La tyrannie grecque, mère de la démocratie ?

lundi 4 février 2008.
 

La tyrannie n’est-elle, dans l’histoire des cités grecques, qu’un épisode marginal lié à des situations spécifiques de crise ? Claudia de Oliveira Gomes, dans un livre passionnant et ambitieux, défend une thèse dont certains aspects feront débat, mais que nul ne pourra ignorer : le tyran transforme de façon radicale la cité de l’âge archaïque le plus ancien (IXe-VIIIe siècle) en un Etat au sens plein du terme, c’est-à-dire une communauté politique dépassant les traditionnelles structures sociales communautaires.

En dépit de la légende noire de la tyrannie élaborée postérieurement, celle-ci réussit là où les "chefferies aristocratiques" s’étaient révélées incapables ou démunies. S’il est vrai qu’aux yeux des spécialistes de science politique, le "monopole de la violence légitime" fonde en partie l’Etat, la cité tyrannique mérite d’être qualifiée d’Etat, puisque le tyran, entouré d’une garde personnelle parfois dévolue par le peuple, dispose d’une force légale de coercition.

Mais les innovations des tyrans vont bien au-delà. Alors que les cités archaïques résolvaient leur manque d’espace en expulsant littéralement une partie de leur population, qui s’en allait fonder une nouvelle cité devenue étrangère, les tyrans pratiquent une colonisation à moindre distance, agrégeant les nouvelles terres à une cité subitement plus à l’aise. Mais, le plus souvent, ils parviennent à résoudre la crise par une meilleure distribution interne de la terre, jetant les bases d’une économie publique.

De même, les tyrans furent les premiers à créer un espace public monumental, marquant de façon symbolique l’espace politique commun, et à promouvoir des fêtes visant à l’autocélébration du peuple. A la centralisation du pouvoir répond la création d’un espace politique, l’agora, qui abrite les premiers édifices communs non religieux. Le pouvoir de coercition nouveau dont dispose le tyran lui permet d’imposer ses ordres à distance, relayés par des représentants, tels les juges des dèmes qui parcourent l’Attique, première concrétisation d’une force publique. La puissance du tyran l’autorise de même à intégrer des étrangers dans le corps civique, introduisant une nouveauté radicale : dégagé de la seule filiation, le statut de citoyen devient une notion abstraite, susceptible de manipulation politique, ce dont ni Clisthène ni Périclès ne se privèrent.

Ainsi s’établit entre la cité tyrannique et la cité démocratique une correspondance dont Claudia de Oliveira tente de débrouiller les fils. La tyrannie serait-elle en quelque sorte un préalable à la démocratie ? Sparte, épargnée par la tyrannie, tente avec des succès divers de réactualiser le modèle de la chefferie aristocratique. La démocratie athénienne, au contraire, ferait fructifier le riche héritage de la tyrannie des Pisistratides, quitte à s’en dégager. Thèse hardie, plus nuancée qu’on en saurait l’exposer ici, mais qui nourrira longtemps la réflexion de ceux qu’intéressent la construction de l’État et les origines de la démocratie.

par Claudia de Oliveira Gomes


LA CITÉ TYRANNIQUE. HISTOIRE POLITIQUE DE LA GRÈCE ARCHAÏQUE de Claudia de Oliveira Gomes. PUR, 230 p., 20 €.


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