Traité modificatif européen 10 questions, 10 réponses

mardi 13 novembre 2007.
 

1- Le projet de Traité Modificatif Européen (TME) est-il différent du projet de Traité Constitutionnel Européen (TCE) ?

Non. Valéry Giscard d’Estaing, ancien président de la Convention européenne qui avait rédigé le TCE, le reconnaissait d’ailleurs dans le Monde du 26 octobre 2007 : « Les outils sont exactement les mêmes, seul l’ordre a été changé dans la boîte à outils ».

Le Traité Modificatif Européen (TME), adopté par les Chefs d’Etat et de gouvernements de l’Union européenne, le 19 octobre à Lisbonne, est donc le même que le Traité Constitutionnel Européen (TCE) qui a été repoussé le 29 mai 2005 par 54,67 % des électeurs de notre pays.

Sarkozy a présenté ce projet de traité comme un « projet simplifié ». C’est un mensonge, il fait plus de 250 pages et reprend l’intégralité de la partie I (les institutions) et de la partie III (les politiques européennes) du TCE. La partie II du TCE (la charte des droits fondamentaux) qui était le seul élément un peu positif du TCE ne figure plus dans le traité mais dans un texte séparé.

Sarkozy s’est vanté d’avoir fait retirer du texte « la concurrence libre et non faussée ». C’est là encore un mensonge éhonté. « La concurrence libre et non faussée » a bien été retirée de la partie 2 mais elle est reprise dans un protocole, partie intégrante du traité, qui affirme que « le marché intérieur, tel qu’il est défini à l’article 3 du traité comprend un système garantissant que sa concurrence n’est pas faussée ».

Les seules différences (exceptée l’exclusion de la charte des droits fondamentaux) sont d’ordre symbolique : le texte n’est plus une Constitution mais un Traité dont la révision sera tout aussi difficile que l’aurait été celle de la Constitution ; le drapeau européen (qui flotte partout) et l’hymne européen sont retirés du texte.

Ce texte est donc un coup de force contre le vote « non » des deux seuls peuples consultés sur l’intégralité du TCE : les peuples français et néerlandais. L’initiateur de ce coup de force anti-démocratique est Nicolas Sarkozy.

2 - Le TME rendrait-il possible une harmonisation sociale par le haut ?

Non. Le projet de TME exclut toute harmonisation des législations sociales. La possibilité d’instaurer progressivement un SMIC européen pour empêcher la concurrence par les bas salaires est exclue, tout comme un alignement vers le haut des régimes de protection sociale ou une réduction harmonisée du temps de travail dans toute l’Union européenne.

C’est le marché qui se chargerait d’ « harmoniser » les législations sociales au nom de la « concurrence ». L’harmonisation continuerait donc à se faire par le bas : les rangs des travailleurs pauvres et des chômeurs continueraient à augmenter au même rythme que les dividendes des actionnaires.

Le projet de TME ne changerait rien à la règle de l’unanimité nécessaire à l’harmonisation des législations fiscales des pays de l’Union européenne. La concurrence fiscale et la course sans fin aux augmentations d’impôt pour les salariés (TVA sociale) et aux baisses d’impôts pour les actionnaires (diminution de l’impôt sur les sociétés et sur les dividendes) pourraient donc continuer sans le moindre frein.

Depuis plus de vingt ans, les dirigeants de la social-démocratie européenne font le même serment : « Pour sauver l’Europe, nous avons été obligés de différer l’harmonisation sociale mais c’est promis, c’est juré, le social sera l’objet du prochain traité ». Vingt ans d’expérience pendant lesquels la politique sociale a été à chaque fois sacrifiée sur l’autel de la libre circulation des capitaux (Acte Unique, 1986), de la monnaie unique (Maastricht, 1992) ou du pacte d’austérité budgétaire (Amsterdam, 1997). Mais vingt ans d’expérience qui ne leur ont servi à rien. Ils continuent leur rengaine. Ils proposent de signer le TME qui interdirait tout harmonisation des législations sociales et qui sonnerait le glas de ce qui reste de services publics en Europe mais ils s’écrient, de nouveau, la main sur le cœur : « Préparons un traité social, défendons une directive européenne pour garantir les services publics... » Qui peut encore les croire ?

