« La pureté de la race chez les nazis, c’est la même obsession que le sang pur espagnol ! »

mercredi 29 août 2007.
 

Que sont devenus les juifs d’Espagne après l’expulsion de 1492 ?

Beaucoup ont fui d’abord au Portugal, où ils avaient cru en la parole du roi Jean II qui, moyennant finances, leur avait promis un répit de huit mois avant de leur trouver des embarcations pour d’autres destinations. Ils ont été accueillis dans des conditions épouvantables, vendus comme esclaves, massacrés, convertis de force après avoir été baptisés à l’aide de balais trempés dans l’eau bénite ! Des enfants, arrachés à leurs parents, ont été confiés à des familles chrétiennes.

Ainsi baptisés, ils « judaïsaient » secrètement et devenaient justiciables de l’Inquisition, qui est créée plus tardivement au Portugal (1536) qu’en Espagne. Quand le Portugal est annexé par l’Espagne en 1580, l’Inquisition espagnole traque les judaïsants portugais. Néanmoins des conversos, « juifs du secret », réussissent à transmettre la religion au péril de leur vie.

Et ceux qui ont choisi l’Empire ottoman et l’Europe du Nord ?

Des juifs étaient établis dans l’Empire ottoman avant qu’arrivent ceux d’Espagne. Un des rabbins le plus célèbres du pays a plaidé en leur faveur auprès du sultan et ils se sont installés dans les principales villes de l’empire : Istanbul, Andrinople, Smyrne, Salonique en Grèce, Safed en Palestine. Ils s’y sont regroupés selon leur communauté d’origine ibérique, ont gardé leur langue et leurs coutumes. Le sultan les a bien traités et a même recruté parmi eux des conseillers. La lecture ottomane du Coran leur a permis de vivre plus heureux que dans d’autres pays musulmans.

En revanche, la communauté d’Europe du Nord est une création. Il n’y a pas de juifs à Amsterdam en 1492. Quelques familles de « cryptojuifs » arrivent un siècle plus tard. Une première communauté croît difficilement. Ces nouveaux juifs sont tolérés car ils ont été persécutés par l’Inquisition, tout comme les fondateurs de la République des Provinces-Unies, acquises à la Réforme, toujours en guerre avec l’Espagne catholique.

En 1616, le bourgmestre d’Amsterdam leur accorde un statut assorti de conditions. On leur interdit, entre autres, tout prosélytisme, des rapports avec les chrétiennes et le commerce de détail. On leur ordonne de pratiquer un judaïsme orthodoxe pour ne pas ajouter à l’éclatement sectaire religieux de la nouvelle République. Cette communauté, qui n’a jamais compté plus de 2 000 personnes, va prospérer et devenir la vitrine du judaïsme mondial au XVIIe siècle. Elle compte de grandes personnalités. Rembrandt habite leur quartier. Il grave et peint ses habitants. Ils se rejoignent dans l’universalité, Rembrandt illustre même de quatre gravures l’ouvrage d’un de ses amis rabbin, Menasseh Ben Israël.

L’une des causes de l’affaiblissement de l’Espagne n’est-elle pas son statut de pureté de sang ?

Oui. La gestion financière de la Couronne était assurée par les juifs. Lorsqu’ils ont été expulsés, ce sont des étrangers, et en particulier des Génois qui ont pris le relais et ruiné l’Espagne. Et les statuts de pureté de sang ont bloqué tout esprit d’entreprise. Cette société attendait tout de l’amour de Dieu qui se manifeste par l’arrivée des galions chargés des richesses des Amériques. Les membres des élites juives converties ne veulent plus se manifester de peur de se faire repérer comme « cryptojuifs ». En effet, tout effort, tout travail fleure le désir de la réussite, marque d’appartenance au judaïsme. L’homme industrieux ne peut être qu’un converso, c’est-à-dire un « cryptojuif ».

Faites-vous un lien entre le statut de pureté de sang et l’antisémitisme des nazis ?

C’est un antisémitisme racial dans les deux cas, même si les circonstances géopolitiques et historiques sont évidemment différentes. Le juif est le même bouc émissaire. C’est la même obsession du sang chez les Espagnols que la pureté de la race chez les nazis. Le sang pur germain, c’est le sang pur espagnol ! Mais bien sûr, les nazis n’ont pas lu la littérature consacrée aux statuts de limpieza de sangre. L’antisémitisme nazi s’inspire plutôt d’un large courant de la philosophie allemande qui remonte à Luther, et passe par Kant, Hegel, Fichte et les pangermanistes.

HENRY MÉCHOULAN, DIRECTEUR DE RECHERCHE HONORAIRE AU CNRS


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