Le nouveau traité de l’Union européenne : c’est non ! (par Aurélie Trouvé, Claude Debons , Pierre Khalfa , Roger Martelli , Yves Salesse )

lundi 17 décembre 2007.
 

par Claude DEBONS ex-animateur du Collectif du 29 mai, Pierre KHALFA secrétaire national de l’Union syndicale Solidaires, Roger MARTELLI coprésident de la fondation Copernic, Yves SALESSE initiateur de l’appel des 200 contre le TCE et Aurélie TROUVÉ coprésidente d’Attac.

Un nouveau traité de l’Union européenne, dit « modificatif », vient d’être adopté par le Conseil européen. Comprenant plusieurs centaines de pages, avec protocoles et projets de déclarations, il n’a rien du « traité simplifié » promis par Nicolas Sarkozy. Il n’est pas plus un « mini-traité » limité aux questions institutionnelles. Comme l’a dit crûment Valéry Giscard d’Estaing devant la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, le 17 juillet, « les gouvernements européens se sont ainsi mis d’accord sur des changements cosmétiques à la Constitution pour qu’elle soit plus facile à avaler ». Sans surprise donc, ce nouveau traité ne fait que transférer dans les traités actuels le contenu du traité constitutionnel européen (TCE). Bien entendu, les raisons qui ont justifié le refus des citoyens demeurent.

Le droit de la concurrence reste le droit organisateur de l’Union qui réduit la plupart du temps les autres textes européens à des déclarations d’intention sans portée opérationnelle pratique, et ce malgré le fait que Nicolas Sarkozy ait obtenu que l’expression « concurrence libre et non faussée » n’apparaisse pas comme un objectif de l’Union. En effet, le principe de concurrence reste présent dans nombre d’articles des traités. Citons par exemple l’article 105 du projet de traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui affirme « le principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». De plus, pour éviter toute fausse interprétation, et sur exigence du Royaume-Uni, le protocole n° 6 indique : « Le marché intérieur tel qu’il est défini à l’article [I-3] du traité sur l’Union européenne comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée. » C’est ainsi que la concurrence non faussée est réintroduite.

Statut et missions de la Banque centrale européenne (BCE) inchangés, services publics toujours soumis aux règles de la concurrence, libre-échange généralisé comme seul objectif de la politique commerciale, politique industrielle réduite à l’application du droit de la concurrence, etc. On pourrait allonger la liste. Ce nouveau traité est marqué de bout en bout par le néolibéralisme.

La charte des droits fondamentaux sera « juridiquement contraignante ». Tout le problème est de savoir jusqu’à quel point. En effet, les droits sociaux qui y sont contenus sont de très faible portée. Par exemple, le droit au travail et à l’emploi n’existe pas, et seul apparaît le « droit de travailler ». Mais surtout, pour l’essentiel, l’application des droits contenus dans cette charte est renvoyée aux « pratiques et législations nationales ». Cette charte ne crée donc pas fondamentalement de droit social européen susceptible de rééquilibrer le droit de la concurrence, qui restera dominant à l’échelle européenne. Malgré toutes ces précautions, ce texte est encore de trop pour certains gouvernements. Le Royaume-Uni et la Pologne ont obtenu d’en être dispensés. Ainsi les droits sociaux au niveau européen, même réduits à la portion congrue, ne sont pas obligatoires au même titre que les règles du marché intérieur. Le social est en option, et la concurrence obligatoire. C’est l’officialisation du dumping social. Le nouveau traité subordonne la défense européenne à l’Otan et promeut le militarisme puisque « les Etats membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires ». Ce doit être d’ailleurs le seul endroit où le traité encourage les Etats à augmenter leurs dépenses publiques ! Enfin, le fonctionnement de l’Union, profondément non démocratique, fondé sur l’opacité des négociations institutionnelles, subsiste, et la BCE reste indépendante de tout contrôle du politique. Ainsi donc, le contenu du traité est inacceptable. Mais la méthode l’est tout autant. Le Conseil européen de juin dernier a donné un mandat pour la rédaction d’un nouveau traité, achevé un mois plus tard. Il a été approuvé deux mois après sans aucun débat public. L’élaboration du traité s’est donc faite avec un calendrier extrêmement serré et à huis clos entre représentants des gouvernements. Quant à la ratification, elle doit être effectuée par voie parlementaire dans la plupart des pays. Nicolas Sarkozy a même indiqué qu’elle aurait lieu en France au mois de décembre, c’est-à-dire tout de suite après le Conseil européen du 13 décembre qui doit voir le traité signé.

De cette façon, il s’agit d’empêcher toute possibilité de débat public, en particulier à l’occasion des élections européennes de 2009, qui auraient pu être un grand moment de débat sur l’avenir de l’Union et être ainsi une étape clé dans l’élaboration d’un nouveau traité. Le double non français et néerlandais au TCE a à ce point effrayé les dirigeants européens qu’ils ne veulent plus prendre le moindre risque : tout devait être fait pour prendre de vitesse une éventuelle réaction citoyenne. Karel de Gucht, ministre belge des Affaires étrangères, résume bien leur état d’esprit : « Le but du traité constitutionnel était d’être plus lisible... Le but de ce traité est d’être illisible... La Constitution voulait être claire, alors que ce traité devait être obscur. C’est un succès » (Flandre info, 23 juin 2007). Les gouvernements et les institutions de l’Union semblent avoir fait leur deuil d’une adhésion populaire à la construction européenne.

Nous pensons au contraire que l’avenir de l’Europe exige le débat public le plus large pour impliquer les citoyens. C’est parce que nous sommes favorables à une Europe démocratique, garantissant des droits sociaux de haut niveau pour tous ses habitants, une Europe solidaire des peuples du monde, que la méthode employée pour imposer ce nouveau traité nous paraît détestable.

C’est pourquoi il est nécessaire que la ratification soit soumise à référendum dans tous les pays, renforçant par là même la constitution d’un espace public européen. En France, le peuple s’est prononcé contre le TCE. La ratification du nouveau traité, qui reprend l’essentiel de celui-ci, ne saurait se dispenser d’un nouveau vote des citoyens. Tous les démocrates, quelle que soit leur opinion sur ce nouveau traité, doivent l’exiger.

Tribune publiée dans Libération du 13 décembre 2007


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