3 - Le TME serait-il une garantie pour nos services publics ?

Non. Il n’existe aucune base juridique dans le projet de TME qui pourrait garantir l’adoption d’une directive sur les services publics. D’abord parce que le terme de « service public » est ignoré par le projet de TME ; il ne connait que le « service d’intérêt général » qui est au service public ce que l’omnibus est au TGV. Ensuite parce que le texte se contente d’affirmer, sans que cela ait la moindre implication pratique, « l’importance des services d’intérêt général ».

La pratique, c’est l’obligation reprise par le projet de TME d’abroger toute règle nationale qui serait contraire aux règles de la concurrence. Les services publics constituent la première cible de cette obligation.

La pratique, c’est la directive Mac Greevy, votée en novembre 2006 par le Parlement européen, avec l’opposition de tous les députés de gauche français (PS, PCF, Verts) mais avec les voix de la très grande majorité des élus du Parti Socialiste Européen (PSE). Cette directive reprend à son compte plus de 70 % de la directive Bolkestein. Nous n’en avons pas encore subi les effets : un délai de trois ans est laissé à chacun des Etats-membres pour l’intégrer dans sa législation nationale.

Au total, les services publics seraient voués à la concurrence. L’Ecole (en premier l’enseignement supérieur) et la Santé publique seraient promises au même sort qu’Air France, France Télécom, EDF, GDF, la SNCF, la Poste ou l’eau potable.

4 - Le TME rendrait-il l’Europe plus démocratique ?

Non. Les institutions de l’Union européenne resteraient des institutions en trompe-l’œil. L’essentiel des pouvoirs resterait détenu par des organismes non élus, hors de la portée de tout contrôle citoyen : le Conseil des Chefs d’Etats et de gouvernement, le Conseil des ministres, la Commission, la Banque Centrale Européenne et la Cour de Justice.

Malgré les rodomontades de Sarkozy, en l’absence de tout gouvernement économique européen, les dirigeants non élus de la Banque Centrale Européenne ne seraient toujours pas soumis au moindre contrôle démocratique. Ils pourraient, impunément, continuer à imposer un euro cher qu’ils baptisent euro « fort ». Un euro pour un dollar en 2003, un euro pour 1,5 dollar en 2007 : pour exporter dans ces conditions il ne reste plus qu’à accroître la rentabilité des entreprises sur le dos des salariés. C’est bien là le but recherché. Avec le TME, cette catastrophe sociale ne pourrait que s’aggraver.

5 - Le mandat donné par le peuple français le 29 mai 2005 a-t-il été assumé ?

Non. Malgré la victoire du « non », il n’y a pas eu de « plan B », c’est-à-dire de proposition de modification du TCE. A qui la faute ?

A la Droite, en tout premier lieu, puisqu’elle est au pouvoir et qu’elle a choisi de s’asseoir délibérément sur le mandat de 54,67 % d’électeurs et d’aller « négocier » le même traité que celui qui avait été massivement rejeté.

Mais la faute incombe aussi à la principale force de gauche, le Parti Socialiste qui n’a jamais défendu la perspective d’un nouveau traité européen, social et démocratique, conforme au mandat donné par le peuple français.

Pourquoi le Parti Socialiste ne s’est-il pas emparé du mandat que la Droite refusait d’assumer ? Pourquoi ne s’est-il pas battu (publiquement, sur la scène nationale et européenne, au sein du PSE...) pour faire respecter ce mandat ? Loin d’être isolé, il aurait eu l’appui massif des peuples européens, presque tous favorables au « non » français et néerlandais. Rappelons-nous la peur qui, au printemps 2005, avait pris à la gorge les dirigeants européens et les avait conduits à arrêter précipitamment toutes les consultations en cours. Les Danois, les Tchèques, les Polonais, les Irlandais, les Portugais qui devaient donner leur avis par voie référendaire n’ont pas eu le droit de le faire. Anthony Blair qui s’était engagé à soumettre le TCE à un référendum avait brusquement oublié ses engagements. Les parlements suédois et finlandais avaient différé leurs votes de ratification : même le vote de ces parlements apparaissait alors trop risqué.

