2007 : François Rebsamen avec Ségolène Royal contre le Parti Socialiste

dimanche 5 mai 2013.
 

Si vous voulez vérifier vos pressentiments sur les raisons pour lesquelles Ségolène Royal a perdu, lisez « de François à Ségolène » par François Rebsamen (entretiens avec Philippe Alexandre) chez Fayard, 321 pages, 19 eur 95 % du livre est consacré à raconter les susceptibilités, hésitations, des personnes entre Ségolène, François, Laurent, Dominique, Michel, Bernard, Jean-Louis, Julien... et François Rebsamen auto-mis en scène.

Toutes les anecdotes (le lancement, les hésitations entre elle et lui, Frangy, La Rochelle, la campagne de désignation interne, le Mjs, Jospin, Nolween, le Chili, la Chine, Israël, le « trou d’air », Villepinte, Besson, le « 282 », la Marseillaise, les Gracques, Rocard, Bayrou, Charléty, etc..) y sont.

On dirait que tous les auteurs se sentent obligés de les raconter, à tour de rôle. Dans ce 10 e livre comme dans les neuf premiers. Au moins, à la fin, il n’y aura plus grand chose à apprendre en matière d’anecdote, ils se confirment tous.

Comme dans les 9 premiers livres, il y a quelques phrases qui évoquent les 35 h, les retraites, le contenu social, le contenu du projet... Comme dans les 9 premiers livres ces quelques phrases sont l’objet de sous entendus implicites, de gêne au tournant, jamais d’un examen de fond. Ca fait même pas 5 % du livre.

Du coup, les bras nous en tombent : une des conclusions, rapides, certes, peu étayée (c’est le moins) de François Rebsamen c’est « la conclusion peut choquer, mais elle s’impose : il faudra sûrement travailler plus » (p. 307). Finalement avec un directeur de campagne en accord avec Sarkozy là dessus, il n’y avait aucune chance de gagner face à un candidat qui avait faite de « la liberté de travailler plus pour gagner plus » son slogan phare ! C’était foutu d’avance !

Rebsamen évoque trois ou quatre fois « les 35 h » mais pour conseiller à Ségolène de « dire non à leur généralisation » : cela ne lui semble pas bon. En gros, il lui propose implicitement de rompre avec toutes les résolutions des 5 derniers congrès du parti... (Liévin, Brest, Grenoble, Dijon, Le Mans) et du projet socialiste lui-même. Il cite des dizaines d’experts consultés par l’équipe de campagne et du projet : ils doivent pas être forts ces experts puisqu’aucun ne s’est aperçu que les 35 h étaient une loi qui s’appliquait à 100 % du salariat, et qu’elle etait déjà généralisée ! Ils ne savent pas répondre sur les heures supplémentaires, ils ne savent pas répondre sur la durée « légale » du travail, sur les autres durées maxima, sur la réalité de ce que vivent 22 millions de salariés actifs occupés... Conseiller cela à la candidate c’est la couler : les 40 h, 39 h, 35 h sont le symbole de la gauche et du socialisme...

Rebsamen, comme les autres auteurs, tourne autour du pot des retraites : ils font tous comme si cela n’avait pas été tranché, qu’on ne savait pas qu’il n’y avait pas de position du Ps. Alors il conseille à la candidate de dire « 40 ans pour tous public et privé » c’est à dire de devancer ce que fait Fillon. Par ailleurs Rebsamen explique que ce qui gênait la candidate c’est qu’elle était « liée par le projet ». Ce qui est un abus manifeste, car si elle s’était sentie liée par la projet, elle aurait défendu la retraite à 60 ans, elle était dedans !

Je me rappelle encore Pierre Mauroy, dés 2002, rappelant qu’il est hors de question d’abandonner la retraite à 60 ans, c’était une conquête des socialistes.

Là, le directeur de campagne conseille à la candidate de trahir les positions du parti : il doit ignorer que dans la vie réelle, les Français travaille 37 annuités en moyenne et que leur proposer 40 annuités, c’est les faire « sauter à la perche sans perche », c’est à dire que c’est une sale manoeuvre pour baisser le taux de leurs retraites.

Lorsque Villepin a fait voter en avril 2006 qu’il y aurait des contrats « dernière embauche » (2 CCD de 18 mois pour les seniors entre 57 et 60 ans), un an après, dans toute la France, il y a 40 contrats de ce type !

De toute façon, Rebsamen ne connaît pas le salariat : il croit qu’il est éclaté, transformé de manière radicale. Il ignore que le salariat n’a jamais été aussi fort, 91 % de la population active, qu’il est « compacté », en salaire, en conditions de travail, en droits, 97 % de CDI entre 29 et 55 ans, durée du CDI allongé depuis 20 ans, ces gens ne font pas d’étude, ils se nourrissent de préjugés piqués dans la presse vulgarisée...etc.

