Quand une revue scientifique de psychologie méprise les militants de gauche et valorise ceux de droite (25 mars 2007)

mercredi 13 juillet 2022.
 

Plan :

1) Les électeurs de gauche sont des cons incultes

2) Comportement psychologique de raté à gauche, de gagneur à droite

3) Fonctionnement mental de gauche et de droite

4) Réflexe du chien de Pavlov et discours de gauche

5) Rôle des médias pour désorienter l’électorat de gauche

6) Vers une « contingence » des cerveaux de gauche et de droite

7) Quand la psychologie donne raison à l’ultralibéralisme : le peuple est con

8) Réponse de l’auteur de Cerveau et Psycho à l’article : Quand une revue scientifique de psychologie méprise les militants de gauche et valorise ceux de droite

La revue Cerveau et Psycho est considérée comme fiable, publiant des articles de qualité ; diffusée sur plusieurs pays, elle appartient au groupe "Scientific American " de même que d’autres périodiques scientifiques ( Pour la science, Les Génies de la science...).

Le numéro de mars-avril 2007 vient d’arriver en kiosque. Dès le titre de couverture, un citoyen censé se demande si ce n’est pas une plaisanterie : "La psychologie des élections. Cerveau de droite ou cerveau de gauche". Des universitaires américains prétendent déjà avoir découvert "les neurones du sacré" dans tout cerveau humain ; peut-être ont-ils trouvé à présent un cerveau différent pour les gens de droite, de gauche, d’extrême droite, d’extrême gauche, indécis, abstentionnistes, islamistes, écologistes...

J’ouvre la revue et la parcours.

1) Les électeurs de gauche sont des cons incultes

Le titre sur deux pages du dossier intérieur donne le ton :

• OPPOSITION DROITE - GAUCHE : MYTHE OU REALITE...

• DES ETUDES DE PSYCHOLOGIE POLITIQUE REVELENT LES DIFFERENCES

Un professeur de psychologie, argumente :

" Nous avons observé que des étudiants ne reconnaissent pas les bases idéologiques des partis auxquels ils se réfèrent. Pour ne garder qu’un exemple, la question d’avoir ou de valoriser des conceptions politiques libérales ou dirigistes n’est pas, chez nos sujets, un critère pertinent pour discriminer les groupes politiques"... "Faut-il en conclure... la fin des idéologies ?"

Pour lui, la différence entre droite et gauche repose en fait sur une différence de psychologie entre les individus qui se réclament de la gauche et ceux qui se réclament de la droite.

Quelle différence ? Les électeurs de gauche sont d’abord des cons incultes qui trouvent dans le discours de gauche une excuse facile à leurs carences individuelles.

Un seul tableau sert de support aux théories concernant les différences entre psychologie de droite et psychologie de gauche. Légende : "Le thème de la culture est abordé différemment par les personnes de gauche et celles de droite... Une de nos expériences a consisté à demander à des volontaires : En tant qu’électeur de gauche - ou de droite- quels sont les cinq mots que vous associez spontanément à la culture ?"

Réponses très majoritaires à gauche : loisir, sport, lecture, télévision, intelligence. Réponses très majoritaires à droite : art, cinéma, peinture, esprit, enrichir.

Une telle "enquête" auprès d’un panel de "volontaires" choisis on ne sait comment, n’a évidemment aucune valeur scientifique.

2) Comportement psychologique de raté à gauche, de gagneur à droite

Que les électeurs et militants de gauche soient des cons, c’est un peu insuffisant pour expliquer un clivage politique que l’on retrouve dans tous les coins de la planète.

Aussi, (page 44 sous le titre "Mentalité individualiste ou bien esprit socialisant") Notre professeur de psychologie y ajoute un deuxième argument : les électeurs et militants de gauche sont des ratés.

Citons-le : " Un certain nombre d’études en psychologie sociale suggèrent que les personnalités de droite et de gauche diffèreraient par leurs styles d’explication. De quoi s’agit-il ? Prenons un exemple ».

