Racisme et esclavage dans la France de l’Ancien Régime

vendredi 28 septembre 2007.
 

Dans la littérature relative à la traite négrière et l’esclavage, l’ouvrage de Pierre H. Boulle, professeur à l’université de Montréal, représente une contribution inédite. Éditions Perrin, 2007, 286 pages, 21 euros.

Après une première partie sur l’émergence du concept de race en France (que l’auteur fait remonter à un texte de 1684, signé par un certain François Bernier dans le Journal des sçavants (1), organe de l’Académie des sciences), le livre se focalise non sur les colonies elles-mêmes, mais sur la petite population de non-Blancs dans la métropole et sur le statut qui leur était dévolu par des décrets royaux évoluant tout au long du XVIIIe siècle.

Une législation coercitive pour l’homme de couleur résidant en France, délibérément hypocrite quant à ses autres dispositions. En théorie l’esclavage était interdit sur le sol français, dans la pratique cette immigration jusqu’alors passée sous silence était bien évidemment induite par le commerce triangulaire France-Afrique-plantations coloniales. Ainsi des « domestiques » personnels déclarés par les capitaines négriers dans les villes portuaires, qualificatif qui, en évitant le terme « esclave », leur permettait de contourner un règlement qui ne demandait que ça. Autre exemple : les petits pages africains offerts à des familles de la haute aristocratie, lesquelles trouvaient cela du dernier chic. Problème, si Mme la duchesse aimait s’exhiber avec un petit garçon déguisé en animal de compagnie, elle en prenait peur lorsqu’il atteignait l’âge adulte et l’abandonnait dans la nature, alimentant ainsi une population marginale jusqu’alors non étudiée par les historiens. De fait, les fantasmes sexuels des familles françaises expatriées outre-Atlantique gagnèrent très vite la métropole (encore que les milieux populaires y restèrent longtemps rétifs, estime Pierre H. Boulle, citant des cas de mariages mixtes dans le monde de l’artisanat ou de la paysannerie). Dans un rapport au conseil des dépêches relatif à la présence de Noirs en France, le ministre de la Marine et ancien lieutenant général de police Antoine de Sartine fulminait, dès 1777 : « On y favorise leurs mariages avec les Européens ; les maisons publiques en sont infectées ; les couleurs se mêlent ; le sang s’altère. » Ce précurseur de Gobineau, théoricien français de « l’inégalité des races » au XIXe siècle, fut entendu au plus haut niveau : un an plus tard, les mariages mixtes étaient interdits par arrêt royal comme attentatoires au « bon ordre »...

(1) « Sçavant » est conforme à l’orthographe

du XVIIe siècle.

Jean Chatain


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