Rebsamen conseille aussi à sa candidate de ne pas défendre les 1500 euros (il ne sait pas si c’est en net ou en brut, ni quand... ni pour qui, il croit que ca fait peur aux salariés qui craignent que leurs patrons ne soit obligés de fermer... argument de l’UMP...)

A part ça, Rebsamen pense qu’une élection présidentielle se gagne sur quelques mesures sociales phares... « deux trois idées fortes » (p.136) mais il ne dit jamais lesquelles. Il a oublié que Jospin avait gagné entre le 27 avril 1997 et le 1er juin sur « les 35 h sans perte de salaire ».

Et puis quand on fait l’inventaire du livre, le directeur de campagne est pour tout ce qu’il y a de pire dans ce qu’a dit la candidate :

Il est contre abroger toutes les mesures de la droite (bien que, page 150, il décrit la droite comme abrogeant tout ce que fait la gauche, en 1986, 1993, 2002...)

Il polémique avec François Hollande à cause de son article sur les impôts en janvier, mais il est incapable de dénoncer la droite qui « s’attaque aux impôts justes et maintient les impôts injustes ». D’ailleurs la candidat ne dira jamais rien sur la révolution fiscale nécessaire.

Il couvre la candidate sur les profs à 35 h, sur la carte scolaire, sur l’encadrement militaire pour les jeunes dans des centres fermés, il va même jusqu’à proposer lui-même d’enfermer 40 à 50 000 jeunes, au passage (il a y déjà 10 000 prisonniers de plus avec Sarkozy, rappelons qu’au total cela fait 61 000, lui Rebsamen propose d’enfermer le double de la population et dans la jeunesse ! )

Avec un directeur de campagne aussi « gauche » (il condamne le PC, Emmannuelli, l’extréme gauche, il ne dit pas un mot sur les syndicats, etc.) Ségolène Royal n’avait pas de souci a se faire, elle était sûre du côté ou elle allait tomber...(Protége moi des éléphants, j’écoute celui qui m’est le plus proche..)

Il y a chez Rebsamen un ton d’évidence révisionniste sur la société française, sur le salariat, sur les droits sociaux, qui offre en guise de « refondation, rénovation, reconstruction, etc. » un horizon désert et morne.

Si les socialistes le suivent, ils sont « morts » en effet, même sans changer de nom. Il ne rate aucun cliché dans son livre, y compris sur "l’individualisme" (p 152) , le « donnant-donnant, l’assistanat. Il est évidemment pour l’alliance avec le centre UDF, et pousse même la candidate à aller plus loin que ce qu’elle propose à Bayrou (Premier ministre).

Il raye la gauche d’un chiffre : 38 %. Comme si...

Il ne parle que par la loi des sondages pour écarter Laurent Fabius, et l’accuse de « gauchisme » parce qu’il était pour le « non » (55 % de gauchisme en France le 29 mai ? Non, il y a eu 75 % de la gauche, 59 % de l’électorat socialiste, 75 % des ouvriers et 63 % des employés, des jeunes, de toutes les catégories sauf le haut des cadres).

Il tacle Jospin et Fabius chaque fois qu’il peut, il est contre la proportionnelle dans le parti, il voulait plus de sanction contre Fabius et Melenchon, il méprise les petits courants de pensée, etc.

Ah ! détail, page 125, il y a un passage ambigu ou l’on se demande si cela n’a pas été une mauvaise chose que l’on ait gagné contre le CPE de janvier à mars 2007 (car cela a éliminé Villepin et la division de la droite...) (Menucci écrit a peu prés la même chose, p. 75 de son livre « ma candidate » chez Albin Michel, « lors de la crise du CPE, la gauche a rendu un vrai service à Sarkozy » (sic).

Jamais Rebsamen ne mentionne les grands mouvements pour les retraites de 2003 : il mentionne que le Ps remporte de grandes victoire électorales en mars et juin 2004 mais semble ne pas comprendre que cela vient du rejet de la loi Fillon.

Ouf, on espère que le livre de Jean-Louis Bianco s’il en ecrit un, nous indiquera que les deux directeurs de campagne ne tiraient pas à 100 % la candidate dans le mauvais sens. Parce que si la plupart des livres, mettent sur le compte des « éléphants » et du « projet » l’échec de Ségolène Royal, là on a une source plus proche, plus authentique encore des causes politiques de l’échec : François Rebsamen.

Gérard Filoche


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