* Electeur de gauche : " Après sa défaite dans un match de tennis, le joueur vaincu s’adresse aux journalistes : Tout était contre moi : la surface battue n’est pas ma surface favorite ! Et vous avez vu cette météo pourrie ? Et puis le moins que l’on puisse dire c’est que l’arbitrage ne m’a pas favorisé ! Ah si seulement le public avait été plus enthousiaste !"

* Electeur de droite : " Le vainqueur en revanche, reconnaît : Il a bien joué mais aujourd’hui c’était vraiment mon jour. Je m’étais bien préparé à ce match. Je ne ma suis jamais senti aussi bien dans mon tennis. J’arrivais à placer chacun de mes coups et je me sentais invincible".

Il y va un peu fort, Monsieur le professeur de psycho. Pour le cas où le lecteur vote à gauche, donc soit tellement demeuré qu’il n’a pas encore compris, il ajoute : « Ces deux commentaires sont-ils équivalents ? On aura compris que le premier joueur cherche des explications dans les facteurs extérieurs, alors que le second s’attribue personnellement la victoire. En psychologie sociale, les théories de « l’attribution causale » rendent compte de la façon dont nous cherchons à expliquer ce qui se passe autour de nous, et plus particulièrement dans le domaine des comportements humains ».

Je n’ai aucune compétence en psychologie mais je comprends fort bien la cohérence de l’argumentation construite à partir de l’exemple des deux joueurs de tennis : les citoyens et militants de gauche sont des personnes en échec (professionnel, relationnel, sentimental...). L’accumulation des insuccès a créé chez ces patients un manque de maturité affective, des troubles névrotiques réactionnels qui les amènent dans l’existence à réagir de façon puérile, à ne pas assumer leurs responsabilités, à avoir un comportement agressif marqué du sceau de l’impuissance. Le discours de gauche sur les défauts du système capitaliste leur sert d’excuse pour ne pas admettre la réalité, pour rendre la vérité moins criante.

Si le cas est aussi pathologique, les psychologues doivent pouvoir identifier des fonctionnements mentaux différents entre électeurs de gauche et de droite. C’est déjà fait, répond Pascal Marchand.

3) Fonctionnement mental de gauche et de droite

" Ce n’est pas la première fois que ce genre de différences entre la gauche et la droite est mis en évidence. Dans les années 1980, une étude réalisée en Inde a montré que, pour expliquer le chômage et la pauvreté, les sujets de gauche faisaient davantage référence à la situation sociale ( inégalité dans la répartition des richesses, politique du gouvernement, discriminations...) tandis que ceux de droite privilégiaient des causes individuelles ( certaines personnes n’arrivent pas à saisir les opportunités, manquent de volonté, d’autres sont plus doués pour les affaires, plus motivées etc)".

Il cite également des expériences réalisées à Toulouse d’après lesquelles les personnes de droite utilisent plus de mots du registre individuel en mettant en scène des personnes et des figures historiques (De Gaulle, Pinochet, Hitler). « A l’inverse, les sujets de gauche se réfèrent davantage à des concepts empruntant au vocabulaire de l’analyse ( idéal, culture, lutte, théorie, concept, discours, classe, doctrine, formation, principes, notions, Europe, éléments, théories etc) ainsi qu’au registre socio-économique ( capitalisme, économique, sociales, siècle, années, historique etc).

Plutôt que de comparer sérieusement ces conclusions à son enquête sur la culture et à son exemple du raté et du gagneur, Pascal Marchand fait comme si toutes les « enquêtes » validaient son exemple des joueurs de tennis puis il s’appuie de façon ascientifique, à nouveau, sur un exemple (ouverture des magasins le dimanche) et des appréciations subjectives :

