Au prétexte de la liberté, le financement du privé organise un privilège de classe

jeudi 8 février 2024.
 

L’impudence avec laquelle la ministre enchaîne les mensonges a de quoi nous outrer… mais c’est le système entier qu’elle défend et dont elle bénéficie qui repose sur des dissimulations, des tromperies, des impostures.

Amélie Oudéa-Castera incarne avec une telle évidence l’arrogance des élites bourgeoises et de leurs stratégies dominatrices que nous pourrions facilement en faire la cible unique de nos propos. Mais nous oublierions alors que le dédain de ses déclarations et l’égoïsme de ses pratiques ne sont que l’exemple, cette fois-ci rendu visible, d’un système qui a su se faire discret mais dont les scandaleuses faveurs bénéficient largement à une minorité de privilégiés. L’impudence avec laquelle la ministre enchaîne les mensonges a de quoi nous outrer… mais c’est le système entier qu’elle défend et dont elle bénéficie qui repose sur des dissimulations, des tromperies, des impostures.

Imposture sur le principe même de la liberté de l’enseignement… La raison fondamentale de la liberté de l’enseignement est la liberté de conscience. Or le paradoxe est que, pour une part d’entre elles, les écoles privées qui revendiquent cette liberté, le font dans des perspectives d’endoctrinement, de prosélytisme intempestif et de prescriptions morales menaçant la légalité des droits. On le voit à Stanislas, quand les limites sont des plus floues entre l’expression des principes de la morale catholique et l’homophobie.

Ce fondement de la liberté de l’enseignement sur la liberté de conscience se traduit légalement, pour les écoles sous contrat, par le fait que les élèves ne peuvent être contraints à l’instruction religieuse. Or ce principe est trop souvent bafoué, parfois purement et simplement, parfois par l’organisation même des emplois du temps qui incitent lourdement à la présence de tous, parfois par l’organisation d’événements qui s’imposent à l’ensemble des élèves.

Et si la reconnaissance du « caractère propre » de l’enseignement privé lui donne une latitude, elle ne peut justifier l’enseignement d’un dogme à l’exclusion de toute autre opinion ou croyance. Or, des informations parviennent régulièrement, parfois suite à une indiscrétion sur un rapport, à une enquête rendue publique ou à un fait divers, qui témoignent de l’insuffisance du contrôle de l’État sur ces questions. Les personnels d’inspection le savent quand, suite aux opérations de contrôle de conformité qu’ils conduisent, leurs rapports alertent les directeurs académiques et les recteurs mais ne sont pas suivis d’effets. Même en cas de non-respect de ce qui constitue la base la plus élémentaire du contrat, le respect des programmes et des horaires, bien des rapports restent lettre morte ou ne donnent lieu qu’à des préconisations peu contraignantes.

Imposture sur la motivation réelle du choix du privé.

Dans une enquête sociologique réalisée en 2000[1], la motivation religieuse apparaît comme clairement mineure dans le choix des parents. Là encore alors que la liberté de l’enseignement est motivée par la liberté de conscience, ce sont d’autres motifs qu’expriment les familles pour justifier leur choix du privé : la compétence des enseignants et la garantie de réussite des élèves, c’est-à-dire le « rendement scolaire ».

Mais évidemment là aussi, il y a tromperie. Car les travaux de recherche montrent clairement que les meilleurs résultats du privé sont dus à la sélection des élèves et non à la qualité de l’enseignement. Les études sont nombreuses qui montrent que pour un élève donné, la fréquentation de l’école privée ne produit aucun écart significatif améliorant sa réussite scolaire[2]. Et l’affichage des résultats aux examens qui constituerait un argument de preuve n’est que le témoignage de ce tri.

Imposture sur l’intérêt général…

La loi permet aussi une duperie sur l’usage des financements publics permettant de financer de manière privilégiée des groupes sociaux en leur offrant des contextes d’enseignement favorisés. N’étant pas soumis au principe de la sectorisation scolaire, l’enseignement privé n’a ni envie, ni intérêt à mixifier sa population. Cela pose deux problèmes.

Tout d’abord celui de pouvoir bénéficier des mêmes moyens que ceux des écoles publiques confrontées aux difficultés de l’hétérogénéité alors qu’on a au contraire fabriqué la plus grande homogénéité.

Ensuite de contribuer, en recrutant les meilleurs élèves, à réduire la mixité sociale des écoles publiques et donc à augmenter encore leurs difficultés dans un contexte de dépenses constantes.

Le principe du subventionnement d’un enseignement privé socialement homogène constitue donc une source d’inégalités, défavorable à l’intérêt général.

Des conflits insolubles en matière de morale sexuelle…

Pour les écoles sous contrat, l’obtention du financement suppose que l’enseignement soit dispensé selon les règles et programmes de l’enseignement public. Or bien des établissements privés traditionnalistes, quelle que soit la religion dont ils se réclament, sont dans un conflit irrésoluble : avortement, homosexualité, liberté sexuelle et parfois droits des femmes. Ils n’ont nullement l’intention de renoncer à leurs principes y compris pendant le temps d’enseignement sous contrat puisque c’est une raison majeure de leur existence.

C’est le principe même de la loi Debré qui conduit à la duperie puisqu’on imagine mal que dans un lycée, on enseigne à la fois l’interdit moral de l’avortement pendant l’instruction religieuse et qu’on puisse donner toutes les informations permettant d’y recourir en cours d’éducation sexuelle.

Les lois Ferry, tout en reconnaissant, de fait, la liberté d’enseigner avaient eu la sagesse de ne pas subventionner l’école privée. La Quatrième république, après la rupture de cet équilibre par le gouvernement de Vichy, a été incapable de retrouver un accord politique permettant le retour à la situation ante. Au contraire, les concessions successives en faveur de l’enseignement privé, des lois Marie et Barangé à la loi Blanquer ouvrant le financement des écoles maternelles privées, ont installé un système dont les motivations restent et resteront mensongères puisqu’au nom de la liberté de conscience, elles organisent en fait un privilège de classe.

Paul DEVIN

Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l’Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l’Institut de Recherches de la FSU

[1] Alain LEGER, On le met dans le privé ? Les raisons du choix des familles, dans L’enseignement privé en Europe, Documents de la MRSH, Caen, n°13, avril 2001, p.141-162

[2] Par exemple : Denis FOUGERE, Olivier MONSO, Audrey RAIN, Qui choisit l’école privée et pour quels résultats scolaires ? Education et formations, n°95, décembre 2017, p59-85


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