Une nouvelle victoire du « non » français produirait les mêmes effets qu’en 2005 : 76 % des Allemands, 75 % des Britanniques, 72 % des Italiens, 65 % des Espagnols souhaitent un référendum pour le nouveau traité (Sondage Louis Harris publié par le Financial Times). Encore faudrait-il que, cette fois encore, le Parti Socialiste ne se contente pas de regarder passer les trains mais qu’il respecte le mandat confié par le peuple français et mène bataille pour un « plan B », pour un nouveau traité, social et démocratique.

6 - Quels sont nos engagements à l’égard des Français ?

Le projet socialiste affirme : « Nous refuseront une ratification du Traité Constitutionnel Européen tel qu’il a été rejeté le 29 mai, même s’il est accompagné d’un nouveau préambule. Nous proposons l’élaboration d’un traité strictement institutionnel [...] Une fois renégocié un tel traité sera soumis au peuple par référendum » (Relancer l’Europe).

Le pacte présidentiel de Ségolène Royal confirme cet engagement : « Négocier un traité institutionnel soumis à référendum pour que l’Europe fonctionne de manière plus démocratique et plus efficace » (Proposition 91).

Ces engagements sont en complète opposition avec ce que cherche à imposer Sarkozy. Sur le fond, puisque le projet de TME n’a rien de « strictement institutionnel » mais reprend, au contraire, l’ensemble du projet de Constitution européenne. Sur la forme, puisque Sarkozy veut faire ratifier le TME non par un référendum mais par le vote du Parlement.

7 - Sarkozy ne veut pas de référendum et veut faire ratifier le TME par le Parlement : pouvons-nous lui imposer un référendum ?

Oui. Nous avons les moyens d’agir pour éviter ce déni de démocratie.

En effet, pour que le TME puisse être ratifié par le Parlement (députés et sénateurs) réunis en Congrès, il faut, au préalable modifier l’article 88-1 de la Constitution. Si cet article n’est pas modifié, la ratification du TME devra être soumise à référendum.

Mais pour modifier cet article, il faudrait que Sarkozy réunisse les voix des 3/5 des votants soit 545 voix. Ce n’est donc pas gagné d’avance pour la Droite puisque la majorité présidentielle n’atteint que 537 voix.

Il faudrait, certes, que l’ensemble des députés de gauche vote contre la modification de l’article 88-1 de la Constitution. Cela ne devrait ; en principe, poser aucun problème : il ne s’agit pas de voter pour ou contre le TME mais d’obliger Sarkozy à respecter la volonté du peuple français et à faire en sorte que seul le peuple puisse défaire ce que le peuple avait fait. Tous les candidats de gauche à l’élection présidentielle (Ségolène Royal, Dominique Voynet, Marie-Georges Buffet) avaient, d’ailleurs, pris un même engagement : pas de ratification d’un nouveau traité sans référendum.

Il restera encore à convaincre huit parlementaires non inscrits de voter contre la révision de la Constitution. C’est tout à fait possible puisque 14 de ces non-inscrits, souvent proches de Dupont-Aignan, avaient voté contre la révision de 2005.

Aucun combat, certes, n’est gagné d’avance mais il est forcément perdu si on ne l’engage pas. Et ce combat, nous le devons au peuple français et aux engagements que nous avons pris devant lui.

8 - Les règles du traité de Nice empêchent-elles l’Union européenne de fonctionner ?

Non. Malheureusement, car il ne s’agit pas du fonctionnement de « l’Europe » en général mais bien du fonctionnement de l’Europe libérale dont l’action est tournée contre les peuples et dont les derniers méfaits sont le vote de la directive Mac Greevy (plus de 70 % de la directive Bolkestein) et l’ouverture totale de la Poste à la concurrence.

Malheureusement, car si les « non » français et néerlandais avait réellement empêché l’Union européenne de fonctionner, ses dirigeants auraient bien été forcés de trouver un compromis et d’intégrer (au moins partiellement) les aspirations sociales et démocratiques des peuples européens.

