La crise financière relance l’activisme des fonds (Le Monde)

vendredi 28 décembre 2007.
 

L’année 2007 n’aura pas été seulement perturbée, sur les marchés boursiers, par la crise des subprimes. Elle l’aura aussi été par le rôle croissant des fonds dits "activistes".

Ces financiers, qui appartiennent la plupart du temps à la catégorie des fonds spéculatifs (hedge funds) cherchent, en rachetant une part minime du capital d’une société cotée (souvent moins de 10 %), à en modifier la stratégie. Pour imposer leurs vues, ils n’hésitent pas à provoquer publiquement la direction du groupe (courrier, déclaration dans la presse...) afin de mobiliser derrière eux d’autres actionnaires. Leur objectif ? Doper rapidement les performances boursières de l’entreprise jugée "endormie", afin de revendre leur part avec une confortable plus-value.

Tout récemment, ces fonds se sont invités au capital des plus grands groupes cotés. En décembre, deux fonds spéculatifs américains, Jana Partners et DE Shaw Group, ont racheté 1,6 % du géant néerlandais de l’électronique Philips pour "discuter avec la direction", expliquent-ils dans un euphémisme.

Quelques jours plus tard, le suédois Cevian révélait qu’il avait pris près de 3 % du réassureur Munich Re et faisait pression sur la direction. Depuis octobre, le fonds britannique Algebris sème le désordre chez l’assureur italien Generali en attaquant directement son président, Antoine Bernheim, dénonçant à la fois sa rémunération et son âge (83 ans).

Plus tôt dans l’année, les fonds activistes s’étaient déjà manifestés. En mai, TCI (The Children’s Investment Fund) avait fait sensation en forçant la banque néerlandaise ABN Amro au démantèlement. Et ce fonds s’était illustré, deux ans plus tôt, accompagné d’un autre compère, Atticus, en déstabilisant l’opérateur de la Bourse allemande, la Deutsche Börse, au point de pousser à la démission son patron de l’époque, Werner Seifert.

S’il n’est pas nouveau, le recours à l’activisme s’est toutefois accru ces derniers mois. Pour les analystes, la crise financière qui sévit depuis cet été n’est pas étrangère au phénomène. A cause d’elle, "l’activisme devient un thème majeur", estime Alain Bokobza, à la Société générale. Ces fonds contribuent régulièrement à animer la cote.

L’annonce de l’arrivée d’un de ces trublions dans une entreprise suffit généralement à doper son cours de Bourse, à l’instar de ceux de Philips et de Munich Re en hausse tous deux de plus de 6 % depuis début décembre.

En outre, la crise oblige certains fonds jusqu’ici non activistes à repenser leur stratégie. En particulier, les spécialistes du rachat d’entreprises avec un fort recours à l’emprunt.

Pour eux, la crise a tout changé. Les montages financiers dits de "LBO" (Leverage Buy Out, rachat "par effet de levier") qu’ils utilisaient ont été très profitables tant que les taux d’intérêts étaient faibles. Le coût de remboursement de la dette contractée était alors minime et le rendement de leurs opérations maximal. Mais la crise a paralysé une partie du marché du crédit, et a renchéri le coût de l’emprunt.

Résultat, " ces fonds se redéfinissent, constate Yves Ayache, de la banque d’affaires Morgan Stanley, et certains optent pour des stratégies qui convergent avec celles des fonds activistes". Depuis octobre, la société d’investissements Wendel, pourtant peu habituée à faire "des coups" en Bourse, a ainsi surpris en prenant une part minoritaire de 17,8 % au capital du groupe de matériaux de construction Saint-Gobain et en cherchant à influer sur la stratégie. "Son attitude est très bizarre, Wendel se comporte comme un "hedge fund" !", s’étonne Patrick Artus, responsable de la recherche chez Natixis.

Mais Wendel n’est ni le seul ni le premier. Dès 2006, l’américain Blackstone a pris 4,5 % du capital du groupe allemand Deutsche Telekom ainsi qu’un siège au conseil d’administration. Son compatriote Pardus, lui, se fait entendre depuis mai chez l’équipementier Valeo, avec un peu plus de 16 % du capital.

A la frontière entre de traditionnels fonds d’investissements et des hedge funds activistes, ces acteurs s’avèrent toutefois moins agressifs ou revendicatifs. Wendel assure être en bonne entente avec Saint-Gobain et Pardus se dit "heureux" des choix de Thierry Morin, le PDG de Valeo.

Les patrons d’entreprise ont néanmoins des raisons de trembler. Pour M. Bokobza, les grandes capitalisations seront en 2008 les cibles privilégiées d’activistes. Et la France, jusqu’ici relativement épargnée, n’a, selon M. Ayache, "plus de raison d’être protégée". De fait, l’éventuelle parade réglementaire semble délicate. Si l’Autorité des marchés financiers (AMF) mène une réflexion pour éviter les abus, "ces fonds permettent parfois de secouer un management trop paisible", estime son président, Michel Prada. "Le régulateur encourage l’actionnaire à jouer son rôle. Cela fait partie de la démocratie actionnariale", ajoute-t-il.

L’activisme, s’il est trop conflictuel, peut toutefois pécher par son manque d’efficacité. Et selon M. Artus, à long terme, la rentabilité de ce "modèle d’arrogance" n’est pas démontrée.

Claire Gatinois Article paru dans l’édition du 28.12.07


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