L’Assemblée veut mettre à nu les réseaux russes du Rassemblement national

jeudi 6 avril 2023.
 

Auditionnés cette semaine par la commission d’enquête parlementaire sur les ingérences en France, l’eurodéputé RN Thierry Mariani et l’ancien ambassadeur de France à Moscou Jean-Maurice Ripert ont livré deux visions opposées des liens entre la Russie et le parti de Marine Le Pen.

« Je dis tout haut ce que d’autres pensent et ne veulent pas dire. » Auditionné jeudi 30 mars par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les ingérences étrangères en France, l’ancien ambassadeur de France à Moscou, Jean-Maurice Ripert, a levé le voile sur la proximité qu’il a constatée entre le parti de Marine Le Pen et les responsables russes.

Cette commission parlementaire est à l’initiative du Rassemblement national (RN) pour prendre de court des députés de la majorité, qui, en septembre, demandaient l’ouverture d’une commission sur de possibles « financements russes » de partis français.

Sous le feu des critiques avec les deux prêts russes à hauteur de 11 millions d’euros qu’il a, avec Jean-Marie Le Pen, touchés en 2014, le parti d’extrême droite a déposé une résolution pour créer une commission à l’intitulé plus large.

Si Jean-Maurice Ripert était entendu par la commission au titre d’ancien ambassadeur à Moscou (2013-2017) et à Pékin (2017-2019), fort d’une expérience de quarante années dans la diplomatie, c’est surtout une phrase prononcée en septembre, sur le plateau de LCI, qui a occupé les débats.

L’ancien haut fonctionnaire avait alors affirmé que lorsqu’il était en poste à Moscou, « personne n’ignorait qu’un certain nombre d’hommes et de femmes politiques français, d’un certain bord, venaient » pour « chercher de l’argent pour leur parti » et qu’ils « ne repartaient pas les mains vides ». « Faut pas se raconter d’histoires, tout le monde le sait », avait-il ajouté, sans vouloir « rentrer dans le détail ».

Jeudi, il en a dit un peu plus. Oui, il parlait bien « de représentants du Front national ». Mais « soyons clairs », il n’en a « évidemment pas la preuve », sinon il aurait signalé les faits à la justice, comme l’impose aux fonctionnaires l’article 40 du Code de procédure pénale. C’est exactement ce que les députés du RN voulaient entendre. Sauf que le diplomate ne s’en laisse pas compter. « Peut-être n’ai-je pas totalement maîtrisé le conditionnel, mais je maintiens les propos que j’ai tenus. »

Il détaille : il s’agissait de ses « impressions » de l’époque, confortées ensuite par la révélation des prêts russes du Front national (en 2014, par Mediapart), mais aussi par des déclarations comme celles du patron des services de renseignement allemands.

Devant le Bundestag, Thomas Haldenwang avait indiqué : « Par le passé, des hommes politiques de différents partis se sont parfois rendus à Moscou et ne sont certainement pas revenus les mains vides. » Et puis, cette ingérence russe sur des partis politiques, l’ambassadeur Ripert en discutait avec plusieurs de ses homologues européens.

On est déjà beaucoup moins dans le discours espéré par le RN. Par conséquent, le président de la commission, le député RN Jean-Philippe Tanguy, le relance sur le seul aspect intéressant pour son parti : sa déclaration à LCI ne reposait donc pas sur « d’autres informations particulières » que celles parues dans la presse ?

L’ambassadeur à la retraite lui rétorque que ses « impressions » ne « venaient pas seulement du fait qu’il y avait beaucoup de voyages du Front national » et que les élus de ce parti ne passaient pas par l’ambassade de France, mais aussi de ses discussions avec des responsables russes.

Et Jean-Maurice Ripert de citer : Sergueï Narychkine, président de la Douma (Assemblée législative) devenu le patron des services de renseignement extérieur russes ; le député Leonid Sloutski, alors président du groupe d’amitié France-Russie ; et Alexeï Pouchkov, président de la commission des affaires étrangères.

Ce « tiercé francophone des institutions » russes « ne cachait pas sa sympathie pour ce parti politique », assure-t-il. « Je vous assure qu’ils ne mâchaient pas leurs mots sur le soutien qu’ils avaient apporté à un certain nombre de gens. Et ce n’est pas moi qui aie invité Marine Le Pen au Kremlin. Ce n’est pas moi qui aie diffusé cette image. »

Jean-Philippe Tanguy revient à la charge : ne peut-on pas imaginer que ces « trois personnalités russes » racontaient « n’importe quoi » quand elles disaient soutenir le Front national, comme elles le font « sur le régime russe » ? Jean-Maurice Ripert persiste, évoquant « les déclarations convergentes des hommes de Poutine » en soutien de Marine Le Pen. « Personne n’a jamais pensé que Moscou souhaitait la victoire de l’autre candidat. » Comprendre Emmanuel Macron, en 2017.

Dans un pied de nez au Rassemblement national, la rapporteure de la commission, la députée Renaissance Constance Le Grip, acte que l’ambassadeur a « répété et confirmé » les propos tenus sur LCI, « étayés par 40 ans de pratiques et d’expériences diplomatiques ».

