Nouveauté : Marx le sortant. Une pensée en excès ?

jeudi 20 décembre 2007.
 

Pour Gérard Bensussan, l’intuition de Marx ne réside pas dans l’élaboration savante de l’utopie mais dans la redécouverte de l’événement historique.

Marx le sortant. Une pensée en excès ? par Gérard Bensussan,

Éditions Hermann, 2007, 190 pages, 26 euros.

Gérard Bensussan, plus de vingt après avoir codirigé avec Georges Labica le Dictionnaire critique du marxisme (PUF), revient vers Marx. S’étant orienté entre-temps vers la philosophie juive allemande et Schelling, grand adversaire de Hegel, l’auteur engage une explication sérieuse avec Marx en se centrant sur la question de la philosophie. Il s’agit de réveiller une interrogation qui ne relève pas des marxismes du XXe siècle. Les trois thèses de l’ouvrage prennent pour objet les concepts essentiels d’aliénation, de contradiction et de révolution. Elles soutiennent un projet de déconstruction d’un certain rationalisme dialectique de marque hégélienne et feurbachienne, présent à des degrés divers chez Marx. L’aliénation est donc analysée comme une catégorie dominante jusqu’à l’Idéologie allemande (1845), mais récessive après, et dépourvue de plus en plus de portée analytique par la suite. Bensussan considère que la perspective d’une objectivation des forces humaines en des puissances étrangères qui dominent les hommes fait pencher la pensée de Marx dans le sens d’une nouvelle spéculation. Même humaniste, elle repose sur des garanties que nulle philosophie de l’histoire ne peut plus donner. Marx doit être repensé à partir de sa critique de l’économie politique et de sa puissance démystificatrice.

Au sujet de la contradiction, Bensussan s’écarte de la dialectique en tant que telle et remet en cause l’idée même de contradiction réelle. Pour lui, cette contradiction ne relève que du discours et ne peut valoir qu’entre des propositions dont l’une vraie exclut l’autre. La réalité physique et historique connaît des oppositions réelles, pas des contradictions. L’idée de logique de l’histoire préjuge de la rationalité du réel. L’auteur entend redécouvrir, à l’appui notamment de Kant et Schelling, le caractère alogique, voire irrationnel du réel que Marx aurait aperçu comme penseur du mal historique, de l’exploitation du travail et de la domination du monde par le Moloch capitaliste. Marx pense l’excès, impensable par la philosophie, que constitue l’extraction de la survaleur dans le surtravail et qui excède même la soumission exercée par le capital. Enfin, Bensussan remet en cause la pensée de la révolution comme résultant de ce qu’Engels a nommé la « nécessité de la liberté ». Se reliant à la fois à Walter Benjamin et une certaine eschatologie juive, il congédie l’idée d’un processus produisant en sa nécessité sociohistorique la possibilité réelle de la liberté communiste.

À l’utopie, il préfère l’excès de l’événement révolutionnaire inespéré. La catégorie de révolution doit être pensée sur le mode d’un surgissement de l’impossible, qui relève d’une logique de juxtaposition et ne continue pas le mouvement des rapports sociaux. La révolution est une invention, une synthèse sans concept qui se met à occuper toute la situation.

Enfin, la partie constructive de l’ouvrage entend repenser le mouvement théorique du capital au sein d’une analytique des formes qui reformule les premiers chapitres du Livre I du Capital et a pour terme provisoire ( ?) la mise en évidence de la force de travail et de la production de la survaleur, source de l’excès et butée du réel. Il faut se défaire de la tentation métaphysique d’ordonner les concepts de valeur, d’argent et de capital en une série dialectique. La construction marxienne opère par sauts et métamorphoses. Marx sortant est un ouvrage important. Il doit beaucoup au romantisme métaphysique et à la mystique négative juive, dans sa déconstruction du rationalisme dialectique. Les questions posées sont essentielles et mériteraient un long examen, notamment la question de la contradiction, trop vite réglée, ou encore la thèse énonçant la dimension « impolitique » de la révolution. Gérard Bensussan a l’immense mérite de nous offrir une heureuse considération intempestive, aussi originale que méditée.

André Tosel, philosophe


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