Vague de grèves victorieuses aux États-Unis

mardi 7 novembre 2023.
 

Victoire historique de la grève des travailleurs de l’automobile sur les 3 géants du secteur avec des hausses de salaire entre 25% et 30% étalées sur 4 ans (et dans le cas de Stellantis la réouverture d’une usine fermée en début d’année) succès de la grève des salarié·e·s de Kaiser Permanente pour la grande mobilisation de la santé, vote ultra majoritaire de la grève des salarié·e·s des hôtels et casinos de Las Vegas, grève dans les hôtels de Los Angeles, poursuite de la grève des acteurs, victoire de la grève des scénaristes, victoire avant même le lancement de la grève à UPS… Toutes ces mobilisations font écho à la constitution récente de syndicats comme en témoigne l’exemple des travailleurs des effets spéciaux de Disney (ce qui constitue une première dans cette industrie). Indéniablement, il se passe quelque chose d’important sur le front de la lutte de classe aux Etats-Unis.

Cette offensive sociale du camp ouvrier entraîne même des situations tout à fait inattendues. Ainsi, à l’occasion de la grève dans le secteur automobile (très largement soutenu selon les enquêtes d’opinion), le dirigeant du syndicat UAW (United Auto Workers – Syndicat des travailleurs de l’automobile) peut d’un côté arborer le slogan issu de l’extrême gauche « Eat the rich » et, de l’autre, bénéficier du soutien du président Joe Biden, se rendant sur un piquet de grève en soutien aux grévistes, une première dans l’histoire des Etats-Unis (et un des rares exemples de par le monde). Ainsi, Joe Biden, qui a un parcours politique de « centriste », montre un positionnement plus « à gauche » depuis qu’il est devenu président. Cela a tout à voir avec la pression sociale organisée par les syndicats dans différents secteurs : côté démocrate , le personnel politique est plus à l’écoute des revendications sociales que ne l’avait été, par exemple, le PS de Hollande entre 2012 et 2017. Cela tient sans aucun doute aux caractéristiques différentes du mot « parti » aux Etats-Unis par rapport au reste du monde : aux Etats-Unis, les partis ne sont pas tant des organisations issues de la société civile composées de membres mais des sortes de quasi entités publiques à tous les échelons qui peuvent être bien plus sensibles à ce qui se passe dans la société que des partis pouvant connaître une certaine endogamie (par exemple, dans le cas du PS sous Hollande, avec la haute fonction publique). Le revers de la médaille est que l’extrême droite peut également opérer, pour cette même raison, sous l’étiquette du Parti républicain.

Pour en revenir aux luttes en cours, elles portent sur le niveau de vie : face à l’écart entre les faibles hausses de salaires et les gros bénéfices des employeurs dans un contexte inflationniste, elles posent la question de la redistribution des richesses. Cela tient aussi à la qualité du travail et au maintien d’un travail digne face à des évolutions technologiques instrumentalisées par les capitalistes. Ainsi, un grief important des acteurs est que les contrats signés avant l’émergence de plateformes de diffusion tel que Netflix ou Amazon Prime ne prévoient pas de rémunération pour ces rediffusions. Par exemple, une actrice récurrente d’une série à succès tel qu’Orange is The New Black ne perçoit que 24 $ par mois alors même que Netflix engrangeait encore des bénéfices en rediffusant la série. En outre les scénaristes et les acteurs posent la question de l’usage de l’« intelligence artificielle » [IA]. Il s’agit non seulement de maintenir l’emploi mais aussi la qualité de leur travail : par définition les logiciels d’IA ne peuvent que reproduire en recombinant ce qui a été initialement produit par des êtres humains.

Ces luttes sont également l’œuvre d’équipe syndicales renouvelées capables de porter les aspirations d’un grand nombre de travailleurs. Il s’agit certainement d’une des évolutions majeures de ces dernières années. Ainsi concernant l’UAW, Shawn Fain est le premier président élu directement par la base syndiquée depuis sa création en 1937 lors de la vague de construction du CIO (fédération exclue de l’ancienne et unique confédération AFL avant d’être réintégrée en 1955) car elle prônait un syndicalisme d’industrie (contre le syndicalisme de métier corporatiste et ségrégationniste de l’AFL) et égalitaire entre les travailleurs et travailleuses noir·es et blanc·hes (à l’époque les cadres du Parti communiste américain, blanc·hes et noir·es, ont joué un rôle essentiel dans la construction du CIO en général et de l’UAW en particulier).

Shawn Fain est issu d’une tendance, UAWD (D pour démocratique) qui a remporté le dernier congrès. Elle a été construite pendant des décennies par des cadres issu·es de différents courants socialistes/communistes non staliniens regroupé·es dans le réseau syndical Labor Notes ; ce réseau a servi de ressource de formation et de boussole pour la nouvelle génération qui s’investit aujourd’hui dans les syndicats aux Etats-Unis. Des cadres de la principale organisation politique de gauche radicale, DSA (Democratic Socialists of America) – qui regroupe aujourd’hui la majorité des courants socialistes étasuniens –, animent l’UAW en alliance avec Fain, qui s’appuie aussi sur le soutien de Sanders et d’élu·es de gauche tels qu’Alexandria Ocasio-Cortez. Rien de tout cela n’était une évidence pour un mouvement ouvrier organisé qui n’a pas échappé au mouvement de répression anticommuniste et n’a jamais produit, ni même travaillé en alliance, avec un « parti ouvrier » à l’échelle nationale, contrairement à ce qui a pu exister en Europe de l’Ouest.

Cette vague de grèves, le « summer of strike » (l’été des grèves) puis « striketober » (traduisible par « grèvetembre ») améliore non seulement la situation des travailleurs-es de ces entreprises mais entame aussi un cercle vertueux. Ainsi, le collectif syndical MORE Perfect Union informait que suite à un projet de constitution d’une section syndicale UAW à Toyota, la direction s’était réunie en urgence pour accorder une augmentation de 25% avant même la constitution de la section syndicale ! La même semaine c’est à Tesla, dont le patron Elon Musk est virulemment antisyndical, que l’UAW a repris ses efforts de constitution d’une section syndicale en commençant par l’usine de Fresno en Californie. Un enjeu majeur sera l’implantation syndicale dans les Etats du sud des Etats-Unis aux législations antisyndicales. Malgré les fortes différences de contexte, cela pointe l’importance de grèves (largement) majoritaires plutôt que des grèves héroïques plus ou moins minoritaires et la nécessité de l’étape fondamentale de constitution de section syndicale et du long travail d’implantation (avec le levier spécifique à la France des élections professionnelles dans les entreprises).

Noé Megrun


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