Déclaration des 46 Au Bureau politique du Comité central du Parti Communiste russe (Préobrajensky 1923)

samedi 21 octobre 2023.
 

Le 15 octobre 1923, une majorité des dirigeants bolchéviks d’avant 1917, signe le texte ci-dessous qui dénonce déjà la bureaucratisation en cours de l’URSS "Le régime établi à l’intérieur du Parti est absolument intolérable ; il détruit l’indépendance du Parti, remplaçant le Parti par un appareil bureaucratique recruté..."

L’extrême gravité de la situation nous oblige (dans l’intérêt du parti et dans celui de la classe ouvrière) à déclarer que la poursuite de la politique de la majorité du Bureau politique menace le Parti tout entier de véritables désastres...

Si des mesures importantes, bien élaborées, planifiées et énergiques ne sont pas bientôt prises, si l’actuelle absence de direction continue, nous affrontons la possibilité d’une dépression économique d’une extrême gravité qui aboutira, inévitablement, à des complications de politique intérieure et à une complète paralysie de notre capacité d’action à l’extérieur. Et, comme chacun le comprendra, cette action à l’extérieur nous est plus nécessaire que jamais ; de cette action dépend le sort de la révolution mondiale et de la classe ouvrière de tous les pays.

De même, dans le domaine des relations intérieures du parti, nous voyons la même mauvaise direction paralyser et faire éclater le parti...

Nous n’expliquons pas cela par l’incapacité politique des dirigeants actuels du parti... Nous l’expliquons par le fait qu’au-dessous de la forme extérieure de l’unité officielle, nous avons pratiquement un recrutement de personnalités d’une même catégorie et une direction des affaires qui se fait dans un seul sens, adaptée aux opinions et sympathies d’un cercle étroit. La direction du parti étant déformée par de si étroites considérations, il en résulte que, dans une très grande mesure, le parti a cessé d’être une collectivité vivante et indépendante dont la sensibilité appréhende la réalité vivante parce qu’elle est liée à cette réalité par des milliers de liens. Au lieu de cela, nous observons une division qui augmente sans cesse -et maintenant à peine dissimulée- entre la hiérarchie du secrétariat et la "masse tranquille", entre les fonctionnaires professionnels du parti recrutés d’en haut et la masse générale du parti qui ne participe pas à sa vie.

C’est un fait connu de chaque membre du parti. Des membres du parti qui n’approuvent pas telle ou telle décision du Comité central ou même d’un comité de province, qui ont tel ou tel problème de conscience, qui, en privé, notent telle ou telle erreur, irrégularité ou désordre, ont peur d’en parler aux réunions du parti et craignent même d’en parler dans des conversations privées à moins qu’ils n’aient une entière confiance dans la discrétion de leurs interlocuteurs ; à l’intérieur du parti, les libres discussions ont pratiquement disparu, l’opinion publique du parti est étouffée. Actuellement, ce n’est pas le parti, ni ses masses qui choisissent et élisent les membres des comités de province et du Comité Central du Parti Communiste Russe. Au contraire, c’est la hiérarchie du Secrétariat qui recrute les membres des conférences et des congrès, qui deviennent de plus en plus les assemblées exécutives de cette hiérarchie.

Le régime établi à l’intérieur du Parti est absolument intolérable ; il détruit l’indépendance du Parti, remplaçant le Parti par un appareil bureaucratique recruté...

Cette situation est due au fait que le régime de la dictature d’une fraction à l’intérieur du parti, qui a été créée après le Xème congrès, s’est survécu. Beaucoup, parmi nous, ont consciemment accepté de se soumettre à ce régime. En 1921, le tournant politique et la maladie du camarade Lénine réclamaient -dans l’opinion de plusieurs d’entre nous- une dictature à l’intérieur du parti comme mesure temporaire. Cependant, dès le début, d’autres camarades adoptaient à ce sujet une attitude sceptique ou négative.

Quoi qu’il en soit, à lépoque du XIIème congrès, ce régime... avait commencé à montrer ses aspects négatifs. Les liens à l’intérieur du parti commencèrent à s’affaiblir. Le parti commençait à mourir. Etant donnée l’impossibilité de discuter entre camarades sur des questions brûlantes, des mouvements d’opposition extrémiste et terroriste (morbide) commencèrent à se développer à l’intérieur du parti avec naturellement un caractère anti-parti. Des discussions auraient révélé sans difficulté le caractère de ces mouvements à la fois à la masse du parti et à la majorité des membres de ces mouvements. Les résultats ont été des mouvements illégaux tirant les membres du parti hors de celui-ci et un divorce entre le parti et les masses ouvrières.

Si la situation ainsi créée n’est pas radicalement changée dans un avenir immédiat, la crise économique en Russie soviétique et la crise de la fraction dictatoriale dans le parti porteront des coups sérieux à la dictature du prolétariat en Russie et au Parti Communiste Russe. Avec de tels fardeaux sur les épaules, la dictature du prolétariat en Russie et sa direction, le PC russe, ne pourront aborder la phase imminente de désordres mondiaux que dans une perspective de défaites sur tout le front de la lutte prolétarienne...

La bataille qui se déroule dans le parti est d’autant plus amère qu’elle est menée silencieusement et secrètement. Si nous portons la question devant le Comité Central, c’est précisément afin d’apporter les solutions les plus rapides et les moins douloureuses aux contradictions qui déchirent le Parti et remettre ce dernier, sans délai, sur des bases saines.

Une réelle unité dans les opinions et dans les actions est indispensable. Les difficultés qui nous attendent demandent à tous les membres de notre parti une action d’unité fraternelle qui soit à la fois concentrée, vigoureuse et parfaitement consciente. Le régime fractionnel doit être aboli et cela doit être fait, tout d’abord, par ceux qui l’ont créé ; il doit être remplacé par un régime d’unité fraternelle et de démocratie intérieure.

Afin de réaliser ce qui vient d’être énoncé plus haut et de prendre les mesures indispensables pour solutionner la crise du parti ainsi que la crise économique et politique, nous proposons au Comité Central comme première décision urgente de convoquer une conférence des membres du CC avec les ouvriers les plus importants et les plus actifs du Parti, étant bien entendu que la liste des membres convoqués comprendra un nombre de camarades dont les opinions sur la situation sont différentes de celles de la majorité du CC.

E. Préobrajensky

B. Breslav

L. Sérébriakov

A. Biéloborodov

A. Rozengolts

M. Alsky

Antonov-Ovséenko

A. Bénédiktov

I. N. Smirnov

YU Piatakov

Y. Obolensky (Osinsky)

N. Mouralov

T. Sapronov

A. Goltsman

V. Maksimovsky

D. Sosnovsky

Danishevsky

O. Shmidel

N. Vaganian

I. Stukov

A. Lobanov

Rafail

S. Vasilchenko

Mikh. Zhakov

A. M. Puzakov

N. Nikolaiev

Averin

I. Bogoslavsky

M. Mesyatsev

T. Khorechko

A. Boubnov

A. Voronsky

V. Smirnov

E. Bosh

I. Byk

V. Kosior

F. Lokatsov

Kaganovitch

Drobnis

P. Kovalenko

A. E. Minkin

V. Yakovleva

B. Elstin

L. Levitin

I. Palydov

F. Sudnik

Les signatures ci-dessus sont accompagnées dans le texte originel de considérations parfois individuelles non reproduites ici.


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