Quel avenir pour ATTAC ? (texte de Pierre Khalfa...)

lundi 12 juin 2006.
 

Le texte de Jacques Nikonoff « La crise d’Attac et les enjeux des assemblées générales des 17 et 18 juin 2006 » a un grand mérite. Il pose la question de l’avenir politique de notre association et fait le lien explicite entre celui-ci et la nature de la direction à mettre en place. Il présente effectivement deux conceptions de l’avenir d’Attac, renvoyant à des pratiques de direction différentes. S’il n’est pas le seul à développer ce type d’idées, son texte présente l’avantage de les condenser. C’est donc à lui que nous répondrons. Il y a cependant aussi plusieurs visions de ce que représente aujourd’hui Attac et sur ce qui a permis le développement de son influence. Avant de développer ces points, il faut revenir sur la genèse de la crise actuelle.

Quelle crise ?

Pour Jacques Nikonoff, la crise éclate après le TCE au sein du collège des fondateurs suite à la lettre des trois vice-présidents. Crise incompréhensible après une victoire si éclatante qu’elle aurait dû amener toute l’association à faire corps derrière une direction dont l’orientation venait d’être ainsi légitimée. La réalité est tout autre. La lutte contre le TCE a été l’occasion d’un affrontement violent sur le type de campagne à mener. D’un côté, Jacques Nikonoff et ses amis plaidaient pour une campagne d’Attac totalement indépendante, de l’autre une majorité du CA, fondateurs et actifs, pensait qu’il était indispensable qu’Attac, au-delà de son activité propre, participe à la campagne unitaire, dont la dynamique était une des conditions de la victoire. Si la plupart des comités locaux se sont insérés dans la dynamique unitaire, il a été impossible d’obtenir un consensus pour qu’Attac intègre le cadre unitaire national. Pire, il a fallu durement insister pour qu’Attac participe à l’initiative unitaire parisienne du 21 mai, dont Jacques Nikonoff et ses amis pensaient qu’elle ne devait pas voir le jour.

Cette divergence sur le type de campagne à mener s’est accompagnée de pratiques de direction pour le moins problématiques. Ainsi sans en référer au Bureau, ni au CA, Jacques Nikonoff avait établi une très courte liste de personnes autorisées à intervenir dans les comités locaux. Le pot aux roses a été découvert quand un comité local s’est plaint publiquement que le siège lui avait refusé un intervenant, toutes les personnes de cette liste étant évidemment prises. Il a fallu plus de deux heures de discussion au CA d’avril pour que la liste des intervenants soit élargie à toutes les compétences. Cette anecdote, qui aurait pu avoir des conséquences graves sur la campagne référendaire, confirme les propos contenus dans la lettre des trois vice-présidents et corroborés par ailleurs par des témoignages d’élus actifs.

En fait, la crise actuelle a mûri progressivement. Elle apparaît au sein du Bureau avec les premières mises à l’écart de personnes jugées « dérangeantes » (Laurent Jésover, Pierre Tartakowsky). Elle rebondit au moment du G8 à Evian à la fin mai 2003 avec les multiples entraves à l’activité des représentants d’Attac au sein de la coordination unitaire (Christophe Aguiton, Isabelle Bourboulon, Julien Lusson). Mais, comme l’explique Susan dans sa lettre, elle connaît un tournant en août 2003 avec le point de vue de Jacques Nikonoff dans Libération après le Larzac, suivi tout de suite après d’une interview dans le Monde, ses propos étant corroborés un peu plus tard par Bernard Cassen dans une interview au Figaro. Au-delà même de leur contenu qui attaquait frontalement des composantes du mouvement social, particulièrement la Confédération paysanne, qui plus est par voie de presse, ce qui choque ici est le contournement du débat normal dans notre association pour essayer d’imposer une nouvelle orientation sans discussion. Cette crise rebondit avec l’affaire des listes 100 % Alter.

Contrairement à la version édulcorée qu’en donne Jacques Nikonoff, cette affaire n’aurait pas pris l’importance qu’elle a eu si lui-même et Bernard Cassen n’avaient pas tenté d’instrumentaliser notre association au profit d’une opération politique douteuse. Le Bureau a découvert, éberlué, les coups de téléphone à des responsables locaux connus d’Attac pour leur demander d’être sur ces listes, l’insistance auprès de José Bové pour qu’il prenne la tête d’un comité de soutien, le logo des listes similaires à celui d’Attac... Il a fallu un mois de très fortes tensions pour que Jacques Nikonoff et Bernard Cassen acceptent au CA une résolution indiquant que ces listes constituaient un danger pour l’identité d’Attac. Si une telle déclaration avait été adoptée lors de la première réunion de Bureau qui avait discuté de cette affaire, elle aurait eu une vertu apaisante et tout ce serait arrêté là. Jacques Nikonoff, Bernard Cassen et leurs amis s’y sont refusés. C’est d’ailleurs à partir de ce moment que, constatant que les fondateurs ne les avaient pas suivis, les attaques contre ceux-ci ont commencé.

