Espagne : Les gauches résistent. Les droites manquent la majorité absolue

mardi 8 août 2023.
 

Le parti socialiste de Pedro Sánchez a résisté bien mieux qu’attendu aux législatives en Espagne dimanche. Le conservateur Feijóo n’a pas de majorité absolue pour gouverner. Sa stratégie de multiplier les alliances au niveau local avec Vox, le parti d’extrême droite, a dérouté des électeurs de centre-droit.

Dimanche, peu après 23 heures, les télévisions espagnoles diffusaient une image révélatrice de la soirée électorale : les mêmes scènes de victoire – drapeaux espagnols brandis, chants victorieux entonnés – se répétaient devant les sièges des deux principaux partis concurrents, le Parti populaire (PP, droite) et le Parti socialiste (PSOE, gauche).

Sur le papier, Alberto Núñez Feijóo (PP, 61 ans) a remporté les législatives dimanche, décrochant 33 % des voix, devant Pedro Sánchez, le chef du gouvernement socialiste sortant, avec 31,7 % des suffrages (122 sièges).

Mais il faut rassembler au moins 176 sièges (la majorité absolue, dans un Congrès de 350 élu·es) pour être investi à la tête de l’exécutif. À ce jeu-là, le PP est perdant. Annoncé favori depuis des mois et porté par des sondages relayés par des médias conservateurs qui se sont avérés faux, le Galicien Feijóo va avoir beaucoup de mal, même s’il va le tenter dès la rentrée, à devenir le prochain chef du gouvernement espagnol.

Illustration 1Agrandir l’image : Illustration 1 Alberto Núñez Feijóo dimanche soir au siège du PP à Madrid, aux côtés notamment d’Isabel Díaz Ayuso, la présidente de la région de Madrid (en rouge) © Oscar del Pozo / AFP. Son principal allié, Vox, la formation d’extrême droite dirigée par Santiago Abascal, a perdu du terrain, avec 12,3 % des voix (33 sièges, contre 52 obtenus aux législatives de 2019). Vox décroche notamment de manière spectaculaire en Castille-et-León, la première région du pays à avoir été dirigée, depuis 2022, par un exécutif PP-Vox : la formation n’y a obtenu qu’un seul député, contre six en 2019.

Au Congrès, le PP pourra encore compter sur deux alliés régionalistes, aux Canaries et en Navarre (soit deux sièges), pour son investiture. C’est à peu près tout, car les autres formations ne voudront pas s’associer de près ou de loin à Vox. Au mieux, Feijóo rassemblerait 171 sièges, en deçà de la barre des 176.

S’exprimant peu après minuit, Feijóo a lancé à la foule, depuis le balcon du siège du PP, pour essayer de sauver son destin de chef du gouvernement (et sa peau au PP) : « Je demande formellement à ce que personne n’ait la tentation de bloquer de nouveau l’Espagne », en référence au scénario d’une répétition des législatives, comme le pays l’a déjà connu, en 2015 puis en 2019.

En clair, il plaide pour que le parti arrivé en tête puisse gouverner en solitaire, les autres formations s’abstenant pour éviter un blocage politique durant des mois - qui plus est en pleine présidence de l’UE par l’Espagne, jusqu’au 31 décembre prochain.

Le conservateur a aussi renvoyé à l’histoire récente de l’Espagne pour justifier le fait que Pedro Sánchez, en poste depuis 2018, ne pouvait être reconduit : « Aucun chef de gouvernement n’a jamais dirigé le pays après avoir perdu les élections. » Mais la victoire du PP est courte : 12 sièges devant le PSOE, et à peine 330 000 voix d’écart entre les deux partis. Et son partenaire, Vox, ne semblait déjà plus trop y croire, Santiago Abascal se disant dimanche soir « prêt à jouer l’opposition ou la répétition des élections ».

La déconvenue est de taille pour Feijóo, qui disait publiquement espérer 150 sièges environ pour le seul PP (et le parti tablait officieusement sur encore plus...). Feijóo a payé une dernière semaine de campagne difficile - marquée, notamment, par son boycott d’un débat télévisé où étaient invités les quatre principaux candidats sur la télé publique, ou encore par la polémique sur son ancienne amitié avec un narcotrafiquant de Galice.

Sànchez renforcé, Sumar ne dépasse pas Vox De manière plus profonde, c’est la stratégie de Pedro Sánchez qui a payé : le socialiste avait fait le choix d’avancer la campagne des législatives (qui devaient à l’origine se tenir en décembre), afin d’installer dans la campagne le récit des négociations entre PP et Vox au niveau des régions et des villes, dans la foulée du scrutin local du 28 mai. Le contenu d’accords PP-Vox pour les régions de Valence ou d’Estrémadure, intervenus en juin et juillet, ont été particulièrement médiatisés, et a pu dérouter des électeurs de centre-droit.

Et du côté des gauches ? Pedro Sánchez, chef du gouvernement sortant, est le vrai vainqueur de la soirée. Il accroît nettement le score des socialistes, en sièges comme en voix, par rapport au scrutin de 2019 (957 000 voix en plus d’une élection à l’autre : une performance à faire pâlir nombre de dirigeants sortants sur le continent européen, qui plus est sociaux-démocrates...).

Illustration 2Agrandir l’image : Illustration 2 Le premier ministre espagnol socialiste Pedro Sanchez célèbre son résultat aux élections législatives depuis son siège de campagne à Madrid, le 23 juillet 2023. © Javier Soriano / AFP Sánchez semble avoir profité du vote tactique d’une partie de l’électorat de la gauche plus radicale, qui s’est reportée sur le PSOE pour tenter de bloquer l’option PP-Vox. À la tête de la coalition Sumar, Yolanda Díaz n’a pas réussi son pari, celui de passer devant Vox et devenir la troisième force politique du pays.

Mais elle totalise 31 député·es (12,3 %, trois millions de voix), un score loin d’être négligeable vu les mauvais résultats des gauches critiques, et en particulier de Podemos, aux municipales et régionales de mai. En 2019, le même espace politique - qui se présentait divisé en trois formations, et quand Pablo Iglesias était encore à l’œuvre - avait décroché 38 sièges.

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Espagne : le moment de vérité pour les gauches 17 juillet 2023 Le bloc des gauches PSOE-Sumar ne totalise que 153 sièges. Mais il peut compter sur un réservoir d’alliés bien plus important au sein des partis régionalistes que le PP - notamment chez les indépendantistes de gauche, en Catalogne (ERC), en Galice (BNG) et au Pays basque (la coalition EH Bildu, que Mediapart a suivie en campagne, et qui a dépassé le PNV basque en nombre de voix).

Cet assemblage hétéroclite - et encore très incertain - atteindrait... 172 voix. En-deçà de la majorité absolue au Congrès, là-encore. Mais certains éditorialistes spéculent déjà sur une abstention possible de Junts, la droite indépendantiste catalane (six élu·es) - et ennemi juré de Vox -, pour permettre d’investir Sánchez à l’automne.

Tout cela s’annonce long et difficile. Chaque négociation du PSOE avec des partis indépendantistes risque d’outrer un peu plus l’électorat de droite. En cas d’impasse, pour Feijóo comme pour Sánchez, de nouvelles législatives seront convoquées. Il va encore falloir patienter pour savoir si l’Espagne veut imiter l’Italie de Giorgia Meloni, où gouvernent déjà droite et extrême droite. À ce stade, cela n’en prend pas le chemin.

Ludovic Lamant


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