« Retenons que le mode cognitif de gauche consiste à expliquer ce que font les gens par des considérations sociales, culturelles, en faisant appel à des concepts plutôt abstraits, alors que le mode cognitif de droite privilégie les explications recourant à la personne, à sa psychologie et à sa responsabilité individuelle. Il y aurait de multiples exemples à citer en ce sens, mais attardons-nous sur une polémique récente : l’ouverture des commerces le dimanche. Ses partisans y voient une question de liberté individuelle pour les commerçants, de liberté pour les salariés qui veulent (sur la base du volontariat) travailler ce jour-là et gagner plus d’argent. Il s’agit aussi de liberté pour les consommateurs qui veulent faire leurs courses le dimanche... Pour les détracteurs de cette mesure, c’est une atteinte à un droit des salariés datant de 1906... On aura vite repéré la position de droite et la position de gauche : celle de droite est plus individuelle (on dit aussi dispositionnelle) alors que celle de gauche est plus situationnelle ».

Je me permets de relever deux éléments dans ce passage rédigé par le même professeur de psycho

• d’une part le lien entre droite et défense des libertés

• d’autre part le lien entre droite et les deux adjectifs, individuel et dispositionnel

La droite valoriserait les dispositions des individus alors que la gauche s’en tiendrait essentiellement à l’analyse des situations.

A ce moment de son argumentation, l’auteur repose la question Pourquoi la droite ? Pourquoi la gauche ? et nous donne une réponse ahurissante : « La première possibilité est qu’il s’agit là de deux grands fonctionnements mentaux, attribuables à des tempéraments profonds acquis dans la prime jeunesse, voire sous l’influence de certains gênes ». Pascal Marchand espère peut-être que l’on découvre un jour ces gênes psycho-politiques. Pour le moment, l’étude du génôme humain ne valide en rien une race de gauche et une race de droite. Alors, l’auteur met un bémol « On ne naît pas de gauche ou de droite » ; puis il avance une hypothèse d’imprégnation pavlovienne des sympathisants de gauche par leur entourage.

4) Réflexe du chien de Pavlov et discours de gauche

Pavlov était un physiologiste russe, prix Nobel en 1904. Ce nom est souvent attaché à son expérience sur la fonction gastrique du chien suite à une expérience sur le réflexe conditionnel de cet animal : si celui-ci est habitué à entendre un stimulus (sonnette, fourchette, sifflet) juste avant qu’on lui donne à manger, ses glandes salivaires se mettent ensuite à fonctionner dès audition de ce son, indépendamment de la nourriture. Depuis cette expérience scientifique, on caractérise de pavlovien quelqu’un qui réagit de façon instinctive, en particulier à des sons, sans esprit critique.

Cela permet à notre professeur de psycho d’expliquer le raisonnement de gauche.

« Le raisonnement de gauche serait une tradition dont s’imprègnerait les sympathisants de gauche, au contact des idées et des formes de discours caractéristiques de cette sensibilité politique ».

L’auteur cite des expériences menées à Toulouse et Clermont Ferrand « prouvant » que les gens de gauche réfléchissent d’ordinaire en individualistes comme ceux de droite. Dans la vie de tous les jours l’explication individualiste, « dispositionnelle », serait naturelle parce que plus facile, plus rapide... Surtout, la société est globalement individualiste dans son mode de pensée et tend à valoriser l’accomplissement personnel. Cependant, ce socle individualiste passe au second plan pour la gauche lorsque joue le réflexe de Pavlov du positionnement politique, supplément d’âme superficiel.

« Mais reste une question fondamentale : pourquoi les sympathisants de gauche développent-ils, au terme d’un processus d’apprentissage inhérent à leur appartenance politique, un autre type de traitement cognitif, qui ne s’active que lorsque leur appartenance « de gauche » leur vient à l’esprit ? L’enjeu est ici identitaire. Au cœur du fait politique, il y a la formation et l’opposition de groupes et de coalitions, de même que l’identification des membres au sein de ces coalitions... Nous assumons pour cette raison les attentes, les représentations et les stéréotypes liés à nos groupes d’appartenance ; à cet égard la forme du discours est déterminante non seulement pour se reconnaître d’un même camp, mais aussi pour reconnaître les autres camps et s’en démarquer... Dès lors, adopter un « discours situationnel » lorsqu’on est membre d’un parti de gauche permet de montrer que l’on est bien de ce parti et d’être reconnu immédiatement par ses pairs ».