C’est suite à cet épisode que la "lettre des 25", signée par une majorité de membres actifs et de membres fondateurs du CA, a été rendue publique et qu’un débat sur ces points a eu lieu lors de l’AG de décembre 2004. La crise actuelle est donc le produit de la convergence de deux aspects, d’une part des divergences politiques qui s’affirmaient peu à peu, comme l’indique justement Jacques Nikonoff, mais aussi de l’emploi de méthodes de direction qui, pratiquant en permanence le passage en force, empêchait leur résolution sereine, ce que Jacques Nikonoff continue de nier.

L’originalité d’Attac

Attac est une construction originale. C’est d’abord une association d’adhérents individuels dont la grande majorité se contente, on peut le regretter même si ce n’est déjà pas si mal, de la soutenir financièrement. Une partie des adhérents est regroupée en comités locaux, qui sont souvent eux-mêmes des associations, et qui permettent à Attac d’agir au contact des citoyens au plus près du terrain. C’est aussi une association faite d’organisations diverses, avec le collège des fondateurs, intervenant sur des terrains différents, mais d’accord pour agir ensemble contre la mondialisation néolibérale, permettant ainsi à Attac de puiser dans le vivier qu’elles représentent et de démultiplier l’impact de ses analyses. La force d’Attac, c’est la synergie entre toutes ses composantes, c’est ce qui a fait son succès et son caractère inédit. Attac est donc évidemment un lieu de convergences, pas un « simple » lieu de convergences sans existence propre comme le dit Jacques Nikonoff, qui prête à ses contradicteurs des propos qu’ils n’ont pas, mais un lieu de convergence où s’élabore une stratégie singulière qui dépasse celles de ses composantes.

La comparaison que fait Jacques Nikonoff entre Attac et les forums sociaux trouve là son fondement, à condition de comprendre qu’à la différence des forums, qui sont, pour le moment, essentiellement des espaces de débats, - même s’ils peuvent servir de points d’appui à la construction d’alternatives et de mobilisations citoyennes -, Attac est un mouvement. Un mouvement, certes particulier, mais un mouvement quand même, qui prend donc des décisions propres et qui est capable d’agir comme le montre son histoire. La charte des comités locaux parle à ce propos à juste titre de « mouvement Attac ». Loin de l’avoir paralysée, la configuration originelle et originale d’Attac lui a au contraire permis d’être particulièrement efficace. Certes il faudra encore améliorer dans l’avenir ces synergies, mais reconnaissons que ce que nous avons fait en la matière n’est pas négligeable.

Il n’y a donc là aucune « dilution » d’Attac, mais, au contraire, affirmation d’un projet inédit « d’association d’éducation populaire tournée vers l’action » dont les axes sont clairement identifiés depuis sa création : déconstruire l’idéologie néolibérale, élaborer des alternatives et construire les rapports de forces pour imposer des orientations nouvelles. Curieusement Jacques Nikonoff critique ces trois axes au prétexte que l’on trouverait des formulations similaires dans la Charte des forums sociaux de Porto Alegre. Le reproche en dit long sur sa volonté de gommer le plus possible toute référence au mouvement altermondialiste. Au-delà, il est dommage que ne soient pas avancées des critiques plus précises de ces fondamentaux d’Attac, confirmés par le texte d’orientations voté par les adhérents lors de l’AG de décembre sans que cela ne soulève d’ailleurs à l’époque la moindre objection.

Jacques Nikonoff donne l’exemple du TCE arguant que "la convergence entre ces organisations (les fondateurs), sur ce point particulier, avait atteint ses limites". Il s’appuie pour cela sur le fait que 4 fondateurs étaient pour le OUI et que seulement 11 avaient fait campagne pour le NON. Il "oublie" deux points. Le premier, c’est de rappeler que le CA unanime, actifs et fondateurs, s’était prononcé pour le NON. Le second, c’est que ces chiffres correspondent à peu près aux réponses des adhérents au référendum interne. Plus de 10 % des adhérents se sont prononcés pour le OUI, un peu plus donc que chez les fondateurs. Près de 60 % des adhérents n’ont pas répondu à ce référendum et ne se sont donc pas prononcés. Ces chiffres montrent que les fondateurs étaient au diapason des adhérents.

