ses mots d’ordre, et à rallier le plus grand nombre autour de ses thèses, parce que le drapeau de la gauche qui veut changer la vie vraiment était à terre.

Alors nous ne sommes peut-être pas exactement dans la situation de l’Allemagne : bien sûr, il n’y a pas un accord de gouvernement entre le parti socialiste et UMP. Je note tout de même qu’il y a un ministre sur cinq au gouvernement qui vient du parti socialiste ; et ce n’est pas vrai que ce sont des brebis galeuses, qu’ils n’ont pas de convictions, qu’ils se sont laissé acheter : ils ont des convictions. Ils ont la conviction qu’ils peuvent gouverner avec la droite, et que ce n’est pas contradictoire avec leur engagement. C’est exactement ce qui se passe en Allemagne. Il faut donc que nous regardions cela en face et je le dis aux camarades socialistes comme moi, il faut que nous ayons ce débat entre socialistes, et que nous affrontions la réalité dans laquelle nous sommes.

La deuxième chose qui a permis la réussite du Linke c’est le courage de dirigeants, de militants qui ont saisi cette occasion, qui ont su tendre la main - Oskar Lafontaine, avant la fondation du Linkspartei, l’alliance électorale d’origine, était quasiment retiré de la vie politique. Il avait démissionné du gouvernement Schröder, du SPD, il était sans perspective. Puis il y a eu l’initiative des camarades du PDS qui sont venus le voir, de Gregor Gysi en particulier, de Lothar Bisky qui sont allé lui tendre la main, en disant « nous pouvons faire quelque chose ensemble, nous pouvons ensemble partir à la bataille électorale. » Et il a eu le courage de ceux qui ont su saisir cette main tendue et de se lancer dans l’aventure pour écrire une nouvelle page.

Il en fallait à tous du courage et de l’audace pour mettre dans un même parti Oskar Lafontaine, ancien président du SPD, et Hans Modrow, le dernier dirigeant de l’Allemagne de l’Est. En Allemagne de l’Ouest, lorsqu’on est membre du parti communiste il y a des régions où on n’a même pas le droit d’enseigner ! Le parti communiste a été interdit en Allemagne de l’Ouest parce qu’il était contraire à la loi fondamentale, en même temps que les partis néo-nazis. En Allemagne de l’Est les militants sociaux-démocrates ont été pourchassés et réprimés. Il a fallu dépasser toute cette histoire pour arriver à construire un nouveau parti. Est-ce plus difficile en France de mettre dans une même organisation des gens comme Marie-George Buffet et Jean-Luc Mélenchon après les combats que nous avons menés ensemble ?

Je vous fais partager notre conviction, dans ce débat qui commence, qui doit avoir lieu - je suis très content qu’il ait lieu ici, je sais qu’il aura lieu partout ailleurs dans la fête et dans les mois qui viennent ; notre conviction est qu’il y a une place, un avenir pour le combat de transformation radicale de la société contre le rouleau compresseur du capitalisme et de la mondialisation libérale. Il y a des gens qui sont prêts à assumer ce combat, pour aider notre peuple à redresser la tête. Alors je forme le vœu que des exemples comme celui de l’Allemagne donnent à chacun de nous le courage de le faire.

5 Intervention de Daniel Ciréra, Membre de la Direction nationale du Parti Communiste Français

Je rejoins ce qui a été dit dans les interventions de Clémentine et François, et je voudrais faire un certain nombre de remarques.

La première remarque : pour nous, communistes - je suis responsable du Parti Communiste Français - c’est absolument stratégique d’avoir la constitution dans un pays comme l’Allemagne - avec le rôle qu’a l’Allemagne dans l’Union Européenne, car aujourd’hui nous ne pouvons plus penser les politiques à l’échelle nationale, sommes obligés de penser à l’échelle européenne - que se constitue une force politique qui ne soit pas marginale, qui soit une force politique authentiquement de gauche, qui ait une représentation très forte au Bundestag avec - je crois - 54 parlementaires, qui ait 7 ou 8 % des voix, et qui avant les prochaines échéances politiques - notamment électorales mais pas seulement - qui permet de débloquer un paysage dans deux dimensions. Le paysage allemand avec les deux composantes social-démocrate et démocrate-chrétienne. Et de débloquer aussi la situation issue de la division de l’Allemagne et de l’unification.

Clémentine l’a dit : il faut mesurer que nous avons deux forces politiques, qui ne sont pas seulement deux forces politiques comme on en aurait dans un même pays, mais deux forces politiques qui se sont structurées après la deuxième guerre mondiale à travers une division historique, et pas seulement entre socialistes et communistes comme en France par exemple. Il faut donc mesurer que cela a donné une force émotionnelle incroyable, comme si on était en train de finir enfin l’unification de l’Allemagne. Et cette unification se fini sur une base de gauche, et sans hégémonie de l’Ouest. Ce n’est pas rien !

Pour nous qui cherchons toutes les convergences pour créer un rapport de force à Gauche, en face de la droite, en face du Capital, en face des politiques libérales, et à l’intérieur de la gauche, c’est absolument décisif.

La création de Die Linke n’a pas été un long fleuve tranquille, et ça ne sera pas un long fleuve tranquille.

Ce que je retiens de cela, c’est que parfois, nous attendons tellement les choses immédiatement que quand arrivent les difficultés il y a un risque de déception. Ca sera compliqué. On ne met pas ensemble, comme ça du jour au lendemain, deux forces politiques avec leur histoire, leurs militants, leurs rapports de force, etc. Non ! Si à la première difficulté on vous dit « Ah ben oui, alors, c’est pas ça... », on est en dehors du coup, on n’a rien compris. L’essentiel, c’est que se constitue dans l’Allemagne une force politique de gauche avec des différences culturelles fortes, mais qui ont la volonté de peser dans les choix politiques. Quand je dis ça, vous voyez ce que cela signifie sur tout ce que cela peut impliquer dans les rapports de force en Allemagne.

Il y a donc un aspect émotionnel fort, et un aspect froid et politique absolument décisif.

Une autre remarque : je n’insisterai pas sur le fait qu’il n’y a pas de « modèle », cela a été dit. Le problème n’est donc pas la « modélisation » du processus. Par contre, l’idée qu’aujourd’hui en Europe - ça a lieu aussi ailleurs comme en Amérique Latine - se pose des questions réalistes et critiques, à partir des échecs de la social-démocratie et du communisme, c’est important. Qu’il y ait un possible à gauche, avec des femmes et des hommes de culture différente mais qui veulent modifier le paysage, c’est extrêmement important.

Je terminerai avec une chose. Il faut garder les pieds sur terre. Il y a des éléments décisifs pour faire aboutir le processus : le succès des listes Linke aux élections de 2005 qui traduit l’échec du SPD et le « non succès » de la CDU, avec une très forte progression des deux côtés, même si à l’Ouest c’était plus difficile, ça a créé la dynamique. Ensuite les élection de Brême dans le Nord qui ont été un vrai succès, dans un Land où il y avait la « grande coalition » et où le Linke a mis le SPD au pied du mur, ça a été un élément décisif. Il y a des moments qui permettent d’accélérer parce qu’il y a la confiance en l’idée que cela permettra de gagner.

Pour toutes ces raisons, ce qui se passe en Allemagne est extraordinairement stimulant pour nous, en sachant que ce ne sera pas un long fleuve tranquille. Mais l’essentiel c’est qu’en Europe aujourd’hui, il y a un paysage qui est en train de bouger.


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