5) Rôle des médias pour désorienter l’électorat de gauche et le phagocyter

Dans sa conclusion, l’auteur écrit : « Il semble donc que le mode cognitif propre aux électeurs de gauche... soit un héritage culturel qui ... se transmet comme un signe de ralliement et contribue à l’existence d’un camp politique à part entière ». Cela reposait au départ sur un apprentissage, ensuite un minimum d’engagement politique.

Heureusement, constate l’auteur, tout cela marche de moins en moins grâce à l’image des politiques renvoyée par les médias : « leur présence de plus en plus fréquente sur les plateaux... s’accompagne d’un discours égocentré... Dès lors, puisque la spécificité cognitive de la gauche (l’approche situationnelle et non individuelle) est moins mise en avant... (cela) « transparaît moins dans le discours actuel et brouille le repérage des oppositions... »

« Cela ne signifie pas tant que le clivage droite-gauche est dépassé, mais que l’un des modes de pensée a, finalement, phagocyté l’autre ».

Je dois reconnaître que cette raison du « brouillage » des repérages de l’électorat de gauche ne manque pas de perspicacité.

6) Vers une « contingence » des cerveaux de gauche et de droite

La conclusion de l’article de Cerveau et Psycho rejoint l’argumentation développée dans l’éditorial de la revue, intitulé " Psychologie contingente". Les cerveaux des personnes de gauche et de droite sont les mêmes, sont « contingents » ; ceux de gauche sont affublés, en plus, d’un emplâtre de mots qu’il suffit d’enlever. Voici un résumé de cet éditorial :

D’après les "spécialistes", la "psychologie politique" des électeurs serait "contingente. Contingente : Qualifie ce qui peut être ou n’être pas.. ce qui peut être autrement qu’il n’est..." Et en politique, "pourquoi cette incertitude ? parce que le psychisme est influencé par des procédés qui le leurrent".

Ainsi donc, j’ai passé ma vie à militer pour le socialisme mais des procédés inconscients m’auraient "leurré" ? Continuons vite la lecture.

" Nous pensons que notre penchant pour la droite ou la gauche est affaire de grandes idées, de choix de société. Et bien, il se pourrait que nous ne soyons pas si libres de nos choix. Il se pourrait que l’opposition entre droite et gauche soit contingente du point de vue psychologique".

Le reste de l’éditorial n’est qu’un charabia pédant sur la contingence de l’animus et de l’anima chez Bachelard, sur la contingence du féminin et du masculin pour Carl Jung... A mon avis, il sert surtout à reprendre le vieux baratin de droite ; au lieu d’écrire la gauche et la droite c’est pareil, cerveau et Psycho innove : la droite et la gauche c’est " contingent". Ah, que c’est distingué !

Sur le fond, cet éditorial est caractéristique d’une "psychologie" importée des Etats Unis qui prend les citoyens pour des imbéciles ; cette "psychologie" ( qui bénéficie peut-être de compensations financières) a pour but de découvrir la meilleure façon de manipuler les électeurs.

Exemple dans cet éditorial : "Les psychologues mettent au jour un vocabulaire de droite plus centré sur l’individu et un vocabulaire de gauche plus lié au milieu... S’il existe des "marqueurs" du discours de gauche et d’autres pour le discours de droite, un adroit politicien de droite qui parsèmerait son discours de quelques marqueurs de gauche pourrait séduire certains électeurs de gauche".

Voilà résumée une théorie fort en vogue aux Etats Unis, très souvent utilisée au cours des campagnes électorales. Si les candidats à l’élection présidentielle française s’en inspiraient :

- Le Pen se rendrait à Valmy glorifier les soldats de l’an II

- Bayrou aurait sans cesse la laïcité à la bouche et s’en prendrait aux grands groupes militaro-médiatiques.

