Dans l’hémisphère nord, une canicule record

vendredi 28 juillet 2023.
 

Autour de la Méditerranée, des records historiques de températures pourraient être battus, en particulier en Italie. Aux États-Unis, 60 millions de personnes devront vivre, dans les prochains jours, sous des chaleurs avoisinant les 45 °C. Selon les scientifiques, le climat est déjà entré dans un « terrain inconnu ».

Les températures mondiales s’envolent, mais en France, le ministre de l’agriculture Marc Fesneau regarde le doigt, plutôt que la lune. Il s’est félicité, samedi 15 juillet, sur France Inter : « On n’a pas eu des températures extrêmes, on a plutôt eu des températures normales, pour un été. » La climatologue et coprésidente du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) Valérie Masson-Delmotte l’a recadré, dans une série de tweets factuels : le mois de juin en France a été de 2,6 °C au-dessus des normales, les eaux de l’Atlantique Nord connaissent des records de température, et la Méditerranée connaît actuellement une vague de chaleur intense. Pour la climatologue, ce début d’été est bel et bien « extra-ordinaire ».

Les températures devraient dépasser des records historiques autour de la Méditerranée dans les prochains jours, sous l’effet d’un dôme de chaleur. La journée du 19 juillet devrait être la plus sévère, selon le climatologue de la Fondation pour la recherche sur le climat Dominic Royé : les températures devraient être extrêmes sur plus de la moitié du territoire italien, 15 % de l’Espagne, 3 % de la France. La façade méditerranéenne des pays d’Afrique du Nord est frappée de la même manière. Les températures devraient largement dépasser les 40 °C, atteindre 43 °C à Rome, un record historique, ou encore 48 °C en Sicile.

Au sud et à l’ouest des États-Unis, puis de 60 millions de personnes vivent sous des températures très supérieures à 40 °C, frôlant les 45 °C, de la Floride à la Californie, comme le montre cette infographie du New York Times. Un record mondial est attendu dans la vallée de la mort en Californie : 54 °C, un niveau de chaleur « extrêmement dangereux » pour la santé humaine.

Ces températures extrêmes ont des conséquences dramatiques sur les écosystèmes ou l’agriculture, mais aussi pour l’homme. L’Inserm et l’Institut de Barcelone pour la santé globale ont récemment publié, dans Nature Medicine, une étude sur la mortalité associée à la chaleur en Europe pendant l’été 2022, le plus chaud jamais enregistré. Entre le 30 mai et le 4 septembre 2022, il y aurait eu 61 672 décès attribuables à la chaleur en Europe, soit une mortalité très proche des 70 000 morts estimés pendant la vague de chaleur de 2003. Ils en concluent que « les stratégies d’adaptation à la canicule dont nous disposons aujourd’hui » seront sans doute « insuffisantes » à l’avenir.

L’effet des gaz à effet de serre et d’El Niño

Cette tendance dangereuse de surchauffe est observée à la suite d’un mois de juin dont la première semaine a enregistré un réchauffement mondial dépassant temporairement les + 1,5 °C. Cette situation critique n’est pas une surprise : l’Organisation météorologique mondiale avait en effet prévenu, le 17 mai, que « les températures mondiales devraient atteindre des niveaux record au cours des cinq prochaines années, sous l’effet des gaz à effet de serre qui retiennent la chaleur et d’un phénomène naturel, El Niño ».

Au cours de ce phénomène, le vent qui souffle vers l’ouest de l’océan Pacifique équatorial s’affaiblit, la zone chaude de la mer se déplace vers l’est, déréglant les courants marins et causant généralement une hausse des températures globales.

Si El Niño n’a officiellement débuté qu’en juin et devrait s’intensifier d’ici à la fin de l’année, selon les scientifiques, le changement climatique, majoritairement causé par la combustion des énergies fossiles, a déjà atteint les + 1,14 °C. « En poursuivant la trajectoire actuelle des émissions, nous allons continuer d’observer toujours plus d’anomalies de température, et plus fréquemment », alerte Davide Faranda, chercheur au CNRS, au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE), et spécialiste des extrêmes climatiques.