Remarquons que la France et l’Allemagne - Attac-Allemagne a une configuration similaire à la nôtre, sauf que l’association fonctionne collégialement sans président -, sont les deux seuls pays à avoir réussi à construire un dispositif de cette nature. Ce n’est sans doute pas un hasard si ce sont les pays qui ont les associations Attac les plus importantes. De ce point de vue, le projet de Jacques Nikonoff qui vise à réduire Attac à une simple association d’adhérents individuels, apparaît d’abord comme profondément appauvrissant. C’est un projet qui aura pour conséquence d’amputer Attac d’une partie de ce qui fait sa richesse et son succès et qui la privera d’une « force de frappe » non négligeable du point de vue de ses actions et de la diffusion de ses idées.

Mais vouloir faire d’Attac une simple association d’adhérents individuels a une autre conséquence que Jacques Nikonoff se garde bien d’indiquer. Attac se situe dans le champ politique sur le terrain de la lutte contre la mondialisation néolibérale. Or celle-ci touche, ou tend à toucher, tous les aspects de la vie sociale, remodelant et utilisant les anciennes discriminations et oppressions à son profit. C’est ce qui explique que le champ d’intervention d’Attac se soit petit à petit élargi considérablement. Quelle est, dans ce cadre, la différence avec un parti politique ? La réponse immédiate est qu’Attac ne présente pas de candidats aux élections. Mais pourquoi ? Parce qu’Attac est justement ce lieu de convergence entre des individus et des mouvements très divers sur le plan de leurs choix politiques électoraux. Le fait qu’Attac joue ce rôle indispensable l’empêche de se transformer en parti politique. La remise en cause de la nature d’Attac comme lieu de convergence ouvrira la porte, que ses partisans en aient conscience ou pas, à la mise en œuvre d’une logique de parti et à la transformation progressive de notre association en un nouveau parti, même si formellement l’appellation « association » est maintenue. Quelle place pour les fondateurs ?

Très rapidement après la naissance d’Attac, des membres fondateurs avaient indiqué que la place des fondateurs au sein du CA était disproportionnée et qu’il fallait donner plus de place en son sein aux représentants des adhérents directs et permettre aux comités locaux de jouer un rôle plus important dans l’association. A l’époque Bernard Cassen étant farouchement opposé à une quelconque réforme des statuts, nous avions « bricolé ». Cela avait permis des avancées substantielles comme la création de la CNCL lors de l’AG de Saint-Brieuc et l’intégration de six nouveaux membres actifs au CA, sans droit de vote pour respecter les statuts.

Il y a aujourd’hui, et c’est heureux, un consensus sur la réforme des statuts soumise au vote qui propose, en autres, un rééquilibrage important de la composition du CA qui comportera une majorité nette d’élus actifs. Le collège des fondateurs a d’ailleurs proposé que, quel que soit le résultat du vote sur les statuts, la future présidence et le futur Bureau soient élus sur la base de 24 membres actifs et 18 fondateurs avec une double majorité chez les actifs et chez les fondateurs. De plus, si le quorum pour la modification des statuts n’est pas atteint, il a été proposé, à de nombreuses reprises, qu’en cas de vote au CA, celui-ci se fasse avec les 24 élus actifs, quitte à vérifier ensuite le caractère statutaire du vote. Ainsi, dans tous les cas de figures, le fait que les actifs soient majoritaires sera pris en compte dans le fonctionnement du CA.

Jacques Nikonoff et ses amis veulent pourtant remettre fondamentalement en cause l’existence même d’un collège des fondateurs au sein d’Attac en voulant faire désigner les représentants des fondateurs au CA par les adhérents directs et en voulant faire passer la représentation des fondateurs d’une représentation d’organisations à une représentation d’individus. Si les fondateurs ne peuvent plus désigner leurs candidats au CA et si la présence d’organisations est réduite à une simple présence d’individus, c’est la construction originelle d’Attac qui s’effondre.

Au-delà des éléments avancés plus haut, l’existence du collège des fondateurs est justifiée par la diversité même de notre association. C’est parce qu’ils sont eux-mêmes très divers que les fondateurs peuvent être les garants de la pluralité d’Attac et empêcher ainsi la mainmise d’une sensibilité politique sur notre association. Garants de la diversité d’Attac, le collège des fondateurs l’est donc de son indépendance. En étant présent au CA et en désignant leurs candidats, les fondateurs jouent donc par là une fonction essentielle pour la vie d’Attac.