- Sarkozy parlerait de “la France des travailleurs qui ont cru à la gauche de Jaurès et de Blum” et condamnerait les "patrons voyous"

- Ségolène Royal se revendiquerait de Jeanne d’Arc et de l’ordre juste.

7) Quand la psychologie donne raison à l’ultralibéralisme : le peuple est con

Ne croyez pas que j’exagère. Parcourez cette revue. Vous serez aussitôt frappés par les deux illustrations.

Première illustration (page 44) : Un alcoolique lève son verre dans un bar et proclame " La racaille, c’est le patronat de gauche". Légende : "LES ELECTEURS AURAIENT PARFOIS D’ETONNANTES THEORIES".

Deuxième illustration ( page 45) : Un psychopathe particulièrement désavantagé par la nature, affalé devant sa télévision, assène " Tout ça, c’est la faute du CAC40 qui a provoqué la dissolution de la fracture sociale ! Moi j’dis !" Légende : "Une étude réalisée dans les années 60 a révélé que les électeurs ne comprennent pas les enjeux politiques..."

Lecteur, tu as bien lu ci-dessus " Une étude réalisée dans les années 60 a révélé que les électeurs ne comprennent pas les enjeux politiques". Lecteur, tu as bien noté qu’il s’agit d’une REVELATION, comme l’Evangile. Quelle étude ? celle d’un politologue américain nommé Philip Converse dont nous nous moquions à l’époque .

* D’une part, il avait réalisé en 1962 une étude célébrée par les médias aux ordres pour expliquer "le cas français" ( the french case) : pourquoi la vie politique des Etats Unis et autres pays connaît une stabilité beaucoup plus grande que celle de la France ? Sa réponse : la façon désastreuse dont fonctionne la famille hexagonale est à l’origine directe de " la turbulence que connaît la vie politique française". En effet, cette famille française serait trop disloquée pour transmettre un héritage idéologique.

* D’autre part, il professait un mépris considérable pour les électeurs.

Depuis ces années-là, je n’avais plus entendu parler de cet hurluberlu. Et puis, aujourd’hui, je constate dans Cerveau et Psycho qu’il reste pour certains universitaires le maître de la psychologie sociale, le théoricien incontournable pour comprendre l’électorat français.

Voici page 44 de ce Cerveau et Psycho ce qu’en dit Pascal Marchand, professeur post bac de psychologie sociale : " Dès les années 1960, le politologue américain Philip Converse, de l’université du Michigan, a marqué les esprits en constatant, sur la base d’enquêtes d’opinion, non seulement que les citoyens manquent de connaissance politique, mais surtout qu’ils n’utilisent pas les idées politiques abstraites dans leurs jugements politiques (voire ne les comprennent pas). En outre, les résultats de ces études tendaient à démontrer que les préférences politiques sont instables et éventuellement incohérentes. Dès lors, comment les citoyens peuvent-ils se former des opinions sur la politique, "une idéologie politique", alors qu’ils en savent si peu sur la politique ? »

Conclusion :

Pour cette revue, d’une part un seul mode de pensée est humain, celui de droite, d’autre part les citoyens sont incapables de penser politiquement. En conséquence, le suffrage universel et la souveraineté populaire sont des théories dangereuses.

C’est exactement ce que pensent les libéraux américains. Cela les a amenés à décider l’invasion de l’Irak.

Nous, nous militons pour une refondation républicaine fondée sur la souveraineté populaire. Sur ce chemin, l’affrontement idéologique avec les tenants du libéralisme est inévitable.

Jacques Serieys

8) Réponse de l’auteur de Cerveau et Psycho à l’article : Quand une revue scientifique de psychologie méprise les militants de gauche et valorise ceux de droite

Comment faire face à l’outrance quand on appelle de ses voeux un débat serein ? Mais surtout, comment réagir à une prise de position qui me fait dire exactement le contraire de ce que je pense et m’attribue les défauts que je dénonce ?