Thierry Mariani dénonce des « fantasmes »

Deux jours plus tôt, l’eurodéputé RN Thierry Mariani, auditionné par cette même commission, était monté au créneau contre cet ambassadeur qui avait osé émettre des doutes sur la probité de son parti, jugeant sa déclaration sur LCI « extrêmement choquante » : « Ou on va jusqu’au bout, et dans ce cas-là, on a des preuves, on a des noms et on avance. Ou sinon, c’est salir pour salir. […] C’est dégueulasse, ça jette la suspicion sur tout le corps. »

Le pas de deux semble répété : la question lui a été posée par son collègue Jean-Philippe Tanguy qui, pour l’occasion, s’est déporté de son rôle de président, siégeant comme simple député, ce qui ne l’empêche pas de poser des questions arrangeantes à son collègue de parti.

Thierry Mariani le dit d’entrée : il veut rétablir la réalité face aux « fantasmes » et aux « légendes qui circulent » sur Dialogue franco-russe, l’association créée en 2004 par Jacques Chirac et Vladimir Poutine pour « favoriser les échanges économiques et politiques avec la Russie ».

Mais l’élu est bien plus que le coprésident de cette structure : il est surtout connu pour ses voyages à répétition à Moscou auprès de Vladimir Poutine, mais aussi en Syrie pour rencontrer Bachar al-Assad, ou encore dans le Donbass pro-russe afin de « superviser », en 2018, des élections jugées illégales par la communauté internationale.

Le 14 mars, il a d’ailleurs été sanctionné par la Cour de justice de l’Union européenne pour être allé, en septembre 2021, à l’approche de la guerre, faire l’éloge des élections législatives russes lors de voyages non officiels. Il est interdit de mener des missions officielles d’observation d’élections jusqu’en 2024.

Mais c’est une autre procédure qu’a tenté de minimiser Thierry Mariani devant les dix-huit personnes présentes lors de son audition : les deux enquêtes ouvertes en septembre 2021 sur de possibles faits de corruption et de trafic d’influence en lien avec Dialogue franco-russe.

Alors que, selon Le Monde, l’une de ces enquêtes, portant sur des soupçons d’abus de confiance et de blanchiment en lien avec l’association, le « concerne exclusivement », Mariani, lui, soutient que « ça n’a rien à voir avec [lui], officiellement ». Lors de la perquisition dans les locaux de Dialogue franco-russe, les policiers lui auraient affirmé qu’elle visait l’ancien directeur, Alexandre Troubetzkoï. « Je rêve de voir un magistrat, un policier, car je n’ai rien à cacher », assure-t-il.

L’eurodéputé décrit une association Dialogue franco-russe réduite, depuis les sanctions économiques envers la Russie en 2014, à « des rencontres avec des spécialistes diffusées sur la chaîne YouTube ». Se perdant dans ses notes, aidé de sa collaboratrice qui lui souffle les chiffres, il affirme que les cotisations de l’association sont passées de 862 000 euros en 2011, « époque d’abondance », à moins de 50 000 euros en 2022. L’essentiel de cet argent partait, selon lui, dans le paiement des trois salarié·es et du loyer des locaux, installés sur la très chic avenue des Champs-Élysées.

On n’est pas là pour chercher des secrets. On est là pour chercher des ingérences.

Anne Genetet, députée Renaissance

Lorsque les questions s’orientent sur ses propres activités à Moscou, Thierry Mariani affirme qu’il n’a « jamais été rémunéré par la Russie », qu’il n’a « jamais eu de biens en Russie », ni « de parts de société » ; qu’il a « déclaré » tous ses voyages d’élu ; que personne ne lui « dictait [ses] éléments de langage », qu’il défend simplement ses « convictions », à savoir que « la France a intérêt, historiquement, à garder des liens avec la Russie » et à ne pas « s’aligner systématiquement sur les positions défendues par l’Otan et les États-Unis ». Mais son argument principal consiste à dire que les députés n’ont connaissance d’aucun « secret », et ne seraient donc pas des cibles pour la Russie.

Il est interrompu par la députée Renaissance Anne Genetet. C’est l’élue qui a battu Mariani en 2017 dans sa circonscription des Français de l’étranger (Russie-Asie).

« On n’est pas là pour chercher des secrets. On est là pour chercher des ingérences, c’est-à-dire des moyens de pression, qui peuvent changer votre jugement, qui peuvent s’exercer sur des think tanks, des chercheurs, sur des journalistes, sur la presse, et sur des élus », rétorque Anne Genetet rappelant à son rival qu’il s’exprime sous serment.

« Je n’ai jamais eu, même très jeune, de commandes ! », a rétorqué Mariani, en attaquant « le totalitarisme de la pensée » qui règne selon lui en France. « Quand on défend des idées qui sont conformes à la majorité, on a des opinions. Quand on défend des idées opposées, on a des intérêts. Je n’ai pas d’intérêts. Mon seul intérêt, c’est la France. »

Pendant deux heures, l’eurodéputé déroule pourtant une vision bien personnelle de la situation en Russie. Il évoque le « rattachement de l’Ukraine à la Russie » en 2014. Il fustige les « icônes » que le « système est doué pour fabriquer » : « Tout le monde oublie que pendant la révolution orange, Iulia Timochenko [figure du mouvement devenue première ministre – ndlr] était présentée, comme aujourd’hui M. Zelensky, comme un héros. Je ne sais plus combien d’années après elle a passé en prison. »

Si l’opposante a bien été mise en cause pour abus de pouvoir dans le cadre d’un contrat gazier avec la Russie, Mariani se garde de préciser le contexte et la suite : après trois années de prison, l’opposante a été libérée et réhabilitée à l’occasion de la révolution de Maïdan (2014).

L’Union européenne avait soupçonné les autorités ukrainiennes de poursuites aux motivations politiques, et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait condamné Kiyv pour la détention illégale de Timochenko.


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