Les adhérents directs sont-ils dépossédés de leur pouvoir de décision ? Bien évidemment non, car ils élisent leurs représentants au CA, représentants qui devraient y être majoritaires, et ils élisent aussi la liste présentée par le collège des fondateurs. Une des meilleures preuves de la souveraineté des adhérents est le fait que Jacques Nikonoff puisse les appeler à rejeter cette liste. C’est donc bien, in fine, les adhérents qui décident.

Le rejet de la liste des fondateurs signifierait une transformation de la nature de notre association. Il n’y aurait plus de représentants des fondateurs au CA. La porte serait donc ouverte pour la métamorphose de notre association souhaitée par Jacques Nikonoff et ses amis. A l’inverse, le vote pour la liste des fondateurs signifierait que le projet initial d’Attac garde encore toute sa pertinence. Les adhérents sont donc devant un choix à tous égards historique pour Attac.

Quelle direction pour Attac ?

Jacques Nikonoff agite le chiffon rouge de la prise de contrôle d’Attac par un cartel d’organisations. Il est bien en mal de donner le moindre exemple de ce qu’il avance. Alors même que les fondateurs sont majoritaires au CA, quand ont-ils empêché Attac de prendre telle ou telle initiative ou telle ou telle position ? Il n’y a en la matière aucun exemple. Lorsque des débats ont eu lieu au CA, ils ont divisé les fondateurs ET les actifs. Il n’y a jamais eu d’opposition entre les fondateurs pris en bloc et les actifs pris en bloc. Demain les actifs devraient être majoritaires au CA, le risque de contrôle par les fondateurs est donc totalement exclu.

Mais derrière la charge contre un soi-disant danger de cartellisation, on trouve une conception toute à fait particulière de la direction. Ainsi Jacques Nikonoff dénonce le danger d’une « direction molle ». On serait heureux de savoir quelle serait le fonctionnement de cette direction « dure » que Jacques Nikonoff appelle de ses vœux. Un coin du voile est levé avec la lettre des 32 candidats au CA qu’il a signée. On peut y lire un soutien sans faille à la « direction qui, malgré des attaques répétées, provenant de l’intérieur de l’association comme de l’extérieur, a su faire d’Attac un mouvement anti-libéral aujourd’hui devenu incontournable ». Comme l’a indiqué Bernard Kervella, membre du Conseil scientifique, dans une réponse, « tout y est : la désignation de l’ennemi intérieur agissant de concert avec les ennemis de l’extérieur ; la direction réduite à quelques personnes au lieu de la direction collégiale du CA ; son caractère tout puissant, sorte d’avant-garde dans l’avant-garde, puisque c’est grâce à elle qu’Attac est devenue ce qu’elle est, les adhérents et militants étant dans cette conception réduits à une simple piétaille. Ce petit florilège, rappelant des temps que l’on pensait révolus, en dit plus que tout le reste sur le projet pour Attac porté par les signataires de ce texte ». Il faut espérer que la plupart des signataires, pris dans la passion de la rédaction de ce texte, ne se sont pas rendu compte de ce qu’ils écrivaient.

Dans la continuité de cette conception, Jacques Nikonoff, qui a refusé d’être sur la liste présentée par le collège des fondateur, récuse toute coprésidence alors même que les adhérents s’y sont déclarés favorable lors de l’AG de décembre 2005. Pour lui, « dans une structure aussi complexe qu’Attac, l’indépendance de l’association passe nécessairement par une direction représentative des adhérents, incompatible avec la notion de coprésidence ». L’argument laisse assez pantois. On pourrait croire qu’une direction représentative de la complexité d’Attac doive, au contraire, être le plus collégiale possible et que, dans ce cadre, la coprésidence pourrait permettre une meilleure représentativité des adhérents. Eh bien non, face à la diversité de l’association, Jacques Nikonoff nous propose un président tout puissant. En juin 2005, il avait proposé, dans une lettre au collège des fondateurs, que le président soit élu directement par les adhérents. Décidément, la logique présidentialiste de la 5ème république fait des émules.

Les adhérents auront donc un choix clair à faire : soit la poursuite et l’aggravation de la dérive présidentialiste que Jacques Nikonoff a initiée, soit la mise en place d’une véritable direction collégiale, représentant la diversité de l’association et fonctionnant de façon collective. Un choix là aussi à tous égards historique.

Pierre Khalfa, Julien Lusson, Gus Massiah, Christian Pilichowski (membres du CA sortant, fondateurs), Isabelle Bourboulon, Marie Ionis, Serge Le Quéau, Geneviève Masson (membres du CA sortant, actifs), Geneviève Azam, Jacques Cossart, Jean-Marie Harribey, Jean Tosti, Aurélie Trouvé


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