J’ai beau relire ce papier de « Cerveau & psycho », que j’assume complètement même si je suis plus à l’aise dans le style académique, je n’y retrouve rien de ce que vous m’attribuez. En particulier, il n’y a jamais eu dans mes études de personnalisation de la droite et de la gauche (à fortiori de stigmatisation) et j’ai, au contraire, construit ma carrière (trop jeune, sur ce point vous avez raison) sur la dénonciation de ces travaux, essentiellement américains, faut-il le préciser (Converse, notamment, que j’ai dénoncé dans un travail universitaire et que je pensais dénoncer à nouveau ici).

Je croyais que c’était clair. La plupart des lecteurs semblaient me le confirmer. La plupart, apparemment pas tous... Je ne me lancerai pas dans une reprise point pour point de votre argumentation : je n’en ai ni l’énergie, ni le talent. Pour le reste, je résumerai mon approche de la façon suivante :

* il n’y a pas de psychologie (ni de cerveau) de la droite et de la gauche : pas de génétique ni de « pensée humaine » là-dessous !

* il y a une histoire du débat politique entre la pensée de droite et la pensée de gauche, et cette histoire investit également les mots privilégiés par chacune des idéologies (au sens noble, bien entendu, car j’ai du respect pour l’idéologie et je rejette l’idée même de « fin des idéologies » qui masque finalement la domination idéologique libérale).

* il y a une nécessité pour chacun d’entre nous de se situer dans ces pensées et ces mots de droite et de gauche, dès lors qu’on est en situation de débattre, et donc d’en choisir les mots. C’est cette activité là qui m’intéresse.

Diverses études montrent effectivement que la pensée libérale est dominante. Mes références à ce niveau sont Pierre Bourdieu et Jean-Léon Beauvois. Je peux même assumer l’idée qu’ils sont mes maîtres à penser. Je me situe donc dans une dénonciation de la « libéralisation » du discours politique, y compris dans une certaine gauche. Vous comprendrez ma réaction quand je lis certaines de vos phrases !

La pensée de gauche est cognitivement plus complexe que la pensée de droite, car elle fait intervenir l’analyse des conditions socio-historique des phénomènes au lieu d’en rester à des explications psychologisantes. Le danger vient, pour moi, de ce que même des « gens de gauche » peuvent actuellement recourir à la pensée libérale. Je ne peux que constater que c’est exactement ce que vous faites à mon compte. La contestation du caractère scientifique de mes études doit tenir à votre méconnaissance des sciences cognitives et de leurs méthodes. Il est vrai que nous publions davantage nos travaux dans des revues scientifiques que dans des revues de vulgarisation.

C’est toujours un risque pour nous d’oser la vulgarisation : certains pourraient la prendre pour des articles scientifiques et disserter à tout vent sur des images ou des légendes. La tentation est grande de rester dans le huis clos de nos labos et de nos revues à comités de lecture. Vous me confirmez que la place de la science n’est peut-être pas dans le débat public, largement occupé par les artisans accrédités de la propagande glauque. Je publierai néanmoins bientôt un ouvrage sur l’analyse par ordinateur des déclarations de la Ve république, avec son lot de lexicométrie et d’intelligence artificielle (c’est pour faire « scientifique », mais sans doute préférez-vous, comme la plupart des commentateurs politico-médiatiques, le discours psychanalytique).

La conclusion décrira les dérives du discours libéral tel qu’il émerge depuis quelques années pour s’affirmer dans les dernières élections, y compris dans la bouche d’une certaine gauche qui n’hésite pas à user de l’argument psychologisant au lieu de prendre la peine d’étudier les phénomènes dans leur matérialité socio-historique (certains travaux dans ce sens sont consultables sur http://pascal-marchand.fr/). Je pourrais assez facilement militer pour une refondation républicaine fondée sur la souveraineté populaire. Mais en plus de l’inévitable affrontement idéologique avec les tenants du libéralisme, il me faudra affronter les procès des lecteurs trop rapides de travaux qui, pourtant, vont dans le même sens.

Misère de la philosophie !

Pascal Marchand


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