Climate Reanalyzer, une plateforme mise à disposition par l’université du Maine, aux États-Unis, permet de visualiser les données météorologiques fournies par l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA). La courbe qui trace l’évolution de la température journalière mondiale montre d’ores et déjà le caractère exceptionnel de l’année 2023, plus chaude encore que l’année 2022 (la courbe orange), déjà très anormale par rapport à la moyenne 1979-2000 (la courbe centrale en pointillé).

Un « terrain inconnu »

Derrière cette moyenne se cachent des événements extrêmes puissants qui se sont déroulés ces derniers mois partout dans le monde. Dans son bulletin mensuel publié le 6 juillet, l’Observatoire européen sur le changement climatique Copernicus a évalué le mois de juin comme étant le plus chaud jamais enregistré, dépassant « de loin » juin 2019, le précédent record.

L’océan, qui stocke 90 % de l’énergie générée par les gaz à effet de serre émis par les activités humaines, traverse aussi une période de chaleur extrême. Depuis la mi-mars, la température journalière de surface de la mer se maintient aux alentours de 21 °C, largement au-dessus de la moyenne.

Nous pouvons nous attendre à une poursuite de records.

Davide Faranda, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement Alors que c’est l’hiver dans l’hémisphère sud, l’observatoire européen signale aussi une fonte spectaculaire de la banquise de l’Antarctique. Son étendue a rétréci de 17 % par rapport à la moyenne au mois de juin, soit le niveau le plus faible depuis le début des observations satellitaires.

Dans l’Atlantique, des vagues de chaleur marine, dont certaines ont été classifiées par les scientifiques comme « au-delà d’extrême » à cause de températures supérieures de 4 à 5 °C à la moyenne, se sont répandues dans les eaux à l’ouest de l’Irlande, au Royaume-Uni, dans la mer Baltique, au large du golfe de Gascogne et le long de la côte nord-ouest de l’Afrique. Le climat planétaire est « déjà entré dans un “terrain inconnu” en raison des conditions exceptionnellement chaudes qui règnent dans l’océan Atlantique Nord », note Copernicus dans son bulletin.

Dépassement du seuil de réchauffement Tout cela constitue un « signal d’alarme » qui risque de durer : « Vu que ces températures exceptionnelles sont régies par le réchauffement climatique et des anomalies qui persistent pendant des semaines, comme le réchauffement inédit de l’océan Atlantique Nord, nous pouvons nous attendre à une poursuite de records », prévient Davide Faranda. Quant à l’objectif fixé par l’accord de Paris de ne pas dépasser les + 1,5 °C de réchauffement, il risque d’être battu en brèche dès mai 2035, selon Copernicus.

« Le réchauffement de la température globale n’atteint pas les 1,5 °C du jour au lendemain, autrement dit, pendant les années qui précèdent le franchissement, le seuil va être dépassé pendant de courts moments, puis pendant des périodes de plus en plus longues, et enfin les dépassements seront tellement importants qu’annuellement le réchauffement global aura franchi le seuil fixé à 1,5 °C. C’est l’évolution attendue », explique Gilles Ramstein, paléoclimatologue et directeur de recherche CEA au LSCE.

Ce seuil de réchauffement à 1,5 °C a été temporairement atteint en 2005, 2016, 2020 puis 2023, généralement au cours de l’hiver boréal et au début du printemps dans l’hémisphère nord. Les scientifiques expliquent cela par une augmentation des températures plus importante durant cette saison, en plus d’El Niño. Mais le dépassement survenu début juin n’obéit pas à la règle.

« Nous vivons les années les plus chaudes que l’humain ait jamais connues, et nous sommes sans doute en train de dépasser les températures des périodes interglaciaires – même les plus chaudes – des derniers 400 000 ans », conclut Gilles Ramstein.

Caroline Coq-Chodorge et Lan Wei

• MEDIAPART. 16 juillet 2023 à 18h42 :

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