Traité d’Amsterdam : Intervention de Yann GALUT à l’Assemblée Nationale le 25 novembre 1998

dimanche 5 février 2006.
 

La démocratie amoindrie

En relisant la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, je me suis attardé sur l’article XVI qui stipule que " toute société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ".

Quand près de 80 % des textes qui nous sont soumis, ne sont que la traduction dans la législation interne de directives européennes, nous ne pouvons que nous inquiéter du poids, somme toute relatif, du Parlement.

L’image du parlementaire "moine copiste" des actes communautaires persiste. Les nombreuses initiatives depuis l’instauration des délégations pour l’Union dans chaque assemblées, en 1979, n’ont, au fond, rien modifié.

La révision constitutionnelle que nous examinons aujourd’hui, devrait être l’occasion de renforcer réellement et fortement les prérogatives de notre Parlement en matière d’examen des propositions d’actes communautaires. Le Parlement devrait être impliqué concrètement et plus efficacement dans la construction d’une véritable union politique au niveau européen. Or, les députés se trouvent dépourvus d’outils efficaces face à la prolifération du droit communautaire et à sa technicité croissante.

Le suivi des affaires européennes est aujourd’hui confié au sein des deux assemblées aux Délégations pour l’Union mais aussi aux commissions permanentes. Cette situation actuelle n’est ni efficace ni pertinente.

Tout d’abord des difficultés de coordination entre la Délégation et les commissions permanentes ralentissent trop souvent l’examen des propositions d’actes communautaires.

Dans cette perspective, les deux Délégations doivent devenir des commissions permanentes à part entière. Ainsi, en les constitutionnalisant, on aurait supprimer mécaniquement les difficultés de coordination avec les commissions existantes. Les projets de texte communautaire seraient ainsi examinés par la Commission Europe, la procédure d’examen s’en trouvant facilitée et accélérée.

Ce n’est pas négligeable, nous le savons tous, pour insérer au mieux notre contrôle démocratique et souverain dans le processus décisionnaire communautaire.

Au delà du renforcement de l’efficacité du suivi par le Parlement des affaires de l’Union, la constitutionnalisation des Délégations représente un symbole politique.

C’est un symbole politique majeur qui permet de montrer la place que nous souhaitons donner au suivi des affaires communautaires.

Certes, l’extension du champ d’application de l’article 88-4 par la transmission aux assemblées est une avancée. Seulement, on se cantonne uniquement aux dispositions de nature législative.

Aussi, j’estime qu’il faut retirer ce fameux critère des " dispositions de nature législative " . Il me paraît, en effet, légitime que les Assemblées puissent décider par elles-mêmes des propositions d’actes sur lesquels elles souhaitent se prononcer par le biais d’une résolution. Même au Royaume-Uni, les Chambres peuvent choisir elles-mêmes les actes sur lesquels elles statuent.

En fait, c’est au Parlement de faire le tri et non au Conseil d’État.

Au delà des réserves que l’on peut émettre quant à l’opportunité de confier un tel pouvoir au Conseil d’État, la pertinence d’un tel critère n’est même plus assurée. L’effet pervers de ce critère a été parfaitement résumé par la délégation elle-même : le "vide" côtoie le " trop plein ".

L’argument avancé par certains contre une telle modification selon lesquelles les assemblées risquent de se trouver submerger par des milliers de documents qu’elles devront trier n’est pas recevable. En effet, dans le cadre de la loi dite Josselin de 1990 tous les documents sont transmis à la Délégation même si celle-ci ne peut se prononcer par la voie d’une résolution. Elle effectue déjà un tel tri.

Enfin, un suivi réel des résolutions adoptées par le Parlement est aujourd’hui impossible.

Dès 1993, la Délégation souhaitait que pour mes résolutions adoptées par l’Assemblée nationale, le Gouvernement puisse lui fournir des éléments d’information permettant à notre Assemblée d’apprécier dans quelle mesure ses souhaits ont été pris en compte dans la négociation communautaire et dans la décision finale.

Cette information n’est toujours pas devenue systématique. La pratique a démontré que cette information parfois très difficile à était obtenir.

Or, le mécanisme de l’article 88-4 perd une grande part de son intérêt par le fait que les Parlementaires ne sont pas tenus informés des suites données par le gouvernement aux résolutions adoptées.

Il semble important donc de créer une obligation constitutionnelle contraignant le Gouvernement, non pas à suivre les avis des assemblées, mais à les tenir informées de la façon dont ont été utilisé, dans le cadre des négociations communautaires, de tels avis.

Repenser l’article 88-4 de la Constitution dans toutes ses composantes est donc, un impératif pour enfin reconnaître au Parlement français une fonction de contrôle démocratique et souverain à part entière de l’ensemble des actes communautaires, le mettant au même rang que le Parlement européen et que la plupart des autres parlements nationaux.

Cette révision constitutionnelle est un préalable nécessaire à la ratification du Traité d’Amsterdam ; ratification du Traité d’Amsterdam à laquelle je suis opposé.

Je suis opposé à ce que la France délègue des parts de sa souveraineté au profit d’organes technocratiques. Et c’est justement ce qui est proposé au travers de cette révision.

Tant qu’au niveau européen, le poids du parlement de Strasbourg ne sera pas largement rehaussé, je m’opposerais à tout transfert de compétence, car ce genre de transferts-là sont des abandons. La République peut céder certaines de ses attributions à des institutions supranationales. Mais à la seule condition que celles-ci soient des institutions démocratiques.

Je comprends très bien les réticences peuvent exister sur le rôle que pourrait un Parlement européen souverain, et la France n’est pas seule en Europe. Ces évolutions ne se feront pas en un jour.

Mais ce que je comprends moins, c’est que vous ne vous soyez pas servi de cette révision pour renforcer le contrôle démocratique de l’Europe par notre assemblée, dès lors que les pouvoirs du parlement européen sont restés au sortir de la CIG aussi ridicules que toujours.

L’un dans l’autre, c’est la démocratie qui s’en retrouve affaiblie et amoindrie.

Ce que les citoyens français perdent en France, ils ne le retrouvent pas en Europe. C’est ce que je conteste, et c’est pourquoi je ne pourrais pas voter cette modification constitutionnelle.


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