Derrière la colère des agriculteurs, la petite musique de la convergence des luttes

jeudi 1er février 2024.
 

Les syndicats les plus radicaux comme la CGT et Solidaires rejoignent la cause en faisant le lien entre la situation du monde social et la colère agricole. Une esquisse de convergence et une tentative de sortir du « match entre le gouvernement et la FNSEA ».

Et si c’était le grand soir ? Le moment où les syndicats, les organisations politiques et associatives viendraient grossir les rangs d’une mobilisation partie de la base est peut-être arrivé. Depuis une semaine, la colère des agriculteurs n’a fait que progresser. Partout en France, les blocages des autoroutes et les barrages des ronds-points se sont multipliés. D’autres secteurs pourraient même rejoindre le mouvement comme les pêcheurs qui se retrouvent dans les principales revendications du mouvement : une plus juste rémunération, des aides d’urgence et la critique de normes toujours plus nombreuses.

La situation bouscule les plans de Gabriel Attal et son gouvernement, sommés de répondre avec des annonces d’urgence promises ce vendredi 26 janvier après-midi. Pour les organisations de gauche, la situation est idéale pour entrer dans le jeu. Plus question de regarder de loin le mouvement prendre de l’ampleur. Solidaires est la première organisation syndicale à réagir, le 24 janvier. Dans un communiqué, l’organisation justifie son soutien en expliquant que cette « situation est la conséquence directe du modèle de développement ultralibéral mené par la France et l’Union européenne centré sur l’industrie agroalimentaire et la grande distribution qui dégagent de grosses marges et accentuent l’inflation ».

Simon Duteil, co-délégué général du syndicat, voit dans ce mouvement une opportunité d’imposer un autre agenda que celui imposé par les positions productivistes de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), le syndicat majoritaire dans le secteur. « Le problème, ce ne sont pas les normes environnementales. Ce ne sont pas non plus les méchants écologistes. C’est le système de production qui exploite les paysans, développe-t-il. Il faut rebattre les cartes sur la répartition des richesses. Donc il faut faire des liens, il faut discuter. Peut-être qu’il peut y avoir des jonctions. De la question des salaires découle quasiment tout le reste. »

Le problème, ce ne sont pas les normes environnementales. C’est le système de production qui exploite les paysans.

S. Duteil

Le 25 janvier au matin, c’est au tour de la CGT de publier un communiqué appelant ses militants à « aller rencontrer » les agriculteurs mobilisés. « Comme les travailleuses et les travailleurs, notamment agricoles, de plus en plus de paysans ne vivent plus de leur travail. Dans le même temps, les prix de l’alimentation explosent et de plus en plus de salariés sont en difficulté pour manger correctement », écrit la confédération, qui fait le lien entre le contexte social du pays et la colère du monde agricole.

Une convergence des luttes est-elle en train de se créer ? « Nous voulons l’élargissement de la mobilisation. Les agriculteurs demandent l’augmentation des salaires et alertent sur leurs conditions de travail. Ils connaissent des situations que subissent beaucoup de travailleurs dans le pays. Les agriculteurs voient aussi les milliards d’euros accordés aux entreprises du CAC 40 alors qu’ils n’arrivent pas à manger et se loger correctement », soutient Nathalie Bazire, secrétaire confédérale du deuxième syndicat français.

Converger, oui, mais…

Mais il n’est pas non plus question de converger avec la FNSEA. « Ce n’est pas notre ami. C’est un lobby patronal qui est responsable de la situation dans laquelle se trouvent les agriculteurs aujourd’hui. On soutient la ligne de la Confédération paysanne. On ne défend pas tous les discours », clarifie Simon Duteil qui rappelle que Solidaires fait partie de l’Alliance écologique et sociale réunissant notamment Les amis de la Terre, Attac, Oxfam et la Confédération paysanne, ce syndicat de gauche, minoritaire, qui défend l’agroécologie. De leur côté, les cégétistes indiquent avoir pris contact avec la Confédération paysanne et le Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), une autre organisation classée à gauche. « Leurs revendications se rapprochent des nôtres, la jonction est logique », assure Nathalie Bazire de la CGT.

Certains estiment aussi que le soutien de ces deux syndicats pourrait donner plus de poids aux organisations de gauche dans un secteur dominé par la FNSEA qui s’est imposé comme l’interlocuteur privilégié du gouvernement. « Aujourd’hui, il y a un match entre le gouvernement et la FNSEA. Est-ce que ça va calmer cette colère ? Pas sûr. Donc il faut sortir de cette opposition et soutenir des revendications de gauche », répond Simon Duteil.

L’arrivée des centrales dans la lutte n’est pas vue d’un bon œil par la FNSEA qui tente de rattraper une mobilisation partie de la base. « On ne veut pas de récupération politique et syndicale », défend Rémi Rossi, membre des Jeunes agriculteurs (JA), la branche jeunesse de la FNSEA, en paraphrasant Arnaud Rousseau, patron de cette dernière organisation, qui souhaite que « chacun mène ses combats » sur BFM TV le 25 janvier. Plus timides, la CFDT et Force ouvrière (FO) ne sont pas allés aussi loin. La première organisation de France n’a eu aucune réaction au niveau national. Sur Franceinfo le 22 janvier, Marilyse Léon, secrétaire générale de la CFDT, a toutefois expliqué comprendre « leur désarroi face à un certain nombre d’éléments auxquels ils doivent faire face ».

Les étudiants prêts à soutenir le mouvement

Du côté de FO, l’organisation dit soutenir cette mobilisation « contre les politiques agricoles nationales et européennes qui créent les conditions d’une concurrence déloyale » dans un communiqué publié le 25 janvier au soir. Au sein de cette centrale, on préfère prendre des précautions avant de s’engager plus franchement dans le mouvement. « On soutient tous les travailleurs, donc nous devions soutenir cette mobilisation. C’est notre rôle de le dire. Mais on ne pense pas en termes de convergence des luttes », précise une source.

Une convergence est possible avec les étudiants.

E. Schmitt

Eléonore Schmitt, porte-parole, suggère que son syndicat pourrait se rapprocher lui aussi de la Confédération paysanne. « Mieux vivre de son travail, c’est ce qu’on porte à gauche pour tous les agriculteurs. Et ce mouvement vise les lieux de pouvoir, comme les Gilets jaunes. Une convergence est possible avec les étudiants », croit-elle. De grands espoirs pour une mobilisation massive dans le pays ?


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