Il y a, de toute façon, une très profonde hypocrisie à affirmer que l’Union européenne libérale à 25 (ou 27) ne peut plus fonctionner avec les règles du Traité de Nice de 2001, ces règles ayant été prévues pour l’Europe des 15. En effet, l’Europe libérale n’a pas cessé de fonctionner (sur le dos des peuples européens) depuis l’élargissement de l’Union, en 2004, à 12 pays d’Europe centrale et orientale. Quant au projet de TME, il prévoit (exigence de la Pologne) que les nouvelles règles de définition de la majorité au Conseil des ministres (55 % des Etats et 65 % de la population de l’Union) ne seraient appliquées qu’en 2014 et même en 2017 si un Etat-membre le demandait.

Entre 2004 et 2017, l’Union européenne fonctionnerait donc avec les règles du traité de Nice qui, nous affirme-t-on, empêchent l’Europe de fonctionner. Quelle tartuferie !

9 - Mener bataille pour le référendum nous mettrait-il en position de faiblesse électorale ?

Non, parce que nous respecterions les engagements que nous avons pris.

Non, parce que 71 % des Français (selon les derniers sondages) souhaitent un nouveau référendum pour décider si le TME doit être ou non ratifié.

Non, parce que si les dirigeants du Parti Socialiste menaient une campagne déterminée en affirmant « Seul le peuple peut défaire ce que le peuple a fait » et en exigeant un référendum, cela ne pourrait qu’isoler la Droite et aider nos candidats aux municipales et aux cantonales. C’est au contraire, le refus de nous distinguer de la Droite sur un sujet aussi déterminant, qui risque d’être préjudiciable aux candidats socialistes aux municipales et aux cantonales.

Le Congrès réunissant l’Assemblée Nationale et le Sénat pour modifier la Constitution ne pourra pas siéger avant janvier 2008. Les délais sont longs, en effet, pour que le Conseil Constitutionnel (qu’il ne faudrait surtout pas oublier de saisir...) rende sa décision, que le Congrès puisse se réunir, que Sarkozy essaie de rassembles les voix des 3/5 des députés et sénateurs pour modifier l’article 88-1 de la Constitution, pour que soit organisé un référendum et que puisse se mener la campagne référendaire.

Les élections municipales et cantonales auront donc lieu bien avant l’organisation d’un référendum, si nous gagnions la bataille pour qu’il puisse se tenir. Nous aurons donc le temps d’organiser une nouvelle consultation des adhérents pour déterminer la position de notre parti. Nous pourrons même, cette fois-ci, nous donner les moyens que cette consultation soit sincère et que, là où nos fédérations sont les plus fortes, elles ne soient pas, paradoxalement, les plus en contradiction avec le vote des électeurs de leur département (60 %, par exemple, des 12 000 adhérents du Pas-de-Calais pour le « oui » dans le vote interne et 70 % des électeurs pour le « non » lors du référendum du 29 mai 2005...)

Le principe doit être, en effet, le même que pour le référendum : ce que les adhérents ont fait, seuls les adhérents peuvent le défaire. Le Bureau National du PS ne peut pas plus se substituer aux adhérents de notre parti que le Parlement ne peut se substituer aux citoyens de notre pays.

10 - Alors que Sarkozy prépare une offensive d’une brutalité inouïe contre le salariat, annoncer que l’on votera comme la Droite pour approuver le TME n’est-ce pas tirer contre son propre camp ?

Oui, malheureusement. Pour faire passer sa politique d’agression contre le salariat, Sarkozy prend, en effet, le plus grand soin de faire croire qu’il a derrière lui une véritable « union nationale », comme celle d’Angela Merkel en Allemagne. C’est pour cela qu’il débauche les Kouchner, Besson et autre Attali. C’est pour cela qu’il a fait sienne la candidature de DSK au FMI.

Le vote précipité du Bureau National pour un « oui » au TME va dans le sens de l’ « union nationale » que souhaite Sarkozy et l’aide à déboussoler le salariat au moment où ce dernier aurait le plus besoin d’être sûr que la Gauche et la Droite ce n’est pas la même chose et qu’il existe bien une issue politique à la dure bataille que la Droite lui impose.

S’ils ne veulent pas tirer contre leur camp, il est donc urgent que les dirigeants du Parti socialiste changent leur fusil d’épaule et annoncent clairement qu’ils se battront pour un référendum sur le TME et qu’une consultation de ses adhérents décidera de la position définitive de notre parti.

Jean-Jacques Chavigné


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